D. Panel (BNP Paribas AM) : "Pour les stratégies quantitatives, il y a eu un avant et un après 2008"
Décideurs. Comment se porte votre collecte dans un contexte difficile pour la gestion d’actifs ? Comment est-elle répartie entre la gestion multi-actifs, structurée et quantitative ?
Denis Panel. Nous avons enregistré une collecte positive en 2018, supérieure à 3 Md€ pour l’ensemble de nos expertises. Cette année, nous poursuivons notre développement, en particulier sur la gestion indicielle. À la date du 30 juin 2019, cette activité avait déjà réalisé une collecte nette de plus de 600 M€. Le segment multi-factoriel, aussi appelé smart beta, ainsi que les solutions structurées et sur mesure à destination de la clientèle institutionnelle connaissent également un bel engouement. La période est, a contrario, moins favorable à la gestion multi-actifs. Nos chiffres de collecte matérialisent donc les grandes tendances de marché.
Pouvez-vous revenir sur la gestion « quantamentale » que vous appliquez ?
C’est un néologisme illustrant l’association de notre savoir-faire quantitatif et de nos capacités d’analyse fondamentale. Cette approche est le fil conducteur de notre gestion. Avec elle, nous souhaitons proposer une gestion qui s’appuie sur le meilleur des deux mondes : l’humain et la technologie. La gestion quantitative vient ici atténuer les biais comportementaux des gérants de portefeuilles. Elle a un pouvoir diversifiant lorsqu’elle se combine à la gestion traditionnelle. Nous avons la conviction que l’humain et la machine sont plus performants ensemble. Au sein de notre gestion multi-actifs, nos équipes combinent ainsi la gestion fondamentale – avec une analyse macroéconomique et politique poussée – et les moteurs quantitatifs.
Les stratégies quantitatives n’avaient pas su répondre aux attentes des investisseurs lors de la crise de 2008. Comment les acteurs de ce marché ont-ils fait évoluer leur modèle ?
Il y a eu un avant et un après 2008. Avant cette crise, les stratégies quantitatives se démarquaient généralement par leur complexité. Certains modèles reposaient sur plus de 60 indicateurs, très souvent corrélés entre eux. L’industrie financière a pris conscience de ces difficultés et travaillé sur ces modèles pour davantage de transparence et de simplicité. Il s’agissait aussi d’une demande légitime de nos clients. La forte croissance du smart beta est le résultat de cette démarche. A titre d’illustration, chez MAQS, la gestion quantitative se fonde aujourd’hui principalement sur quatre facteurs : le low vol, la valorisation, le momentum et la rentabilité, pour une approche plus robuste.
"La gestion quantitative atténue les biais comportementaux des gérants"
Sont-ils désormais structurés pour résister aux principaux risques, comme une remontée violente des taux d’intérêt ou de la volatilité ?
Nos modèles quantitatifs ont connu depuis 2008 des variations de marché importantes et se sont très bien comportés. Les systèmes que nous avons mis en place font l’objet d’un suivi, nous veillons à respecter des budgets de risques précis. Mais la gestion humaine peut reprendre la main à tout moment. Prenons l’exemple de notre gestion quantitative obligataire positionnée sur la dette gouvernementale. Nos modèles s’appuient sur les six plus grands marchés mondiaux parmi lesquels figure le Japon. Lorsque la banque du Japon a décidé de maintenir le taux 10 ans à un niveau constant, il n’y avait plus d’intérêt à maintenir cette variable dans nos modèles systématiques. Nous avons eu la liberté de la retirer.
Faut-il, à votre sens, opposer la gestion quantitative à la gestion de conviction ?
Il fut une période où ces deux gestions vivaient de façon séparée et échangeaient assez peu. Cette distance n’est plus vraie aujourd’hui. Ces deux techniques de gestion se sont significativement rapprochées. Les approches quantitatives permettent à la gestion fondamentale de s’améliorer. Les hommes peuvent, par essence, gérer un nombre limité de données. Les filtres quant vont ainsi permettre aux gérants d’asseoir leurs convictions plus facilement, dans un univers d’investissement souvent très large. Par ailleurs, dans la construction du portefeuille, la corrélation entre les titres est parfois contre-intuitive. Les techniques quantitatives constituent des aides efficaces et performantes pour bien intégrer l’ensemble des données.
"Les filtres quant permettent aux gérants d’asseoir leurs convictions plus facilement"
Comment expliquez-vous l’essor de la gestion multi-actifs au cours des dernières années ? À qui s’adresse-t-elle ?
Elle offre à la clientèle des particuliers une gestion flexible, capable de s’adapter en théorie à toutes les conditions de marchés : limiter les pertes en cas de baisse des marchés et profiter en partie du rebond lorsque ces derniers remontent. La régulation - notamment MIF 2 - va aussi dans le sens des fonds multi-actifs. Pour les professionnels de la gestion de patrimoine, il est aujourd’hui plus difficile d’adresser des conseils sur la gestion de taux ou les marchés actions. Ils seront de plus en plus amenés à opter pour une délégation de ces décisions aux gérants.
Les fonds multi-actifs sont-ils adaptés à la conjoncture économique et financière actuelle ?
À court terme, les taux d’intérêt vont rester bas. Les banques centrales vont tout mettre en œuvre pour les maintenir à ce niveau. Les marchés actions ayant beaucoup progressé depuis le début d’année, faire un choix de classe d’actifs est aujourd’hui un exercice bien difficile. Le portefeuille d’un fonds multi-actifs offre, par nature, une diversification intéressante. Une diversification en matière de style de gestion mais aussi géographique qui me semble bienvenue dans un environnement aussi incertain.
"Le pôle MAQS a réduit de 50 % l’empreinte carbone de ses fonds par rapport à leur indice de référence"
Quelle forme prend l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans votre gestion ? Est-ce une politique d’exclusion ? de « best in class » ?
Nos investissements ont un impact ESG indéniable et cela constitue un élément incontournable de notre approche. Dès 2020, l’ensemble de nos stratégies sera 100 % ESG, c’est-à-dire que tous nos portefeuilles devront intégrer des critères ESG. BNP Paribas AM a d’ailleurs été pionnier dans ce secteur en lançant en 2008 le premier ETF Low Carbon puis en supprimant de tous les indices actions les compagnies vendant des armes controversées. Le pôle MAQS a réduit de 50 % l’empreinte carbone de ses fonds par rapport à leur indice de référence. Nous avons aussi amélioré de 20% la note ESG %, par rapport à celle de leur benchmark. Notre approche ESG est donc le fruit d’une politique d’exclusion de certains secteurs - tabac, charbon – et d’une politique d’intégration.
Vous venez de lancer le fonds Parvest US Multi-Factor Corporate Bond. Cibler l’univers des obligations d’entreprises notées « Investment Grade » émises en dollars n’est-il pas trop réducteur ?
Au-delà de ce fonds, nous proposons également un véhicule consacré à la Zone Euro. C’est un choix délibéré de notre part de nous concentrer sur les marchés développés, où l’on dispose d’une bien meilleure qualité de données et sur lesquels nous pouvons appliquer nos modèles quantitatifs. Commencer par les marchés développés était, à ce titre, une évidence. Mais à terme, nous souhaitons bien évidemment nous appuyer sur la disponibilité croissante des bases de données pour travailler sur d’autres univers. Nous pensons principalement aux marchés émergents et au high yield, peut-être même dès 2020.
Propos recueillis par Aurélien Florin