G.Dard (Montpensier Finance) : "Donald Trump s’impatiente devant les tergiversations chinoises"
Décideurs. Après une année 2018 difficile, les marchés financiers ont rebondi au cours du premier trimestre 2019. Ce mouvement peut-il s’inscrire dans le temps ?
Guillaume Dard. Passer l’été, pour un investisseur, c’est comme traverser un océan, sa vision de la situation peut avoir profondément changé entre les mois de juin et septembre. Actuellement, le marché est dans une phase d’hésitation après un beau rally.
En 2018, il y a eu un net ralentissement économique, d’abord visible en Chine au mois de mars, puis en Europe et enfin aux États-Unis où tout allait pourtant très bien jusqu’en novembre. Les investisseurs ont alors perçu trois grands risques : le ralentissement économique mondial, l’affrontement géopolitique sino-américain ainsi que le resserrement de la liquidité dollar provoqué par un durcissement de la politique monétaire américaine. Début 2019, un rebond s’est amorcé sous l’effet des banques centrales.
Selon vous, les banques centrales ont identifié un risque de « black hole », en raison de dettes trop importantes et des craintes de récession. Comment ont réagi les marchés ? Quelle a été la réaction des banquiers centraux ?
Les marchés ont connu une forte baisse en décembre. En début d’année, Les banquiers centraux, américains en tête, ont compris que, compte tenu de la taille de la dette mondiale, il était dangereux de laisser l’économie ralentir trop fortement. Il fallait qu’ils reprennent une position plus sportive. Alors qu’en 2018 l’idée était de normaliser la politique monétaire, les banquiers centraux ont cette année changé leur position. L’inclinaison de leur politique, couplée à l’avancée des discussions sino-américaines et au plan de relance économique chinois, ont rassuré les marchés et favorisé leur remontée, jusqu’en avril puis à nouveau en juin.
"Le coût de la guerre commerciale est très difficile à déterminer"
Les investisseurs rêvent d’un scénario « Boucles d’or », où l’économie resterait « en zone tempérée ». Est-ce toujours d’actualité alors que l’investissement et la consommation continuent de ralentir à l’échelle mondiale, notamment en Chine ? Faut-il au contraire craindre un scénario « Goldorak » ?
Pour le moment, nous ne sommes ni « Goldorak » ni « Goldilocks ». Pour que le scénario « Boucles d’or » se concrétise, encore faudrait-il un soutien des banques centrales, qu’il n’y ait pas d’autres évènements perturbateurs (crise italienne, brexit soudain, tensions dans le golfe) et une reprise économique durable, notamment en Chine. Mais depuis le mois de mai, Donald Trump s’impatiente devant les tergiversations chinoises. La Chine est elle-même très ennuyée. Le pays n’est pas contre l’idée de trouver un accord mais les termes proposés par l’administration américaine sont vus comme un acte de colonialisme, une atteinte à sa souveraineté. Or, Xi Jinping doit montrer qu’il n’a pas cédé face à la pression américaine. Cela raviverait, en effet, de très désagréables souvenirs aux Chinois, soumis à une domination occidentale entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.
Quelles sont les conséquences de cette période de tergiversations ?
Cela implique, en premier lieu, un grand aléa sur l’issue de la négociation. Pour l’instant le marché envisage qu’une sorte d’accord soit conclu, même si celui-ci est bancal. Les espoirs d’accélération de la croissance chinoise sont cependant atténués. Les industriels pourraient être plus hésitants sur leurs décisions d’investissement. La situation demeure différente selon la zone où l’on se trouve. La zone euro se porte mieux, sauf en Allemagne et en Italie. Les États-Unis ont stabilisé leur rythme de croissance à un niveau convenable, même si la tendance demeure moins bonne.
"L’idée est de profiter des trous d’air du marché"
Pour que le scénario « Goldilocks » se concrétise, il faudra, comme vous l’avez souligné, que la Fed baisse ses taux d’intérêt. Cela est-il envisageable ?
Donald Trump exerce une forte pression sur Jerome Powell pour le convaincre de baisser ses taux. Il faut bien garder en tête que la prochaine élection présidentielle américaine aura lieu en 2020 et que l’objectif de Donald Trump est d’être réélu. Mais pour conquérir un deuxième mandat, il devra maintenir le taux de chômage à un niveau bas et faire en sorte que les marchés financiers restent porteurs.
Certains économistes ont évalué le coût de la guerre commerciale sino-américaine à 0,3% de PIB pour les États-Unis et 1% pour la Chine. Qui a le plus à perdre dans cette confrontation ? Un accord est-il seulement possible ?
Le coût de la guerre commerciale est très difficile à déterminer car les évaluations sont faites sur une base statique. Elles ne tiennent pas compte de la réelle interaction des économies et de l’imbrication des chaînes de production. Si de véritables barrières tarifaires sont mises en œuvre, il se produira un réel effet d’amplification. Paradoxalement, certaines études montrent que l’Europe pourrait en profiter et serait en mesure de remplacer la Chine et les États-Unis sur certains échanges. Selon une analyse de l’une des instances de l’ONU, l’Europe pourrait gagner 80 milliards de dollars.
Les États-Unis et la Chine perdront plus qu’ils ne le l’imaginent à court terme. Cette situation serait en effet gênante pour la balance des paiements chinoise et pourrait entraîner des fuites de capitaux. La Chine a besoin de ses exportations pour équilibrer son système monétaire. Les États-Unis prennent un petit risque inflationniste car l’augmentation des droits de douane se répercutera sur les consommateurs américains. À long terme, la taille de l’économie chinoise leur permettra de compenser ce manque à gagner en se reposant sur une économie plus domestique, centrée sur la consommation et les services.
Comment gérez-vous vos fonds dans un environnement aussi incertain ?
Dans ces conditions, mieux vaut avoir une stratégie agile. Nous considérons qu’il faut continuer à être investi car jamais les taux d’intérêt n’ont été aussi bas. Les taux des obligations allemandes sont aujourd’hui négatifs, et à zéro en France. La bonne gestion des entreprises et la rentabilité des dividendes constituent également un bon parachute pour les actions. L’idée est de profiter des trous d’air du marché mais comme la majorité des investisseurs européens sont actuellement sousinvestis, dès qu’une baisse se produit, le marché rebondit assez vite. A contrario, tant qu’il n’y aura pas d’accord sino-américain structurel, il semble délicat d’être extrêmement surinvesti.
Propos recueillis par Aurélien Florin