Bris Rocher, la force de la nature
Son parcours a quelque chose de celui d’un John Elkann. Comme lui, Bris Rocher est petit-fils d’un visionnaire de génie, comme lui, il se trouvera, à la mort de son père, désigné pour succéder à son grand-père bien avant d’en avoir l’âge et, comme lui, il le fera fructifier. Mais entre l’actuel patron de Fiat et celui du groupe Rocher, les similitudes s’arrêtent là. Chez Bris Rocher, en effet, pas d’école prestigieuse ni de diplôme à rallonge. Le jeune homme a seize ans lorsque, en 1994, son père Didier, aîné des trois fils du fondateur à la tête de l’entreprise familiale depuis deux ans, disparaît accidentellement. Désigné par son grand-père pour lui succéder, il intègre l’entreprise sans attendre de passer son bac et s’y forme au contact des équipes et d’une culture d’entreprise inédite pour l’époque : celle de la naturalité que, dès 1959, le fondateur a investie.
Naturalité
Après quelques années passées au département gestion du siège de La Gacilly, dans le Morbihan, Bris Rocher est envoyé aux États-Unis pour parfaire son apprentissage chez Arthur Andersen, puis au sein de la filiale Yves Rocher de Philadelphie. Lorsqu’il rentre en France, en 2003, c’est au poste de vice-président en charge de la prospective et du développement en Asie. Déterminé à moderniser le modèle commercial de l’entreprise, encore très dépendant de la vente à distance, il va multiplier les ouvertures de magasins en France, mais aussi à l’étranger. Sans pour autant rompre avec le positionnement d’origine de la marque : cette dimension d’entreprise écoresponsable, ancrée en Bretagne où se concentre l’essentiel de sa production.
Entreprise familiale
Devenu président en 2010, quelques mois après la mort de son grand-père, il entreprend dans un premier temps de redonner son indépendance au groupe en le libérant de l’actionnariat de Sanofi, entré dans le capital d’Yves Rocher des décennies plus tôt, en 1973. En 2012, c’est chose faite. Les parts de Sanofi rachetées, Yves Rocher redevient une entreprise familiale, détenue à plus de 97 % par la famille ; autonome dans sa gouvernance et suffisamment peu endettée pour financer seule son développement. Pour Bris Rocher, celui-ci se joue désormais à l’international et, même, au-delà de la zone euro où il entend réaliser 50 % des ventes du groupe d’ici à 2026. Pour cela, le petit-fils du fondateur compte sur sa marque phare ainsi que sur les neuf autres que totalise aujourd’hui le groupe. Parmi elles, Sabon, marque de savons artisanaux très présente au Japon et aux États-Unis, mais aussi Petit Bateau, rachetée en 1988, les produits d’entretien Stanhome, les cosmétiques Arbonne, Daniel Jouvance et Dr Pierre Ricaud… De quoi lui assurer une présence dans 110 pays et un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros à fin 2018.
Levier de croissance
À ce maillage géographique de plus en plus dense s’ajoute l’argument d’une naturalité authentique, loin des tentations de green washing du moment. "Une marque, quelle qu’elle soit, doit s’opposer à quelque chose, déclarait Bris Rocher il y a peu ; s’engager dans une cause." Celle d’Yves Rocher est toute trouvée avec cet ancrage historique dans des produits sains, écolos mais accessibles sur lequel son PDG revendique "dix crans d’avance sur les autres", fort d’un jardin botanique regroupant plus de 1 100 espèces de plantes rares, de 70 hectares, en Bretagne, de champs dédiés à l’agriculture biologique et d’une fondation qui, d’ici l’an prochain, devrait avoir replanté 100 millions d’arbres dans 35 pays. De quoi crédibiliser un positionnement dont Bris Rocher entend bien, aujourd’hui, faire un levier de croissance.
Caroline Castets