Les effets attendus de la taxe Gafa
Après l’échec des négociations pour un accord mondial sur la taxation des services numériques à l’OCDE, la France se lance en solitaire dans la bataille contre les Gafa. Si les recettes fiscales escomptées s’élèvent à 400 M€ pour l’exercice 2019, ce montant devrait croître significativement les années suivantes. La proposition du ministre de l’Économie et des Finances fixe une imposition à 3 % sur une assiette fiscale englobant les revenus générés par la vente de publicités ciblées en ligne et par la fourniture de services d’intermédiation. Un taux qui serait appliqué aux sociétés du secteur du numérique dont le chiffre d’affaires mondial est supérieur à 750 M€ et dépasse 25 M€ dans l’Hexagone.
Les consommateurs grands perdants
Mandatés par la Computer and communications industry association (CCIA), les cabinets Taj et Deloitte ont publié le mois dernier une étude indépendante sur l’évaluation de l’impact économique de la taxe sur les services numériques (TSN). Ils prédisent une augmentation du prix des biens de consommation et une réduction de profit des entreprises utilisant des plateformes numériques, car les firmes touchées directement par la nouvelle mesure répercuteraient en aval les pertes générées. In fine, la taxe affecterait en premier lieu les consommateurs, à hauteur de 324 M€, ainsi que les entreprises ayant recours aux places de marché numériques et à la publicité sur Internet pour 220 M€, conséquence d’une réduction de leurs profits. Concrètement, les entreprises initialement visées ne supporteraient qu’une part infime : 22 M€, de la charge totale liée à la TSN.
Critéo, seul Français dans le viseur
Comme le rappelle Gérard Haas, avocat associé fondateur du cabinet Haas Avocats : « Ce sont toujours les mêmes arguments qui sont avancés pour défendre ou pourfendre ce projet de taxe ». En plus de pénaliser les consommateurs, un des principaux dangers de cet impôt serait d’aboutir à une fiscalité mal ajustée qui pourrait peser sur les facultés de développement des acteurs nationaux. Or, d’après le rapport Taj-Deloitte, ce projet ne concernerait à l’heure actuelle qu’une poignée d’acteurs en France, dont les Gafa. Les sociétés en question seraient au nombre de vingt-six et sont bien connues du grand public : Alibaba, Ebay, Leboncoin, Booking, Randstad, Tripadvisor, Uber, Twitter, etc. Dans le domaine de la vente de biens et des intermédiaires de service, pas un groupe français n’est concerné, en revanche, dans le secteur de la publicité, seul Critéo répond aux critères d’éligibilité à cet éventuel impôt.
Un signal politique fort adressé aux géants du Net
Malgré les défauts du projet, difficile d’accepter que des firmes – se considérant au-dessus des États – ne s’acquittent pas de leurs impôts. Pourtant, le texte permet d’opérer un rééquilibrage des forces et d’appliquer des règles de concurrence identiques pour tous. Il s’agit là d’un signal politique fort adressé aux géants du Net.
La taxe ne pourra pas, en principe, être contournée par des montages financiers impliquant des paradis fiscaux
L’objectif poursuivi est de permettre une redistribution plus équitable des richesses dans le pays, d’autant plus que la taxe ne pourra pas, en théorie, être contournée par le biais de montages impliquant des paradis fiscaux.
La France, seule contre tous ?
Des effets contre-productifs sont tout de même à craindre : en l’absence de consensus au sein de l’Union européenne, la France se retrouverait dans une position isolée. L’Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande ont refusé, début mars, tout projet d’imposition des entreprises numériques. Une riposte de la part des États-Unis n’est pas non plus à exclure, qui se traduirait par une hausse des tarifs douaniers sur les produits français comme le vin ou le fromage. La France n’est pourtant pas le seul État à proposer d’instaurer une taxation pour les acteurs du numérique. L’Autriche débat actuellement de dispositions pour limiter la toute-puissance de ces multinationales et cherche même à aller plus loin que le dispositif envisagé par Bercy. Dans son projet de loi présenté la semaine dernière, le gouvernement autrichien propose une série de mesures fiscales concernant les entreprises du numérique. Un taux d’imposition de 5 % est prévu sur les revenus publicitaires sur la base des mêmes critères qu’en France – 750 M€ de chiffre d’affaires, dont 25 M€ sur le territoire national – et les articles vendus en ligne à un prix inférieur à 22 € ne bénéficieraient plus de l’exemption de TVA. Les plateformes de location en ligne, Airbnb en tête, seraient aussi rendues comptables des revenus non déclarés par leurs clients. La mesure adoptée en France serait cependant provisoire, en attendant un accord au sein de l’Union européenne ou de l’OCDE.
Anne Gabrielle Mangeret