Régis Brochot (Banque Richelieu France) : « Toute notre activité est orientée gagnant-gagnant »
Décideurs. Quel marché couvre la banque privée aujourd’hui en France ?
Régis Brochot. Actuellement en pleine évolution, c’est un marché très dynamique mais très concurrentiel avec de très (trop ?) nombreux acteurs. L’application de Mifid II début janvier 2018 (et donc ses conséquences en matière de PNB) va changer la donne dans beaucoup d’établissements mais les effets ne seront réellement quantifiables qu’en 2019. La banque privée est une activité qui a fait rêver et fait encore rêver de nombreux établissements autant pour l’image qu’elle véhicule que pour son caractère financier supposé récurrent et sans risques. L’année 2018 a eu son lot d’annonces d’institutions financières voulant entrer dans ce marché sur un ou plusieurs segments, quand d’autres décidaient de jeter l’éponge. Tous les intervenants se heurtent à la même problématique : quel segment adresser et avec quelle réelle proposition de valeurs ?
Ceci étant, la création de richesse générée par l’entreprise et les entrepreneurs, première source de « deal flow » de la banque privée et plus particulièrement de la gestion de fortune s’accélère en France et la bonne santé du marché des fusions-acquisitions et du private equity nous le confirme. La politique fiscale du président Macron a convaincu une partie de la clientèle éligible à cette activité de rester en France, notamment avec la suppression de l’ISF et l’instauration de la flat tax. Dans le même temps, cette activité subit directement la volatilité des marchés, entraînant de forts aléas sur la rentabilité et où la transparence des frais remet en cause certains comportements et donc certains modèles économiques.
La priorité reste donc le client qui doit être (ou revenir) au centre des préoccupations. Il convient donc d’être proche de lui et d’être proactif, d’autant plus dans un environnement de marché compliqué. Nos clients sont aujourd’hui, et c’est une bonne chose, plus avertis qu’auparavant, avec des besoins et des exigences qui sont bien loin d’entrer dans les standards du passé. Chez Banque Richelieu France, toute notre activité est orientée « gagnant-gagnant ». Nous sommes un prestataire de services à valeur ajoutée et non un vendeur de produits offrant une vision passée de la banque privée.
Comment percevez-vous l’intérêt grandissant pour les millenials ?
Les millenials sont une clientèle que beaucoup de banques souhaitent approcher. Néanmoins, il faut prendre conscience que ces jeunes start-uppers ne sont pas si nombreux que ça. Ils ont des besoins totalement différents des clients plus « traditionnels » de la banque privée. Nous nous sommes rendu compte qu’ils ont une faible connaissance de la finance patrimoniale, alors qu’ils ont une expérience financière du fait de la création et du développement de leur entreprise. Pour répondre à leurs attentes, nous devons différencier notre offre pour bien comprendre leurs enjeux. S’ils sont très friands d’outils digitaux, ils le sont autant d’échanges humains, ce qu’aucune machine ne peut faire. Être entièrement digital dépend de la stratégie que l’on souhaite mettre en place. Enfin, l’outil dématérialisé peut être utile dans l’exécution de tâches répétitives ou à faible valeur ajoutée, mais, en matière de gestion de fortune, rien ne pourra remplacer le conseil humain et personnalisé.
Que pensez-vous de la segmentation de la clientèle qui s'opère actuellement ?
Si elle peut être opportune au regard d’une partie de la clientèle UHNWI [ndlr. Ultra High Net Worth Individuals], celle-ci ne représente qu'une part infime de cette segmentation. Elle peut prendre son sens dans le cadre de clubs deals dédiés appelant des investissements très élevés. Néanmoins, quel que soit le client, il est nécessaire d’avoir une réactivité totale ainsi que des collaborateurs de très bon niveau, toujours à même de comprendre les besoins effectifs des clients.
Selon vous, gestion active et gestion passive sont-elles opposées ?
Il y a un grand débat aujourd’hui sur ce sujet. Je suis entièrement d’accord sur le fait que la gestion passive, à moindre coût, qui produit une performance égale à celle d’une gestion active, a toute sa place. Toutefois, bien des gérants de talent créent de l’alpha. Ce sont ces fonds, gérés par ces personnes, que nous proposons à nos clients. Gestion active et gestion passive [ndlr. indicielle] ne sont donc pas opposées, mais bien complémentaires. L’ADN de Banque Richelieu France est la gestion active de conviction avec un biais small et mid cap, cependant nous encourageons systématiquement la sélection de fonds externes dans notre allocation d’actifs, s’ils correspondent aux objectifs de nos clients.
Que pensez-vous du private equity en tant que banquier privé ?
Je vois ce type d’investissement d’un très bon œil. Néanmoins, ce produit doit être regardé avec prudence. En effet, malgré son intérêt, il est illiquide en plus d’être chargé en frais. En ce sens, il est davantage réservé à des investisseurs disposant d’un patrimoine important. Ensuite, bien que les succès du private equity soient très régulièrement évoqués, on parle assez peu des nombreux échecs. Par ailleurs, le private equity ne doit pas englober qu’une vision financière, car au bout de la chaîne il y a une entreprise avec ses effectifs. Aujourd’hui, nous sommes assez prudents sur cette classe d’actifs relativement coûteuse. Enfin, toutes les banques privées se posent la question de lancer une offre in house. Il faut comprendre que nous exercons un vrai métier qui nécessite d’investir dans des équipes dédiées ainsi qu’une mobilisation importante de capitaux accompagnée d’engagements fermes qui doivent être honorés le moment venu.
Propos recueillis par Yacine Kadri