L.Martinez (Alstom) : "D’ici trois ou quatre ans, un certain nombre de processus seront automatisés"
Décideurs. Vous avez récemment pris la tête de la direction financière d’Alstom. Sur quels chantiers avez-vous commencé à travailler ?
Laurent Martinez. Le sujet clé de la DAF est la transformation d’une fonction de contrôle en une fonction de performance. C’est un projet que je souhaite accélérer. Un deuxième point, tout aussi important, est celui de l’intégration, au sein du groupe, de la fonction finance qui a vocation à participer à la transformation globale de l’entreprise. En pratique, cela se traduit par des choix stratégiques de fusions-acquisitions, en lien avec les équipes juridique, business et stratégie, et d’autres plus opérationnels sur les aspects d’efficacité, comme la décision d’investir dans l’automatisation d’une usine par exemple.
La finance, c’est aussi l’équilibre de l’allocation du capital entre opérations de M&A bolt-on – non structurelles –, investissements industriels (au niveau des usines), ainsi qu’innovation et R&D. Le bon dosage entre ces trois axes d’investissement interne et le retour aux actionnaires est un élément crucial des choix d’entreprise, portés par les comités exécutifs, car les ressources ne sont pas infinies.
Pouvez-vous nous présenter la direction financière du groupe ?
La finance regroupe plus de mille personnes chez Alstom, sur un effectif global de 36 300. Le groupe étant présent dans soixante pays, sur plus de cent sites, la fonction est décentralisée. La palette d’activités est large : trésorerie, comptabilité, performance industrielle et des projets, taxes, fusions-acquisitions et relations investisseurs, puisque nous sommes une société listée dans le CAC next 20 (49e société de la place parisienne). Par ailleurs, l’une des caractéristiques d’Alstom est de gérer 500 projets en parallèle, pour chacun desquels un chef de projet et un financier s’assurent de leur exécution et que leurs performances soient en ligne avec nos attentes et l’exigence de nos clients. C’est le nerf de la guerre, et c’est la DAF qui en a la charge.
Au-delà de ces missions classiques, quels sujets traitez-vous ?
Depuis une quinzaine d’années, la tendance est au centre de ressources partagées, et Alstom ne fait pas exception puisque nous disposons d’un centre de comptabilité en Inde. Nous poursuivrons ce mouvement, en montant en compétences, mais la question clé aujourd’hui, c’est la transformation digitale, qui permet d’automatiser un certain nombre de processus. Nous avons une marge de manœuvre en matière d’efficacité et de compétitivité pour libérer du temps aux financiers pour traiter de la performance des projets ou des décisions d’investissement, autant de points stratégiques pour l’entreprise. Je suis convaincu que d’ici trois ou quatre ans, un certain nombre de processus seront automatisés, qui permettront de gagner en efficacité.
Comment faites-vous pour attirer les talents dans vos équipes ?
La première chose c’est de donner envie. Chaque leader de la fonction finance a un rôle d’ambassadeur, et se doit d’utiliser les moyens modernes de communication, à l’instar de LinkedIn, pour attirer les talents. Au-delà de l’aspect marketing, l’intérêt sur le fond est primordial. Nous avons une diversité de sujets, de la performance industrielle au développement de logiciels, ainsi que des produits innovants, comme notre train à hydrogène dans le nord de l’Allemagne, qui est une première mondiale. Alstom peut également proposer des carrières internationales, puisque nous sommes présents dans soixante pays. Par ailleurs, le modèle de leadership est très attractif. Nous avions un modèle hiérarchique traditionnel et évoluons progressivement vers un modèle de pyramide inversée, dans lequel le leader est au service de ses équipes. C’est notre rôle en tant que dirigeants d’insuffler ce changement managérial pour attirer les talents, en particulier les jeunes, les garder et contribuer au développement d’une entreprise finalement plus efficace et dans laquelle les collaborateurs évoluent.
La France se targue d’avoir les meilleurs ingénieurs. Est-ce vraiment le cas ? Quelle est votre vision de la palette des formations à l’international ?
Le système d’enseignement supérieur français est excellent. En finance, nous recrutons beaucoup de personnes issues des grandes écoles, avec un mix entre ingénieurs et business. Les profils ingénieurs sont intéressants en finance, car les missions peuvent être très opérationnelles, et la compréhension des enjeux industriels ou du développement d’un produit est essentielle. Nous embauchons des VIE en particulier, nous en avons plus d’une centaine dans le groupe. Pour les autres pays, le Royaume-Uni a un réservoir de talents très intéressant également. En Inde aussi, qui représente près de 10 % des effectifs d’Alstom, les financiers sont très bien formés, motivés et font preuve d’une énergie exceptionnelle.
« Nous avons une marge de manœuvre en matière d’efficacité et de compétitivité pour libérer du temps aux financiers pour traiter de la performance »
Comment voyez-vous évoluer la fonction financière des grands groupes ?
Celle-ci évoluera sur trois axes. Le premier est celui de la régulation et de la compliance. Ces aspects prennent de plus en plus d’importance, au niveau des autorités de marché, mais également au niveau des pratiques de transparence sur la performance économique, et apportent de la rigueur dans le management des sociétés. Ensuite, le deuxième vecteur est la technologie. Une part substantielle de l’activité finance va progressivement s’automatiser, donc réduire les activités plus manuelles et peut être moins intéressantes. Aujourd’hui, les outils technologiques existent mais leur mise en place dans les processus d’une société sera plus longue, puisqu’elle est fortement liée au fonctionnement opérationnel. Enfin, le troisième volet est celui du positionnement de la finance dans l’entreprise. Cette fonction va devenir plus proche à la fois de la direction générale mais aussi du business, avec un rôle plein et entier sur les orientations de performance, de stratégie et de transformation, et finalement sur l’efficacité de la société.
Quelles sont les conséquences de l’échec du projet de fusion avec Siemens ?
Le projet ayant été rejeté par la Commission européenne, ce n’est qu’une opportunité manquée pour Alstom. Nous avons beaucoup appris de cette expérience et connaissons les écueils à éviter dans nos projets futurs. L’autorité de la concurrence se positionne sur des fusions stratégiques, de taille importante, ce qui nous permet de travailler sur un grand nombre de projets d’acquisition de cibles plus modestes. Nous nous intéressons à des technologies adjacentes ou à des marchés sur lesquels nous souhaitons nous développer, à savoir le transport, les services, la signalisation, tout ce qui est smart mobility ou digital. Par ailleurs, les ministres français et allemands ont fait part de leurs souhaits de revenir sur un certain nombre de ces processus. Nous verrons dans les mois ou années à venir s’il y a des évolutions sur ce point.
Les résultats n’ont pas été affectés par l’échec de la fusion comme le prouve leur récente publication. Le groupe poursuit son développement et repart de l’avant sur un marché porteur avec des fondamentaux excellents : une trésorerie solide, un carnet de commandes de 40 milliards d’euros – le plus important de l’industrie, hors CRRC, acteur chinois et n°1 du secteur ferroviaire essentiellement présent sur son marché intérieur –, 8,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 10 % de croissance à périmètre constant, et une profitabilité de 7 %, issue d’un développement sur de nouveaux marchés à l’international (Dubaï, Riyad, Afrique du Sud, Inde...).
Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret