P. Poletti (Ardian) : « Ardian est le premier acteur européen et le cinquième mondial »
Décideurs. Peut-on dire qu’Ardian est aujourd'hui un acteur du large-cap, compte tenu du nombre de deals au-delà du milliard d’euros que vous réalisez avec le fonds buyout?
Philippe Poletti. Chacun a sa vision de la segmentation du marché du capital-investissement selon la taille des opérations. En fonction des pays, le large-cap commence entre 500 millions et 1 milliard d’euros de valeur d’entreprise (VE). Quand on étudie notre dernier véhicule de buyout, 50 % de nos deals sont entre 500 millions et 800 millions d’euros de valorisation, contre 30 % entre 300 millions et 500 millions d’euros de VE, et 20 % au-dessus du milliard. Nous sommes donc majoritairement large-cap.
Ce virage vers le large-cap est-il une conséquence directe du succès de votre société de gestion? Les LPs vous confient plus d’argent, et vous devez donc accompagner de plus grands groupes…
À ce jour, Ardian est l’acteur qui possède la plus grande présence locale dans la zone Euro. La plupart de nos concurrents sont anglo-saxons ou ont une majorité des professionnels de l’investissement basés à Londres. Grâce à notre forte présence en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, nous bénéficions d’une capacité de « sourcing » inégalée. Ce critère est très apprécié de nos LPs. Dans notre dernier fonds, 62 % de nos transactions sont propriétaires et primaires. De façon assez paradoxale, nous avons à la fois augmenté la taille moyenne de nos deals et élevé la proportion de deals propriétaires et primaires. Kersia, Assystem Technologies et DRT font partie de nos belles acquisitions primaires récentes.
Nous avons à la fois augmenté la taille moyenne de nos deals et élevé la proportion de deals propriétaires et primaires
Ce positionnement « glocal » reflète-t-il ce que vous faites dans le monde à travers vos différents produits finalement?
Ardian gère 90 milliards de dollars d’actifs. C’est le premier acteur européen et le cinquième mondial. Nous sommes effectivement multi-produits avec une empreinte géographique très marquée en Europe et aux Etats-Unis. Toutes les activités sont en croissance. En particulier le fonds de fonds (secondaire) et le fonds infrastructures qui sont respectivement leaders mondial et continental. Quant à l’investissement direct, dans le mid-cap, le fonds Expansion est incontournable en France, Allemagne et Italie. L’équipe growth a elle levé 240 millions d’euros, ce qui en fait un acteur important de son marché. L’activité de private debt, dirigée depuis Londres, est aussi très européenne. Enfin, le real estate, la petite dernière, a déjà investi un first-time funds de 700 millions d’euros !
Parmi ces cinq piliers d’investissement (fonds de fonds, infra, direct, private debt, real estate), y a-t-il une volonté de développement homogène ou comptez-vous accélérer sur un produit spécifique?
Aujourd’hui, la stratégie de croissance est homogène et globale à travers nos différentes activités. Cependant, nous notons une forte progression du fonds de fonds, de l’infra et des LBO.
Parlons du pôle dont vous êtes responsable, le buyout dans le large-cap. Quels sont les deals qui ont marqué ces dix-huit derniers mois, notamment à l’étranger?
En Espagne, nous avons accompagné Monbake dans le pain et la viennoiserie surgelés. Nous avons fusionné les numéros trois et cinq du marché pour créer le numéro deux. Chose assez originale, notre investissement s’est fait dans le même temps que le rapprochement entre les deux entreprises. On parle d’une valeur d’entreprise de 500 millions d’euros, et il s’agit de notre premier LBO en Espagne. L’affaire se porte très bien. Comme dans chaque région où nous nous implantons ̶ le bureau espagnol a ouvert il y a trois ans ̶ nous avançons avec prudence et détermination.
En Belgique, dans l’aromathérapie, nous soutenons Inula, et en Italie, nous avons pris une participation dans Neopharmed Gentili sur la base d’une valorisation de 500 millions d’euros de ce groupe pharmaceutique familial. Le père et la fille voulaient une liquidité alors que le fils souhaitait poursuivre l’aventure. Toujours de l’autre côté des Alpes, nous avons acquis l’intégralité de Celli, une entreprise spécialisée dans les systèmes de distribution de boissons (bières, eau, sodas…). Clairement, ce ne sont pas des dossiers que l’on réaliserait avec un Italien à Londres. Les carve-out et les transmissions de capital familial sont les opérations les plus risquées. Il faut être au plus près du business, comprendre la dynamique d’un marché, les chiffres et développer une affinité avec le management.
