Abigail Johnson, la discrète
Abigail Johnson a longtemps fait figure d’exception dans l’asset management. Dans un milieu très masculin où seulement 10 % des gestionnaires de fonds sont des femmes, cette héritière d’une lignée de financiers impose un respect quasi unanime à la tête de Fidelity Investments. Fondé par son grand-père Edward C. Johnson II en 1946, devenu un acteur majeur de la finance grâce à son père Edward C. Johnson III, le fonds d’investissement connaît une nouvelle ère sous l’impulsion de cette diplômée de Harvard. Il y a un an, c’est elle qui décide de lancer Fidelity Digital Assets, une entité entièrement dédiée à l’achat et à la vente de bitcoins, ouvrant ainsi la voie à l’intégration des cryptomonnaies dans les stratégies d’actifs d’envergure. Voilà l’une des innovations de rupture de la dirigeante pour toucher des investisseurs plus jeunes ou des compagnies digitales que la réputation en apparence un peu figée de Fidelity pourrait rebuter.
La prudence de père en fille
Dans la famille Johnson, le mérite est la clé de voûte du succès, pas la naissance ! L’excellence, le travail ou la hauteur de vue sont des qualités valorisées dans l’éducation de la petite Abigail. Alors enfant, son père et son grand-père lui inculquent ainsi quelques principes de vie : toujours penser les investissements à long terme et utiliser la dette avec précaution. « Soyez vigilant avec l’effet levier. Ce que je désigne par effet levier, c’est le fait d’acheter des actifs avec de l’argent emprunté. C’est dangereux et, financièrement, cela peut se révéler toxique », déclarait-elle récemment au Wall Street Journal.
Elle lance Fidelity Digital Assets, une entité entièrement dédiée à l'achat et à la vente de bitcoins
Des enfants d’Edward C. Johnson III, c’est Abigail, l’aînée, qui manifeste depuis toujours les dispositions intellectuelles les plus spectaculaires. Naturellement, Edward C. Johnson IV, président de Pembroke Real Estate, une filiale de Fidelity, s’inclinera devant sa sœur pour succéder à leur père en 2014. Quant à sa sœur cadette Elizabeth, elle se tient loin des affaires familiales : elle possède un haras de chevaux de course en Floride.
Une montée en puissance graduelle
Bien que « fille de », Abby Johnson a dû prouver sa valeur chez Fidelity et grimper les échelons un à un. Lycéenne, elle y est stagiaire tous les étés et se frotte au métier sur le tas. Après ses études, puis un passage comme consultante chez Booz Allen Hamilton en 1985-1986, elle intègre définitivement les équipes de Fidelity Investments en 1988 en tant qu’analyste et gérante de fonds. Dix ans plus tard, grâce à un excellent bilan, elle est promue, à 36 ans, directrice associée et vice-présidente senior du département dédié à l’equity. Une ascension qui ne va pourtant pas sans heurts. Ses rapports avec Robert Pozen, une figure tutélaire de l’asset management aux États-Unis auquel elle reporte pendant cette période, sont loin d’être apaisés.
Mais la vraie scission intervient en 2005. Alors que la même philosophie de la finance unit le père et la fille, leurs relations se détériorent profondément devant les mauvais résultats de la société. Une situation qui tourne à l’avantage de la femme d’affaires, car incarnant le renouveau. Elle devient alors présidente de Fidelity Employer Services Company (FESCo), la filiale en charge des solutions d’investissement pour les employés et retraités américains. Aujourd’hui à la direction générale du groupe, son goût pour l’innovation et la maîtrise des risques permettent à la société de gestion de se maintenir parmi les plus puissants. Mais le règne sans partage de Fidelity est à conjuguer au passé : dorénavant, il faut compter avec les géants de la gestion passive BlackRock et Vanguard.
Nicolas Bauche