Lors de l’édition 2018 des rencontres économiques d’Aix-en-Provence, la directrice générale du FMI Christine Lagarde est intervenue sur la question des atouts procurés par l’Europe et la croissance économique qui est au rendez-vous.

« Il est vrai que c’est quand « un seul être nous manque et tout est dépeuplé » et que lorsque l’on n’a pas d’Europe on se dit soudain que l’Europe a présenté des avantages considérables. Pour ceux qui suivent des séries télé amusantes c’est « What have the Romans done ? ».

Quel bilan pour l’Europe d’aujourd’hui ?

« L’Europe a, pour faire simple, profité aux ménages, aux citoyens, en leur permettant dans un cadre unifié et ouvert de décider de vivre, de travailler, de prendre leur retraite, de créer des entreprises, de vivre non pas à l’intérieur de frontières nationales mais dans n’importe lequel des pays de l’Union Européenne. Et aujourd’hui on constate des migrations à l’occasion des départs en retraite d’un certain nombre de nos concitoyens. Cela a été l’un des bénéfices significatifs de l’Union Européenne. Pour donner un exemple c’est grâce à l’intervention de la Commission Européenne que les frais d’itinérance téléphonique entre les différents pays de l’Union Européenne sont aujourd’hui réduits à zéro.

Lorsque l’on se penche maintenant du côté des entreprises. Elles ont bénéficié d’un espace économique, qui en termes de marché, est aujourd’hui la plus grande zone économique au monde où les produits, un certain nombre de services, peuvent circuler de manière absolument fluide.

"L’Union Européenne est récipiendaire de 30 % de l’ensemble des investissements directs étrangers"

Il faut se souvenir aussi que l’Union Européenne est la principale zone de destination et d’origine des investissements directs étrangers. Aujourd’hui, 35 % des investissements directs étrangers qui se répartissent dans le monde entier sont originaires de l’Union Européenne. De la même manière, l’Union Européenne est récipiendaire de 30 % de l’ensemble des investissements directs étrangers. Donc pour ceux qui sont des attristés de l’Europe et les pessimistes de l’activité économique, il faut avoir ces ordres de grandeur en tête.

L’Irlande, de tous les pays de l’Union Européenne est certainement le plus inquiet des conséquences de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne. Quand vous en parlez notamment aux représentants du secteur agricole ou du secteur agroalimentaire ce n’est pas tellement les tarifs ni l’augmentation des droits de douane qui les inquiètent, mais la modification de la réglementation qui va contraindre les exportations notamment du lait ou du chocolat irlandais vers la Grande-Bretagne en raison de règles sanitaires beaucoup plus rigoureuses et fondamentalement différentes. Et vous avez toute une série d’exemples qui sont anodins et triviaux et qui néanmoins vont modifier les chaînes de valeur, l’organisation des métiers, les rapports entre commerçants entre fabricants de manière profonde et durable.

Dans le court terme ce n’est pas très grave, l’incidence sur le Produit Intérieur Brut notamment de tel ou tel pays, de tel ou tel tarif, de telle ou telle décision est mineure. Mais comme l’histoire de la grenouille que l’on met dans l’eau froide, c’est dans le moyen et long terme que les effets se feront sentir. Donc personnellement je crois que l’Union Européenne a fourni des avantages considérables aux entreprises et aux ménages. Son manque présente un certain nombre d’inconvénients cruels.

Les Européens ensemble constituent surtout une force, une puissance. Lorsqu’ils sont unis, ils sont une véritable voix aux chapitres. Ayant été pendant deux ans ministre déléguée au commerce extérieur et à l’attractivité du territoire français, j’ai pu mesurer, lors des entretiens de l’OMC à Hong-Kong, la puissance de feu de l’Union Européenne lorsqu’elle est ensemble, unie et rivée sur des objectifs communs. Face à la Chine, face à l’Inde, face aux États-Unis, la voix européenne compte considérablement.  À partir du moment où elle est dispersée par tels ou tels objectifs primaux nationaux, elle perd de sa puissance. »  

Est-on arrivés au terme de la convergence européenne ?

