Alors qu’Idinvest est entré dans l’escarcelle d’Eurazeo il y a maintenant un an, Benoist Grossmann, son managing partner en charge de l’activité venture/growth, évoque les répercussions de l’opération et les évolutions sur le marché du capital-risque.

Décideurs. L’année dernière a été marquée par l’acquisition d’Idinvest par Eurazeo. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?

Benoist Grossmann. En avril 2018, le fonds d’investissement IDI a vendu la totalité de sa participation, c’est-à-dire 50 % de la société, à Eurazeo, qui a également racheté le tiers des actions des managers, si bien qu’aujourd’hui Eurazeo détient 70 % d’Idinvest. Nous exerçons cependant des métiers assez différents. Eurazeo se positionne sur de grosses opérations, comme Moncler, alors qu’Idinvest fait notamment du venture. La seule intersection concernait l’activité croissance, Idinvest Growth chez l’un, Eurazeo Croissance chez l’autre. Les deux équipes, qui représentent au total six personnes, ont été rassemblées, et commencent à lever un fonds commun. Ce qui fait la beauté du modèle de fonctionnement des deux maisons c’est l’addition des forces sans synergies négatives. Le groupe dispose désormais d’une taille significative. Alors qu’Idinvest gérait huit milliards d’euros, le rapprochement avec Eurazeo porte le groupe à 20 milliards de dollars, et offre une gamme beaucoup plus étendue aux investisseurs : seed, venture, growth, dette, fonds Eurazeo PME, large cap, etc.

À propos d’investisseurs, quelle est la nature de vos LPs ?

La base d’investisseurs d’Idinvest est très variée : bancassureurs, compagnies d’assurances, fonds de pension, souverains, family offices et corporates. Historiquement 100 % française, elle s’est étendue aux investisseurs européens, américains, moyen-orientaux et enfin asiatiques. Pour bâtir une base d’investisseurs, il faut quinze à vingt ans et aujourd’hui, Idinvest dispose d’un réseau mondial. À l’international, nous avons des fonds de fonds nord-américains et commençons à avoir des fonds souverains du Moyen-Orient, comme Mubadala. Le fonds émirati a réalisé son premier ticket en France dans notre fonds de venture. Les fonds souverains viennent de plus en plus dans le secteur et s’intéressent davantage à la France et à l’Europe. Nous avons également accueilli les premiers fonds asiatiques l’année dernière, à savoir des fonds de pensions et des compagnies d’assurances coréennes.

Quelles relations entretenez-vous avec eux ?

Ces relations s’inscrivent par définition sur le long terme. C’est pourquoi nous apprécions les family offices, présents dans la durée. Nous entretenons également de bonnes relations avec des corporates, avec lesquels c’est très différent car l’investissement n’est pas leur métier. Dans le cas d’une crise de liquidité, ils n’ont pas d’intérêt à investir dans du venture. Par ailleurs, les équipes dirigeantes ou la stratégie peuvent avoir changé entre deux levées.

Une de vos activités, aux côtés de la dette d’acquisition et du fonds de fonds, est le venture/growth. Comment le définiriez-vous ?

Les définitions entre le venture et le growth sont mouvantes, à l’instar des séries A et B, la série A étant ce qu’était la série B il y a trois ans. Le venture concerne les premiers tours et le growth le financement de l’expansion des sociétés en très forte croissance, qui bien souvent ne sont pas encore profitables. En termes d’activité, tout le venture/growth, c’est du digital, secteur dans lequel Idinvest investit exclusivement, puisque le venture finance l’innovation et le growth accompagne la croissance. Et c’est le seul qui allie innovation et croissance aujourd’hui. Il est très vaste puisqu’il rassemble intelligence artificielle, blockchain, fintech, etc.

« Nous jouons notre rôle d’investisseur en finançant les entrepreneurs du début à la fin »

Quel est le positionnement d’Idinvest ?

