E. Evian (Cefarea-Arias) : "Promouvoir l’arbitrage en matière d’assurance et de réassurance"
Décideurs. Quelle est l’origine du centre ?
Éric Evian. Le centre français d’arbitrage de réassurance et d’assurance (Cefarea-Arias) a été créé en 1995 sous l’égide de l’Association internationale de droit des assurances (Aida), présente à l’échelle mondiale. Cette dernière a établi dès le début des années 1990 un réseau de chambres d’arbitrage sous le nom d’Arias pour promouvoir l’arbitrage en matière d’assurance et de réassurance ainsi que pour offrir à chaque marché des solutions de résolution de litiges efficaces et rapides. Il avait été constaté à l’époque que l’arbitrage était la norme dans les litiges de réassurance, opposant les assureurs et les réassureurs, mais qu’il était compliqué d’avoir, sous une même organisation, des arbitres formés et spécialistes du secteur et des procédures qui conviennent à ce milieu. Le premier Arias a été créé à Londres en 1991, puis s’est étendu aux États-Unis, à la France ainsi qu’à l’Amérique latine et à l’Asie.
Quelles ont été les évolutions majeures depuis sa création ?
Il y a eu deux élargissements. Le centre s’est tout d’abord ouvert à la médiation afin de couvrir l’ensemble du spectre des modes alternatifs de règlement des différends. Enfin, il a élargi sa compétence à tous les litiges affectant le monde de l’assurance au sens large et ne s’est plus focalisé sur les seuls litiges de réassurance. Il peut donc traiter des contentieux entre courtiers et assureurs ou entre assureurs et assurés, dans la mesure où leur litige peut faire l’objet d’un arbitrage. Nous avons également mis en place un règlement d’arbitrage qui a été revu en 2018 et qui est désormais au niveau des standards internationaux.
L’arbitrage et la médiation ont le vent en poupe. Comment l’expliquez-vous ?
Ce mouvement est fortement incité par les pouvoirs publics, en raison de la raréfaction des moyens mis au service de la justice étatique. Il existe d’ailleurs des dispositions légales qui prévoient de justifier de tentatives de règlement amiable dont la médiation avant d’engager une quelconque procédure. De plus, les délais devant les juridictions s’allongent, au détriment de la vie des affaires. Enfin, concernant le monde de l’assurance, il n’existe pas de chambre judiciaire pouvant répondre à des problématiques très techniques. Les parties ont donc plutôt intérêt à se tourner vers des spécialistes pour essayer de régler leurs litiges.
« Les assureurs européens ont heureusement anticipé les effets du Brexit »
Quel sera l’impact du Brexit sur le milieu de l’assurance et de la réassurance ?
Il sera important car il touche la possibilité des assureurs nationaux européens d’utiliser librement leur licence au Royaume-Uni, et inversement. Les assureurs anglais et continentaux ont heureusement anticipé les effets du Brexit afin de faire face aux enjeux économiques considérables qu’il soulève. Deux questions majeures se posent. La première est de déterminer comment souscrire de nouveaux contrats dès le retrait effectif du Royaume-Uni de l’Union européenne. En effet, un assureur britannique perdra le droit d’utiliser sa licence nationale pour faire des affaires sur le continent, et vice-versa, si des accords spécifiques n’ont pas été négociés. Les compagnies d’assurance anglaises ont alors établi des entités sur le continent, notamment au Luxembourg et en Irlande. Chubb, de son côté, a décidé de faire de Paris sa place forte européenne. La deuxième difficulté, encore non réglée, est le sort des contrats en cours. Si un Brexit dur survient, ces contrats, même s’ils ont valablement été émis, poseraient un problème quant au paiement des indemnités qu’ils prévoient. Les États ont néanmoins publié un encadrement juridique destiné à franchir cet obstacle. Les contrats ne sont évidemment pas annulés et les sinistres seront indemnisés, mais ils ne pourront pas être renouvelés en l’état. Il faudra que celui qui les renouvelle dispose d’une licence dans le pays concerné, et c’est le sens des législations introduites dans les pays de l’UE.
Le régime juridique post-Brexit est donc relativement réglé…
En effet. Demeure néanmoins la problématique de la gestion des contentieux. En quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni quittera également l’espace européen de coopération judiciaire qui règle les problèmes de compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions. Ainsi, les décisions de justice anglaises, concernant par exemple un assuré français, devront passer par les dispositions de droit international privé dont les procédures d’exequatur. C’est donc là que l’arbitrage retrouve tout son intérêt. À la différence de l’espace européen de coopération judiciaire, l’arbitrage n’est pas régi par des textes communautaires mais par une convention internationale, la convention de New York, qui prévoit sa reconnaissance au sein de tous les États signataires, dont le Royaume-Uni fait partie. Les procédures d’arbitrage ne sont donc pas touchées par le Brexit. Ainsi, ce mode alternatif de règlement des litiges offre dans ce cas particulier un système juridique plus prévisible et efficace que la justice étatique.
Quels sont vos prochains défis ?
Le premier est de s’ouvrir encore davantage au monde de l’assurance. L’arbitrage était initialement l’unique mode alternatif de règlement des conflits utilisé par les assureurs et les réassureurs. Il serait bénéfique qu’il soit étendu à d’autres catégories de litiges tels que ceux entre les assureurs et leurs distributeurs, voire entre les assureurs et les assurés. Notre autre défi est de faire connaître les bienfaits d’un centre spécialisé offrant des procédures spécialement adaptées au monde de l’assurance et de la réassurance. Nous souhaitons également agrandir le nombre de nos adhérents pour enrichir la liste de nos arbitres et de nos médiateurs de haut niveau au sein du Cefarea. Enfin, nous nous voulons un centre de réflexion, un think tank, touchant à l’arbitrage et à la médiation dans le milieu de l’assurance et de la réassurance, en rassemblant des experts de ce monde.