Ilham Kadri, alchimie d'un succès
Aux Rencontres économiques d’Aix, début juillet, son allocution suscitait un tonnerre d’applaudissements. Intervenant sur le thème "Quelles valeurs pour construire la société de demain ?", la toute nouvelle présidente de Solvay y parlait respect, méritocratie et liberté. Des valeurs qu’elle connaît bien puisque ce sont celles qui l’ont portée toute sa vie, de sa jeunesse dans les quartiers défavorisés de Casablanca au poste de PDG de Solvay. Celles qui lui ont été inculquées par cette grand-mère qui l’a élevée et qui, toute son enfance, lui répétera : "Dans la vie il y a deux portes pour qu’une petite fille décide de son avenir : l’une mène à la maison de son mari, l’autre à la tombe", avant de l’enjoindre à "trouver sa troisième porte". Lui enseignant que, même lorsqu’on a grandi sans eau courante ni électricité, l’éducation est un sésame.
Troisième porte
De toute évidence, le message passe. Assidue à l’école, déterminée à réussir, Ilham Kadri décroche deux bourses, l’une au Maroc, l’autre en France, et une fois son bac en poche, traverse la Méditerranée pour intégrer une prépa scientifique à Besançon. Viennent ensuite les hautes études, en France puis au Canada. A 28 ans, elle obtient son diplôme de docteur en physico-chimie macromoléculaire. Après un début de carrière chez Shell, en Belgique, puis chez LyondellBasell et chez UCB vient l’heure des entreprises américaines.
D’abord recrutée chez le fabricant de produits chimiques Huntsman, elle intègre ensuite Roms & Haas qui, en 2009, est rachetée par le géant mondial du secteur, Dow Chemical. C’est là que Jérôme Péribère, alors directeur général de l’entreprise, la repère. Décelant chez elle « un potentiel », ce « quelque chose » que, quelques années plus tard, remarquera aussi Jean-Pierre Clamadieu lorsqu’il la recevra dans son bureau de Solvay. Il lui confie d’abord la création, à Dubaï, de la première usine de dessalement d’eau de mer. Puis lorsqu’il prend la direction du groupe Sealed Air, il lui propose la direction d’une de ses filiales, Diversey, spécialisée dans les produits d’entretien et nettoyage pour collectivités. Sa mission ? redresser l’entreprise en perte de vitesse.
Quelque chose en plus…
Nommée CEO en 2013, Ilham Kadri s’y attelle avec passion. Dynamisant l’activité et transformant jusqu’à l’image de la société dont la vocation passe, sous son impulsion, « de laver des sols à sauver des vies » en luttant contre les maladies dues au manque d’hygiène, elle obtient des résultats spectaculaires. Lorsqu’en 2017 Bain Capital s’offre Diversey pour 3,2 milliards, elle est confirmée à sa tête. Normal : entre les effets cumulés de sa politique de redressement et de l’arrivée du fonds, la valeur de l’action s’est vu multiplier par trois.
De quoi susciter l’intérêt du cabinet de recrutement alors chargé par Solvay de trouver un successeur à Jean-Pierre Clamadieu, en partance pour Engie.
Avec sa carrière internationale, sa connaissance du marché et ses performances managériales, Ilham Kadri coche toutes les cases. « Ils cherchaient quelqu’un qui connaisse le secteur, explique-t-elle. Quelqu’un qui sache la valeur de la technologie, ait un « track record » en matière de transformation et soit un « global citizen » à l’aise partout ». Elle n’est pas du sérail ? Tant mieux. Sept ans après la fusion de Solvay avec Rhodia, elle n’est associée à aucun clan ; c’est un plus. Tout comme son style de management, sa capacité à transformer l’entreprise et sa personnalité. Cette personnalité qui, pour Jean-Pierre Clamadieu, fera la différence. « Elle était la seule candidate qui m’ait surpris lors de notre premier entretien, déclare-t-il. On perçoit chez elle quelque chose qui va au-delà de son CV. » Et qui va lui permettre de déjouer les pronostics en devenant la première femme à diriger l’empire belge de la chimie dont elle prend officiellement les rênes en mars dernier avec une promesse : « surprendre ».
Caroline Castets