Les carve-out et les transmissions de capital familial sont les opérations les plus risquées
Votre historique est plus dense en France bien sûr. Quelles sont les dernières lignes du portefeuille?
Au-delà de 500 millions d’euros de valorisation, nous avons soutenu le groupe pharmaceutique Unither. À plus d’un milliard d’euros, toujours en 2017, nous avons racheté la chaîne de magasins de produits frais Grand Frais et réalisé le carve-out de la filiale de R&D d’Assystem, Global Product Solutions, devenant dans la foulée Expleo, champion de international de l’ingénierie (automobile, aéronautique…). Dans la foulée, nous lui avons associé une société allemande, SQS Software.
Ajoutons une précision qui a son importance, Assystem qui a conservé une participation de 40 % dans l’ensemble, marque de sa foi dans le projet de croissance malgré ses vives ambitions dans le domaine de l’énergie dont le nucléaire ̶ Assystem s’est appuyé sur le produit de cession pour investir dans Areva. Outre notre relation de confiance avec les familles, un dossier comme celui-ci démontre notre capacité à travailler avec de grands industriels.
Plus récemment, nous nous sommes portés au capital de DRT, l’un des leaders mondiaux de la production d’ingrédients issus de la chimie du végétal. C’est encore un deal au-dessus du milliard d’euros. Une énième preuve de l’existence d’un vivier de groupes français à la pointe de leur secteur dans le monde, et qui ne font pourtant pas la une des médias. Il y a quelques semaines, le dossier Revima, spécialiste de la maintenance aéronautique, a été conclu. Dans la dernière ligne droite, on était en concurrence avec des stratégiques et des fonds, mais l’équipe de management nous a choisis. Non seulement pour notre réputation mais surtout pour notre capacité à les accompagner dans leur plan de croissance. Dans leur cas, la taille du business pourrait vite tripler.
Vous êtes aussi entrés au capital de l’assureur SFAM il y a quelques mois. Une participation minoritaire dans un groupe en hypercroissance assez discret. Quel était le contexte de cette opération?
SFAM est à l’origine un courtier d’assurances de produits nomades (smartphones, tablettes…). En pleine croissance, le groupe a diversifié son offre et propose désormais une carte de cashback et des services de création de sites Internet, moyennant un forfait mensuel, par le biais de sa plateforme Hubside. Le postulat de SFAM : les consommateurs sont prêts à payer une assurance relativement coûteuse à condition que le remboursement en cas de casse ou de vol de l’appareil soit immédiat et sans contrainte. Cela marche très bien. La société est l’une des plus performantes du secteur et très rentable. Le patron, Sadri Fegaier, nous a fait confiance et ne nous a pas mis en concurrence.
La société SFAM est l’une des plus performantes du secteur et très rentable
Il y a quelques semaines, vous vous êtes également distingués en Angleterre avec la reprise de Study Group, l’entreprise de formation des étudiants à l’entrée dans de grandes universités anglo-saxonnes. Cela faisait un petit moment que l’on ne vous avait pas vu investir en direct au « UK » ...
C’est vrai que l’on avait fait qu’un dossier en Angleterre en trois ans avant cette opération auprès de Study Group. Ces temps-ci, le Brexit invite à la prudence. Néanmoins, Ardian conserve des positions long-terme dans ses différentes géographies, et il n’était pas question de quitter le Royaume-Uni. Study Group ne puise que 40 % de ses revenus en Angleterre, le reste provenant essentiellement de l’Australie et des Etats-Unis. La société a d’ailleurs un bel avenir devant elle tant les universités américaines ̶ elles font face à une pénurie d’étudiants locaux lourdement endettés ̶ et anglaises ̶ la perspective du Brexit pourrait limiter les étudiants européens ̶ convoitent les candidats des régions asiatiques, africaines et du Moyen-Orient.
FS