Eric Heurtaux (Worldline) : « Je dois jongler entre le quotidien de la DAF et un agenda M&A chargé »
Décideurs. Quelles sont les spécificités de votre direction financière ?
Eric Heurtaux. En plus des fonctions classiques de la DAF, deux éléments sont particulièrement importants. D’abord, la relation investisseurs. En tant que société cotée, nous avons beaucoup d’interactions avec les analystes, actionnaires et investisseurs, avec lesquels nous échangeons a minima chaque trimestre. Ensuite, la composante transformation est très présente au sein de toute l’entreprise et aussi de la DAF. Nous sommes constamment en recherche d’amélioration de nos performances. La direction financière de Worldline couvre une trentaine de pays, ce qui implique également un volet controlling et support aux opérations conséquent.
Votre relation avec Atos va bientôt évoluer. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Effectivement, Atos détient aujourd’hui un peu plus de 50 % des actions Worldline. Nous sommes une société indépendante mais consolidée au sein du groupe Atos. Au mois de mai, cette consolidation cessera si le projet proposé par Atos à ses actionnaires est voté en assemblée générale.
Quels défis cela implique-t-il pour la direction financière ?
Le principal défi sera de définir une trajectoire nouvelle en matière d’outils informatiques pour les équipes Finance. Nous opérons déjà de façon autonome avec des relations contractuelles bien définies du fait de nos actionnariats distincts. En revanche, nous nous reposons sur plusieurs outils Atos, que nous allons devoir progressivement remplacer. C’est le cas par exemple de notre ERP, mais aussi des outils de gestion RH pour citer d’autres directions. Ce sera donc avant tout un défi technique.
« Nous sommes constamment en recherche d’amélioration de nos performances »
À quels challenges faites-vous face au quotidien ?
Le principal challenge de ce poste est lié au fait que Worldline est une société en constante évolution. En 2014, la société a réalisé son IPO avec une valorisation à 2 milliards d’euros. Aujourd’hui, elle vaut plus de 9 milliards d’euros. Je dois être capable d’accompagner cette croissance, organique comme externe, mais aussi de montrer une certaine flexibilité. Je dois jongler entre le quotidien traditionnel de la DAF et un agenda chargé en matière de M&A. En tant que société cotée, je dois également faire converger les attentes de nos investisseurs avec les ambitions fixées en interne.
Comment structurez-vous les phases d’intégration de vos acquisitions ?
Nous avons des équipes dédiées aux opérations M&A. Concernant l’intégration en revanche, nous nous appuyons autant que possible sur les équipes opérationnelles. La difficulté d’une acquisition tient à la multiplicité des enjeux qu’il faut gérer dans un temps très court. Pour l’atténuer, nous planifions en amont et de façon très granulaire les différentes actions qui vont nous permettre de mener à bien l’opération puis l’intégration. Par exemple, nous avons acquis Six Payment Services l’an dernier. Le rachat a été annoncé en mai et finalisé en novembre. Dans ce laps de temps, nous avons préparé le plan d’intégration afin que dès le 1er décembre, les équipes sachent exactement dans quelle direction aller, leurs priorités, où se positionner dans le nouvel organigramme, etc. Les potentielles synergies étant nombreuses, nous devons également travailler sur l’accompagnement du changement. Cela implique d’anticiper et d’identifier les écarts de culture entre la société acquise et la nôtre afin de définir une trajectoire de convergence.
« Souvent, les failles de sécurité ne sont pas liées aux machines mais à l’humain »
La cybersécurité est-elle également un défi pour la DAF ?
Ce sujet me tient particulièrement à cœur, ayant été dans le passé DAF de la division Big Data et Sécurité d’Atos. La protection liée aux attaques potentielles est un sujet très important pour Worldline, en tant que société de services de paiement. Nous gérons des milliards de flux et nous nous devons d’avoir les systèmes opérationnels et financiers les plus robustes possibles pour résister aux attaques, qui sont de plus en plus difficiles à détecter. La cybersécurité est donc un point de vigilance très fort qui passe par des systèmes informatiques sophistiqués, mais pas seulement. Souvent, les failles de sécurité ne sont pas liées aux machines mais à l’humain. C’est pourquoi les collaborateurs sont formés, sensibilisés aux process à respecter et à la forme que peuvent prendre les attaques. C’est grâce à cette formation que nous avons les meilleures chances d’éviter ces risques.
Depuis plusieurs années, l’automatisation des tâches est un sujet incontournable de la DAF. Qu’en est-il au sein de Worldline ?
Étant une société particulièrement portée sur la technologie, Worldline est assez avancée dans le domaine. L’automatisation n’est pas complètement nouvelle : les premiers ERP sont en place depuis plus de dix ans ! Ce qui change aujourd’hui, c’est la multiplicité des données qui peuvent être agrégées et analysées par ces systèmes, en provenance d’outils très différents. Cela nous permet d’effectuer un travail de synthèse extrêmement complet. Les nouvelles possibilités offertes par une robotisation plus pointue nous permettent de répondre aux besoins des différentes entités de la société de façon très précise, en leur proposant des analyses prospectives qui servent directement leur business.
« Peu à peu, nous donnerons accès à l’information financière directement aux utilisateurs finaux »
Comment les équipes de la direction financière accueillent-elles ces évolutions ?
Elles sont en général bien accueillies. L’essentiel est de bien communiquer et de faire comprendre aux équipes quel en est le bénéfice : passer plus de temps sur l’analyse plutôt que sur la production de chiffres. Peu à peu, nous donnerons accès à l’information financière directement aux utilisateurs finaux. Ainsi, les équipes Finance se concentreront sur le pilotage et l’aide à la prévision.
Comment voyez-vous l’évolution de votre métier de directeur financier ?
Aujourd’hui, le DAF est impliqué dans toutes les décisions d’importance. Mon rôle dans le futur sera d’être encore plus efficace et force de proposition au sein de l’équipe de management. Il faudra également m’assurer que nous continuons à évoluer en matière technologique, pour rester à l’état de l’art au niveau des outils et des pratiques de la direction financière. Proposer un environnement de travail le plus agréable possible est un moyen d’avoir une équipe efficace, mais aussi d’attirer de nouveaux talents.
Propos recueillis par Camille Prigent