L’objectif est d’attirer les bons entrepreneurs. Pour ce faire, il faut montrer qu’ils peuvent nous faire confiance, que nous les accompagnons dans la durée et les aidons dans les moments où ils en auront besoin. C’est ce que nous avons fait avec Talend, notamment, que nous avons financé de 2006, jusqu’à sa sortie sur le Nasdaq en 2016, et qui vaut aujourd’hui 1,5 milliard de dollars. On oublie souvent qu’au-delà de ce parcours exceptionnel, la société a rencontré des difficultés, et qu’entre 2010 et 2013, Idinvest s’est chargé des paies en fin de mois. Nous jouons notre rôle d’investisseur en finançant les entrepreneurs du début à la fin, sans couper au premier coup de grisou. Même une entreprise qui réalise une sortie exceptionnelle rencontre des points bas. Financer une entreprise qui se porte bien est facile, c’est quand ça va mal que vous reconnaissez les bons investisseurs, ceux qui ne vous laissent pas tomber.

Plus récemment, quelle a été l’activité d’Idinvest ?

Notre troisième fonds digital a procédé à un premier closing à 180 millions d’euros en avril 2018. Un an plus tard, il est investi à hauteur de 15 à 20 %, sur un objectif final de 350 millions d’euros. Nous avons par exemple investi dans la plateforme de crowdlending Lendix, rebaptisée depuis October, pour son développement international, et dans le courtier en assurance +Simple. L’IA et la fintech drainent de nombreux investissements, mais il faut savoir être opportuniste dans notre métier ; aucun secteur n’est interdit, tant que les deals sont bons. Avant tout il s’agit de rencontres avec des entrepreneurs, comme avec Thomas Rebaud, cofondateur de la start-up de production de photos Meero, qui fait preuve d’une énergie hors pair.

Quelles évolutions observez-vous sur le marché ?

Il y a beaucoup d’entreprises de qualité et de l’argent pour les financer. Alors que les prix augmentent, du fait de la concurrence, la qualité des entreprises est telle que les multiples restent les mêmes à la revente. Par ailleurs, les entrepreneurs sont de plus en plus aguerris. Ils sont également plus jeunes, et nous pouvons financer des créateurs de start-up dès qu’ils sortent de l’école, ce qui n’aurait pas été envisageable cinq ans auparavant.

Comment l’expliquez-vous ?

En premier lieu par le digital, sur lequel repose le marché, et dans lequel il reste encore tout à faire. Concernant la qualité des entrepreneurs, ils sont tous digital natives et baignent dans le milieu ; ils sont aussi mieux formés car toutes les écoles de commerce et d’ingénieurs disposent désormais d’une practice entrepreneuriat. Enfin, les entrepreneurs mythiques suscitent des vocations. Ce sont les serial entrepreneurs qui ont fait le succès de la Silicon Valley, à l’instar de Bill Gates ou Mark Zuckerberg, avec lesquels tout le monde veut s’associer. En France et en Europe, des noms comme Jacques-Antoine Granjon, Marc Simoncini ou Jean-Baptiste Rudelle créent un appel d’air, et de nombreuses personnes veulent s’identifier à eux. Ce cercle vertueux commence à se mettre en place. La Silicon Valley a mis soixante ans à créer son écosystème. En France, il n’a commencé à se bâtir que depuis la bulle internet.

Comment envisagez-vous le venture à l’avenir ?

Beaucoup de choses restent à faire, et donc à financer, dont on n’a pas encore idée aujourd’hui. L’exemple de Deezer, que nous avons financé en 2009 sur un modèle économique basé sur la publicité vidéo, est probant. Nous n’aurions jamais imaginé que les utilisateurs seraient prêts à payer un abonnement mensuel pour écouter de la musique. Les habitudes de consommation évoluent, on ne possède plus les choses, et dans notre métier, il faut savoir financer l’entreprise au bon moment.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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