Game of Thrones, money is coming
Pas moins de 17,4 millions de téléspectateurs devant leur écran au moment de la diffusion. 54 millions de téléchargements illégaux en 24h. Le premier épisode de la saison 8 de Game of Thrones a de nouveau battu des records de visionnage, s’imposant comme la grand-messe mondiale du divertissement. Une série phénomène, tirée du cycle rédigé par George R. R. Martin, qui a débuté en 2011 et fait la fortune de ses créateurs et interprètes.
Succès d’édition
Le cycle rédigé par George R. R. Martin serait devenu l’œuvre de fantaisie la plus vendue dans le monde après le Seigneur des Anneaux de Tolkien. D’après des chiffres datant de 2018, Song of Ice and Fire, dont le premier tome, paru en 1996, se serait vendu à 45 millions d’exemplaires aux États-Unis et 90 millions à travers le monde.
Après des ventes initiales peu encourageantes, il faudra attendre le troisième volume de la série, A Storm of Swords (2000), pour voir une œuvre de Martin atteindre les sommets de la liste des best-sellers établie par le New York Times. Le quatrième volume, A Feast for Crows, paru en 2005, s’est vendu à 5 millions d’exemplaires et A Dance with Dragons (2011) à 12 millions à travers la planète. 2011, c’est aussi l’année du lancement de la série développée par HBO, qui fait s’envoler les ventes de livres. En avril 2015, le cycle s’était vendu à 58 millions d’exemplaires et à 70 millions en 2016.
Les revenus de George R.R. Martin permettent de se faire une idée de l’empire économique qu’est devenu Game of Thrones. En 2012, ces derniers sont estimés à 15 millions de dollars et Martin fait son apparition, au douzième rang, dans la liste des auteurs les mieux rémunérés établie par Forbes. En 2016, ses revenus annuels étaient estimés à plus de 25 millions de dollars – dont 15 millions provenant des royalties versées par HBO ainsi que 10 millions de la vente de ses livres –, et sa fortune évaluée à 65 millions de dollars par Celebrity Net Worth. Par comparaison, en 2017, les revenus de l’auteur de la saga Harry Potter, J.K. Rowling, étaient chiffrés à 95 millions de dollars.
Dragon aux œufs d’or
L’autre grand gagnant de ce succès, c’est bien sûr la chaine de télévision américaine HBO qui diffuse la série depuis 2011. La saga imaginée par George RR Martin s’est avérée un véritable dragon aux œufs d’or. Malgré des coûts de production en constante hausse – 60 millions de dollars pour la première saison qui comptait 10 épisodes contre 100 millions pour les sept épisodes de la saison 7 –, l’adaptation rapporterait, selon les calculs du New York Times, un milliard de dollars chaque année à HBO grâce aux abonnements mais aussi à la publicité et à la vente de produits dérivés (jeux vidéo, Monopoly estampillé « GoT », etc.). La chaîne américaine affiche d’ailleurs une santé financière rassurante : en 2017, son chiffre d’affaires atteignait 6,3 milliards de dollars, en progression de +7 % sur un an.
L’engouement pour Game of Thrones a propulsé sur le devant de la scène des acteurs dont la plupart étaient jusque-là inconnus du public, et qui, alors que la série gagnait en popularité, ont pu renégocier leurs salaires à la hausse. Pour les deux dernières saisons, ses principaux interprètes, dont Kit Harington (Jon Snow), Emilia Clarke (Daenerys Targaryen) ou Peter Dinklage (Tyrion Lannister), sont ainsi rémunérés 500 000 dollars par épisode. Quant aux deux showrunners de la série, David Benioff et Dan B. Weiss, selon The Hollywood Reporter, ils gagneraient entre 100 000 et 300 000 dollars par épisode.
La guerre du divertissement
Au-delà de ces bons chiffres se déroule pourtant une véritable guerre stratégique et financière, sur fond de profond bouleversement des habitudes des spectateurs. En 2018, le géant américain des télécoms AT&T met la main sur Time Warner, maison mère de HBO, pour 85 millions de dollars et entame sa mue pour contrer l’émergence des plateformes de vidéo à la demande (VoD) comme Netflix ou Amazone Prime qui ont complètement bouleversé le paysage du divertissement. La télévision « à la papa » est délaissée au profit de nouveaux supports (smartphones, tablettes…) mais aussi de nouveaux modes de consommation.
La nouvelle direction d’HBO veut faire de la chaîne payante un concurrent direct de Netflix. HBO, qui compte environ 50 millions d’abonnés payants, se lançait dès 2015 dans la VoD avec la plateforme HBO Now. Avec 7 millions d’abonnés en 2018, celle-ci est cependant encore loin de pouvoir faire jeu égal avec les 55 millions abonnés de Netflix aux États-Unis et les 125 millions dans le monde. Pour AT&T, la solution passe par l’augmentation du temps passé par les spectateurs devant leur écran : en clair, jouer sur la quantité, alors qu’HBO a bâti son succès sur une réputation de qualité à laquelle Game of Thrones a largement contribué. Depuis l’annonce de cette nouvelle stratégie de contenus, la révolte gronde au sein d’HBO dont le patron, Richard Plepler, quittait, en février 2019, le navire.
La fin de la série – dont le dernier épisode est diffusé le 19 mai – pourrait donc aussi marquer celle d’un HBO capable de financer des séries comme The Wire, The Sopranos, Sex and the City, Six Feet Under… ou Game of Thrones.
Après l’hiver…
Le 19 mai 2019 ne signera cependant pas le dernier chapitre de son épopée financière. Outre les deux – ou trois – prochains tomes de la saga toujours à paraître, le filon a toutes les chances d’être exploité jusqu’à épuisement. Des spin off – séries dérivées de la série originelle – devraient faire leur apparition dans les années à venir. Le tournage du premier d’entre eux commencerait à l’été 2019 pour une diffusion en 2020.
Certains évoquent même la possible création d’une franchise, à l’instar de celles qui ont prolongé le succès de Star Wars ou de Harry Potter. David Benioff et Dan B. Weiss se sont d’ailleurs vu confier par LucasFilm, passé sous la coupe de Disney, le développement d’une nouvelle trilogie de la Guerre des étoiles. S’inspirant d’un « parc Harry Potter » installé au sein des studios Warner Bros de la banlieue de Londres, un parc dédié à la série, le Game of Thrones Studio Tour, ouvrira dès le printemps 2020 dans les lieux de tournage de la série en Irlande du Nord.
Winter is coming… les revenus aussi.
Cécile Chevré