« Les pays de l’Est ont comblé près de 50 % de leurs écarts de revenu en l’espace de vingt-cinq ans grâce à l’intégration au sein de l’Union Européenne. Mais cette machine à converger a trouvé ses limites, souvent à l’occasion de l’entrée des pays de l’Union Européenne dans la zone Euro. On s’aperçoit maintenant que la convergence ne fonctionne pas, il faut donc relancer cette machine. Et pour ce faire il faut impérativement mêler des politiques nationales, déterminées au niveau national, sous forme de croissance inclusive, d’amélioration de la productivité, de facilitation de la vie des entreprises, comme celle que Bruno Lemaire est en train de soutenir en France, et y ajouter une capacité budgétaire commune centralisée au sein de la zone euro. Cela nous parait indispensable pour être l’expression d’une souveraineté politique affirmée et assumée au sein de la zone euro. On ne peut pas laisser la politique de redressement être menée exclusivement par la banque centrale européenne. Ils ont certes tiré cette sortie de crise de manière magistrale, mais ont été très seuls. La politique monétaire a été remarquable mais celle budgétaire fut besogneuse, laborieuse, assumée par certains, menée à l’excès par d’autres si bien que l’on n’a pas eu une de réponse collective, qui ne pourrait être fournie uniquement par une capacité budgétaire centralisée.

Cette capacité budgétaire n’a pas besoin de s’apparenter à une facilité de paiement. Elle peut parfaitement prendre en compte le risque d’aléa moral, cher aux Allemands, et peut très bien être mise en place sans qu’elle ne devienne ipso facto une politique de transfert systématique des pays riches à destination des pays pauvres. Elle peut également être assortie de conditions de discipline en termes à la fois de contributions, d’octrois et de remboursements qui permettent de tenir une politique budgétaire qui soit commune. Nous avons précédemment préconisé une capacité budgétaire centralisée qui soit destinée à venir au soutien de pays qui font l’objet d’une crise exogène, probablement temporaire et qui ont impérativement besoin d’accès à de la liquidité.

Je pense qu’au-delà de tout cela et pour des raisons d’enthousiasme, de visibilité, de compréhension des bénéfices apportés par l’Europe il faut aussi que des projets soit d’investissement soit transnationaux et à vocation vraiment européenne au sein de la zone euro puissent être financés ou puissent faire l’objet de financements partiels.

Lors du rapprochement franco-allemand auquel a activement contribué le gouvernement français, les Allemands ont fait des propositions sur lesquelles il est intéressant de rebondir, à savoir : un socle commun d’indemnisation notamment de régime de chômage qui soit mieux coordonné, mieux organisé qui suppléerait à l’absence totale d’indemnisation d’un pays de l’Union Européenne. »

"L’Europe peut, et doit marquer sa différence"

Le « différentiel européen »

« Je voudrais dire un mot sur ce que j’appelle le différentiel européen. Je crois qu’il y a des domaines, et en particulier des domaines nouveaux, dans lesquels l’Europe peut, et doit marquer sa différence. Lorsque l’on regarde par exemple les questions de transfert d’exploitation de cession des données, on est en train de voir évoluer trois grandes zones dans le monde : une zone chinoise qui est sous réglementation rigoureuse, encadrée, contrôlée, étatisée, de l’autre côté aux États-Unis une espèce d’ouverture générale et puis la zone de l’Union Européenne qui avec la protection générale des données récemment entrée en vigueur est en train d’établir un socle qui peut constituer ce différentiel européen qui détermine ensuite le cadre réglementaire dans lequel les grands gérants de données viennent s’inscrire.

En dehors de l’union bancaire, qu’il faut consolider avec le mécanisme européen de stabilité qui permette de faire rempart en cas de grands sinistres bancaires et qui permette de couper le cordon ombilical entre les banques et les états, on note la nécessité d’un marché européen des capitaux qui permette aussi d’instituer un différentiel européen qui comporte un certain nombre de valeurs qui permette aux individus de se réaliser, aux inégalités de se réduire et qui permette aux entreprises d’aller puiser des capitaux et du financement partout dans l’Union Européenne et non pas de manière très étroite au sein de territoires qui aujourd’hui sont exclusivement nationaux. »

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