Jean-Louis Mentior (M5) : « La stratégie de croissance externe est de plus en plus visible »
DÉCIDEURS. Quelles sont les stratégies de croissance qui ressortent de ce classement ?
JEAN-LOUIS MENTIOR. La croissance ne nécessite plus forcément d’accumuler en interne toutes les compétences. Les nouveaux business models externalisent largement les activités qui n’ont pas une implication stratégique majeure pour l’entreprise. La croissance peut alors être plus rapide, sans avoir à prévoir des investissements matériels ou humains. Grâce aux acquisitions tout est disponible et directement mobilisable en externe.
Les entreprises en croissance réalisent de plus en plus d’acquisitions, et tout d’abord pour se développer à l’étranger. Les cibles sont alors des petits concurrents qui ont oublié de s’internationaliser et dont la technologie est complétée ou remplacée par celle de l’acquéreur. Quant à ce dernier, il met la main sur un personnel qualifié, des clients et des leads.
Autres objectifs possibles de ces acquisitions, une concentration d’entreprises concurrentes ou un élargissement de la gamme de produits avec des activités complémentaires.
Cette stratégie de croissance externe est de plus en plus visible cette année, par rapport aux années précédentes.
Comment expliquer que les entreprises se lancent à une telle chasse à la croissance ?
Le premier avantage est évident : une forte croissance augmente la valeur de l’entreprise. Celle-ci est souvent un multiple de l’Ebitda, et, toutes autres choses étant égales, une croissance plus soutenue va augmenter le niveau du multiple utilisé pour la valoriser.
Il y a même parfois une course à la croissance au cours de laquelle les entreprises en acquièrent d’autres à un faible multiple, permettant à l’acquéreur d’augmenter le sien. Une haute valeur de l’entreprise consolidée va aussi lui permettre d’obtenir à bon compte les capitaux permanents qu’elle utilisera pour booster sa croissance… Et le cercle vertueux est ainsi bouclé et consolidé.
Il ne faut cependant pas oublier le « facteur humain ». Il semble plus facile et il est certainement plus agréable de gérer une entreprise en croissance qu’une entreprise en difficulté : plus humain d’engager que de dégager, plus intéressant d’avoir à choisir parmi une pléthore d’opportunités que d’avoir à couper des branches d’activité.
L’effet d’expérience de l’entrepreneur à forte croissance est aussi très important, comme un soliste qui deviendrait chef d’orchestre. Bon nombre des recettes sont transmissibles et reproductibles.
Quelles sont les évolutions que vous voyez se dégager de ce classement ?
Nombre d’entreprises vont vivre une croissance exponentiellement forte, tandis que d’autres vont totalement perdre pied. Bien sûr, il est plus facile pour une entreprise de survivre si elle est située dans une région en forte croissance, si elle travaille dans un secteur porteur ou si elle occupe une position dominante avec de nombreux avantages comparatifs.
Mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui le point de départ a des conséquences moindres que jadis : c’est la trajectoire qui domine largement. Les « licornes », ces start-up valorisées plus d’un milliard de dollars, en sont un parfait exemple. Bizarrement, elles sont rares dans nos classements de forte croissance, tant l’écart est grand entre leurs ambitions et leurs réalisations. Ces entreprises acceptent d’ailleurs rarement de publier leurs chiffres pour éviter que des ratios ne fassent peur aux investisseurs.
Existe-t-il un profil commun aux entreprises présentes dans ce classement ?
Ce palmarès est fondé sur les croissances réalisées à court terme (trois ans). Il permet de mettre en lumière les comportements des bons entrepreneurs, ceux dont les stratégies de commercialisation et de marketing portent leurs fruits, qui établissent des business models reproductibles, et développent une vraie capacité à concentrer leurs métiers et technologies afin de les déployer contre vents et marées.