Jeff Bezos, le prophète du e-commerce
2015. Fleur Pellerin, ministre français de la Culture, met les points sur les i avec Amazon. La firme internationale ne respecte pas les lois relatives au secteur de l’édition, notamment le prix unique du livre, avec Kindle Unlimited, l’offre exclusive liée à son device dernier cri. Cette dernière permet en effet l’accès quasi illimité à toute littérature contre un forfait de sept euros par mois, alors que seul l’éditeur a le droit de fixer le prix d’un livre sur le marché hexagonal. Comme un pied de nez à l’État français, le mogul américain choisit précisément ce moment pour annoncer qu’Amazon livrera ses items par drone, jouant à nouveau avec les zones grises de la légalité.
Voilà le talent de Jeff Bezos depuis les débuts de l’aventure d’Amazon : débusquer l’océan bleu, cette opportunité d’affaires sans précédent théorisée par W. Chan Kim et Renée Mauborgne, puis devancer les pouvoirs publics pour les obliger à se conformer aux décisions business que le PDG a prises. Bien qu’il ait tout d’abord prospéré dans les milieux de la finance (il a été vice-président de DE Shaw, un gestionnaire de fonds, de 1990 à 1995), Jeff Bezos incarne parfaitement l’idée que se faisait l’auteur argentin Jorge Luis Borges du bibliothécaire de Babel. Le gardien d’un lieu où les millions d’ouvrages flirtent avec l’infini. Certes, aujourd’hui, les 180 millions de produits disponibles sur Amazon ne sont plus exclusivement des livres comme au commencement du e-shop, mais le dirigeant a su défier les élites sur leur propre terrain : la culture et les contenus.
Un modèle d’affaires imparable
Remontons le temps. Nous sommes en 1995. Amazon, un site e-commerce spécialisé dans la vente d’ouvrages en tous genres, voit le jour. Comment se fait-il qu’il survive à l’éclatement de la bulle Internet en l’an 2000 et au krach boursier qui s’ensuivit ? Amazon s’est tout de suite positionné comme un marché biface très efficace, mettant en relation clients et vendeurs. Ces derniers pouvaient intégrer l’un des versants du site contre un pourcentage sur les transactions opérées. En pariant sur la recommandation clients grâce aux commentaires pour accroître le bon référencement des produits, son moteur de recherche gagne vite une grande pertinence dans la gestion des requêtes. À cette mécanique digitale bien huilée, il faut ajouter la puissance de la logistique d’Amazon. En 2019, le parc immobilier de la compagnie comprend 110 bâtiments et autant de centres de préparation de commandes et de stockage opérés par quelque 225 000 salariés. Une ville dédiée aux besoins des acheteurs.
Comment se fait-il qu’il survive à l’éclatement de la bulle Internet en l’an 2000 et au krach boursier qui s’ensuivit ?
Dans toutes ses acquisitions, Jeff Bezos a toujours mis la data au service des marchés sur lesquels il se positionnait. Ainsi, le streaming et le contenu audiovisuel premium, verticale sur laquelle il veut talonner Netflix. En 1998, le natif du Nouveau-Mexique acquiert IMDB, le site de référencement de tous les films, téléfilms, séries jamais produits au monde. Une manne de données très qualitatives nourrie par ses internautes, des cinéphiles passionnés. De quoi définir des tendances pertinentes (goûts des publics, genres qui fonctionnent) pour la production de son service et studio Amazon Prime video.
La course à la domotique grâce à la commercialisation d’Alexa ou d’Amazon Echo, ces appareils commandés vocalement au cœur du foyer de tout un chacun, répond au même besoin : décrypter les enjeux économiques par le biais de milliards de données exploitables sur les usages clients au moindre instant du jour ou de la nuit. Au regard de tous les secteurs qu’il couvre, du e-commerce à l’aérospatial avec Blue Origin, Jeff Bezos connaît peu de limites.
Nicolas Bauche