Pascal Bonnet et Julien Sortais (KPMG) : " Il faudrait améliorer la recherche de repreneurs potentiels "
Décideurs. À l’occasion du Sommet « Dirigeants & Reprise d’entreprises en difficulté », vous n’avez pas hésité à pointer du doigt le trop faible nombre d’offres de reprise. Comment votre étude explique-t-elle ce phénomène ? Que faire pour y remédier ?
Pascal Bonnet. Beaucoup de dossiers ne font l’objet que d’une publicité et non d’une recherche active de repreneurs. Ainsi le principal élément qui, selon nous, pourrait être amélioré est la recherche de repreneurs potentiels. En effet, notre expérience montre que la plupart des repreneurs potentiels que nous contactons ne sont tout simplement pas au courant de l’opportunité. Des professionnels, dont c’est le métier, pourraient être consultés, sur des bases tarifaires compatibles avec la procédure, afin de réaliser ce travail de recherche.
L’étude met également en exergue le fort taux de déperdition entre les phases de dépôt de l’offre et de maintien de celle-ci. Quelles en sont les principales raisons ?
Julien Sortais. Cela tient à deux éléments. Le premier est le process en deux temps qui permet aux candidats repreneurs de prendre connaissance des offres concurrentes à l’issue du dépôt des offres, qui se situe généralement entre 2 et 4 semaines avant l’audience d’examen des offres. Pendant cette deuxième phase les candidats peuvent améliorer leur offre (sans la dégrader) mais peuvent aussi se rétracter s’ils avaient inclus des conditions suspensives. Ainsi, à la lecture d’offres concurrentes mieux-disantes, certains concurrents ne souhaitant pas s’aligner peuvent décider de se rétracter. Le second élément tient au fait que de nombreux candidats conditionnent leur offre à l’obtention de financements nécessaires à la reprise. Notre expérience montre que ces financements peuvent être difficiles à obtenir. Dans la mesure où une offre non financée est dite irrecevable par le tribunal, la majeure partie des candidats n’ayant pas obtenu leurs financements préfèrent se rétracter.
" Confier les dossiers les plus compliqués aux professionnels les plus expérimentés n'est pas aberrant tant que cela ne confine pas à l'oligopole "
Le repreneur idéal existe-t-il ? Et à quoi ressemble-t-il dans ce cas ?
P. B. Le repreneur parfait serait celui qui fait une offre répondant intégralement aux trois critères définis par la loi : pérennité du projet, préservation de l’emploi et apurement du passif. Or, l’analyse des offres montre qu’au moins un critère n’est pas satisfait et il s’agit souvent de l’apurement du passif. D’un point de vue opérationnel, le repreneur idéal est celui qui présente un bilan suffisamment solide pour absorber les besoins de trésorerie liés au redressement de l’entreprise, et qui dispose d’une expérience métier suffisante pour être pleinement opérationnel dans des délais très courts.
Vous mentionnez les « facteurs clés de succès » pour gagner une reprise à la barre. Pourriez-vous nous les décrire et indiquer ceux qui semblent les plus importants à l’aune des résultats de votre étude ?
J. S. En plus des critères déjà évoqués, les principaux facteurs clés de succès tiennent aux éléments de prix et de périmètre des activités et des salariés repris. L’étude montre la prédominance des enjeux sociaux mais le prix de cession est également un élément important, notamment en cas d’offres multiples reprenant un nombre de salariés équivalent. Ensuite, l’adhésion des organes de la procédure et des salariés de la société cible au projet de reprise du repreneur sont fondamentaux. Bien évidemment, cet accord dépend des éléments cités précédemment mais peut également dépendre de facteurs humains, notamment de l’assentiment des salariés.
Les dossiers sont-ils bien répartis entre les différentes études d’administrateurs judiciaires ? Votre rapport permet-il de comprendre les disparités au niveau des taux de désignation des premières études ?
P. B. Notre rapport montre qu’un grand nombre de dossiers est réparti sur un petit nombre d’études. Cependant, celles-ci sont également celles qui rassemblent le plus d’administrateurs judiciaires, bien que les chiffres montrent qu’une vingtaine d’entre eux concentrent près de la moitié des dossiers. Nous n’avons pas tous les éléments pour expliquer les différences liées à ces disparités dans les taux de désignation.
" Les investisseurs étrangers peuvent apporter des alternatives satisfaisantes sur des dossiers ne suscitant pas l’intérêt escompté au niveau national "
De votre point de vue, faut-il modifier cet état de fait ou le considérer comme un atout à l’heure de confier les dossiers les plus compliqués aux études les plus expérimentées ?
J. S. C’est une question délicate sur laquelle nous ne prendrons pas partie. Toutefois, il ne paraît pas aberrant de confier les dossiers les plus complexes aux professionnels disposant de la plus grande expérience tant que cela ne confine pas à un oligopole de fait. C’est donc un difficile équilibre à trouver.
Cela vaut-il le coup pour une entreprise étrangère de candidater à la reprise d’une entreprise française en difficulté ?
P. B. Absolument, et nous encourageons très régulièrement nos clients étrangers à emprunter cette voie. Il s’agit néanmoins d’un environnement franco-français, faisant intervenir des notions juridiques techniques, qui peut paraître hostile aux investisseurs étrangers. D’où la nécessité de faire preuve de pédagogie avec ces investisseurs qui peuvent parfois apporter des alternatives satisfaisantes sur des dossiers ne suscitant pas l’intérêt escompté au niveau national.
Allez-vous renouveler chaque année cette étude ou la développer aux autres cas de figure des procédures collectives ?
J. S. Nous envisageons effectivement de renouveler cette étude, sa fréquence reste toutefois à définir. Nous réfléchissons également à la réaliser à propos des plans de redressement par voie de continuation dès l’année prochaine.
Propos recueillis par Sybille Vié