Simmons & Simmons constate un retour de la place de Paris par rapport à Francfort
Décideurs. On parle souvent de critères ESG, mais la gouvernance est moins évoquée. Est-ce qu’être engagé revient à être un investisseur activiste ?
Thierry Gontard. Lorsque les dirigeants d’une entreprise sont confrontés à un activiste et que le dialogue ne se noue pas, ce dernier aura tendance, lors de l’assemblée générale suivante, à faire valoir ses points de vue auprès de la communauté des actionnaires pour accéder au Conseil d’administration et participer aux choix stratégiques, voire à tenter de provoquer un changement de dirigeants. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que les familles dirigeantes possèdent souvent un droit de vote double. En pratique, il arrive que des actionnaires fassent primer l’intérêt familial sur celui de la société globalement.
Ian Rogers. La politique ESG de la plupart des fonds est binaire (ils acceptent (ou non) le projet de résolution. Les propositions faites directement au board sont plus rares. Les fonds activistes ont une mauvaise presse en France. Cependant, beaucoup de fonds activistes s’inscrivent dans la durée.
Le milieu de la gestion d’actifs a connu la transposition de Mifid II et de la DDA en 2018. Quelles conséquences ces directives ont-elles eu sur votre activité ?
I.R. L’essentiel de notre clientèle n’est pas directement concernée par cette transposition (étant des sociétés de gestion). Les effets se ressentent de manière indirecte. Les changements sont moins forts que pour les anglais par exemple (à cause de la surtransposition de la FCA). Des études réalisées avec le concours de Bloomberg ont mises en exergue la diminution du nombre de professionnels qui se consacre à la recherche.
T.G. Mifid II a essentiellement fait évoluer l’activité des banques, notamment avec de nouvelles obligations concernant la documentation, la recherche et la commercialisation. Les banques ont modifié leur activité autour de ce qui a trait à la connaissance client, et de l’adéquation du conseil et à l’information sur les produits. Le parcours client est encore plus complexe et réglementé. Par exemple, l’une des thématiques récemment rencontrées, concerne les conditions de commercialisation de produits financiers, long terme notamment, aux populations âgées. Simmons & Simmons a assisté quatre grands groupes bancaires à l’occasion de contrôles sur ce point. Une consultation de place sur les best practices est en cours actuellement.
Pour l’ISR, quels types de consultations sont arrivées sur votre bureau ?
T.G. Les agences de notation de crédit commencent à intégrer l’ISR en plus de la notation financière afin d’apprécier la qualité d’un émetteur. La dimension ISR commence à faire partie intégrante de leur appréciation. D’ailleurs, certains grands gestionnaires en font une condition pour leurs investissements.
Agnès Rossi. Pour les fonds de private equity, les critères ESG représentent une préoccupation extrêmement importante, au-delà de l’aspect règlementaire. Respecter les critères ESG est devenu un argument de vente. Nous travaillons de concours avec les funds managers sur la question de la différenciation d’un fonds par rapport aux autres fonds. Actuellement, une réflexion est menée afin de modeler le montant du carried interest aux critères ESG. Avec la loi PACTE, la part de fonds réservée aux professionnels sera éligible aux contrats d’assurance vie. Dans ce cadre, les compagnies d’assurance nous interrogent sur les critères ESG et leur intégration dans le cadre de leur politique d’investissement et de rémunération. Cependant, ces critères ESG sont assez vagues, et s’appliquent au cas par cas. Ils diffèrent d’une société à l’autre.
Selon vous, comment réagissent les sociétés de gestion face au Brexit ?
T.G. On constate un retour de la place de Paris par rapport à Francfort dans les intentions de localisation.
I.R. Dans le cadre du Brexit, nous avons conseillé des sociétés de gestion et des entreprises d’investissement qui souhaitent s’implanter à Paris afin de pouvoir continuer à commercialiser leurs produits en Europe. Il y a beaucoup de demandes. Nous conseillons beaucoup de clients sur la restructuration de leur activité européenne et il me semble que la majorité d’acteurs britanniques ne veulent établir qu’une succursale à Paris (car ils avaient déjà une société de gestion irlandaise ou luxembourgeoise). Nous avons suivi de près le projet de loi qui visait à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (qui vient d’être adopté le 17 janvier 2019) et qui donne dorénavant le pouvoir au Gouvernement de combler les lacunes en cas de hard Brexit par voie d’ordonnance. Pour nous, c’est un document important - surtout pour gérer les inquiétudes concernant les prêts et contrats dérivés en cours ; mais également pour répondre aux inquiétudes relatives à l’impact du Brexit sur les PEA, notamment puisqu’en case de hard Brexit tous les composants anglais des indices et ETF européennes ne seront plus éligible.
Que pensez-vous de l’utilisation des ETF ?
I.R. Mifid II représente un avantage pour les ETFs. Avec des frais de gestion très bas par rapport aux fonds gérés activement, ils affichent des coûts et charges beaucoup moins élevés que d’autres fonds. De plus, vu qu’ils ne fonctionnent pas avec des rétrocessions, de plus en plus de conseillers, et notamment ceux qui veulent promouvoir un portefeuille global, vont orienter leurs clients vers les ETFs.
Propos recueillis par Yacine Kadri