Adepte de l’interprofessionnalité, Pierre Cénac est un véritable spécialiste de la transmission d’entreprise. Il nous fait part de son expérience sur ces opérations, aussi passionnantes que périlleuses.

Décideurs. Les dispositions civiles et fiscales liées à la transmission d’entreprises sont-elles favorables aux entrepreneurs français ? Comment se place la France par rapport à ses voisins européens ?

Pierre Cénac. Le dispositif français est comparable à ceux utilisés dans le reste de l’Europe. Notre système juridique est même compétitif. La fiscalité applicable lors d’une transmission d’entreprise à titre gratuit est particulièrement favorable, grâce notamment au dispositif Dutreil. Notre environnement juridique nous offre les outils nécessaires pour satisfaire les attentes de nos clients-dirigeants. Certes, notre système demeure très technique, et, reconnaissons-le, parfois contraignant, mais lorsque l’entrepreneur est bien entouré, il doit pouvoir atteindre un niveau de fiscalité acceptable.

L’environnement fiscal est-il aussi accommodant lorsque la transmission a lieu sous forme de donation ou de cession ?

La situation est différente. Autant, il est possible de bénéficier d’une fiscalité immédiatement très favorable lorsque la transmission de l’entreprise est réalisée à titre gratuit, par donation notamment, autant lors d’une cession, les taux marginaux d’imposition peuvent être considérés comme élevés, jusqu’à 45 %, et ainsi expliquer la volonté de certains dirigeants-cédants de vivre sous d’autres cieux.

C'est là que l'intervention des conseils du dirigeant prend tout son sens. Très souvent en effet, l'utilisation de toutes les ressources du droit français au service d'une stratégie globale, cohérente et, surtout, partagée par tous les intervenants (banquiers, notaires, expert-comptables, avocats, Family Office) permet de parvenir à une fiscalité ressentie comme juste, dans un cadre civil sécurisé.

« Notre système juridique est compétitif »

Les entrepreneurs ont-ils la possibilité de réinvestir les fruits de leur cession dans un cadre fiscal favorable ?

Il est effectivement possible de limiter l’impact de cette fiscalité lorsque le prix de cession ne profite pas directement au dirigeant, parce qu’il envisage soit une donation, soit un réinvestissement du prix de cession dans une activité économique. Selon un processus d’apport-cession, l’entrepreneur doit alors apporter les titres qu’il souhaite céder à une holding et réinvestir ensuite au moins 60 % du prix perçu par cette holding dans une activité économique.

Quels sont les secrets d’une transmission réussie ?

Le mot d’ordre est l’anticipation. Les dirigeants doivent prendre le temps de bien préparer leur transmission. Céder les rênes de son entreprise n’est pas qu’une affaire de fiscalité, c’est une opération personnelle pour le dirigeant. Est-il prêt à franchir le pas ? À changer de vie ? Les décisions qui seront prises auront un impact sur l’équilibre de sa famille. La transmission doit en conséquence être considérée avant tout comme une opération familiale, avec toutes les questions relationnelles que cela implique. Il faut prendre en compte les envies et les besoins de chacun et, le cas échant, accompagner la famille pour assurer une « dépersonnalisation » suffisante, afin de mettre en place une gouvernance parfaitement adaptée à l’entreprise. La transmission est le point final d’un processus qui doit être long, réfléchi, pour en anticiper toutes les conséquences.

Les plus grands chocs culturels interviennent à l’arrivée d’un successeur sans que les collaborateurs y soient préparés. Quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour réussir leur transition ?

Il faut préparer l’entreprise, accompagner le mouvement pour la faire arriver petit à petit et éviter l’effet « parachutage ». Le dirigeant doit réfléchir à un parcours initiatique pour les générations descendantes, afin de leur permettre de s’intégrer progressivement dans un organigramme où ils auront leur place et leur légitimité.  La réflexion doit d’abord être abordée sous l’angle de la famille avant de penser aux questions fiscales. Les éventuels gains fiscaux ne doivent pas se faire au détriment de l’activité économique de la société.

Propos recueillis par Aurélien Florin et Théo Maurin-Dior

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