Prélèvement à la source : l’impôt sur le revenu nouvelle formule
C’est enfin chose faite. Dire que la France aura pris son temps pour adopter le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu relève de l’euphémisme. Alors que la plupart de nos voisins et partenaires ont adopté ce mode de paiement il y a des décennies, principalement à la sortie de la seconde guerre, l’Hexagone a tardé à sauter le pas. Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Comme le précise le rapport rendu en 2012 par le Conseil des prélèvements obligatoires, les premiers débats remontent aux années trente. D’ailleurs, un « stoppage à la source » sur les salaires avait même été pratiqué entre 1939 et 1948. Depuis, pas une décennie ou presque ne passe sans que des velléités de réforme ne resurgissent. Dernières en date, celle de Valéry Giscard d’Estaing en 1973, alors ministre des Finances, qui avait échoué devant le Parlement, ou celles de Michel Rocard dans les années 1990 et de Dominique de Villepin en 2006. Il faudra finalement attendre le mandat de François Hollande pour que cette petite révolution fiscale soit votée. Après un dernier report d’application d’un an décrété par l’exécutif, le prélèvement à la source entrera en vigueur au 1er janvier 2019.
Un intérêt limité
Avec le temps, les défenseurs de la réforme ont eu le temps de fourbir leurs arguments. Pourtant, force est de constater que beaucoup ont perdu de leur superbe ou de leur pertinence. Citons celui bien souvent présenté comme l’atout majeur du dispositif : la contemporanéité du paiement de l’impôt avec le versement des revenus. Avec le prélèvement à la source, le contribuable bénéficierait donc d’une meilleure visibilité sur son revenu disponible puisqu’il touchera un salaire net d’impôt. Or, de nombreux contribuables jouissent déjà de facto de cet avantage quand ils ont opté pour la mensualisation (et le télépaiement ou le prélèvement) de leur impôt. Par ailleurs, le choc de simplification censé accompagner la réforme n’aura probablement pas lieu.
L’avantage incontestable de la réforme demeure la meilleure prise en compte des variations de revenu du contribuable
Chaque contribuable continuera de remplir une déclaration tous les ans et d’informer l’administration fiscale de tout changement de situation. Ces formalités déclaratives sont inhérentes à la nature ultra personnalisée de l’impôt français sur le revenu dont le montant dépend de la situation familiale, de la composition du foyer, de l’existence de revenus non salariaux, etc. C’est ce que rappelle le rapport de 2012. « Dans la plupart des pays, la déclaration annuelle de revenus reste obligatoire pour tous les contribuables (Australie, Belgique, Canada), ou, quand elle est facultative, elle reste souscrite par une grande majorité de contribuables (93,4 % des contribuables aux États-Unis, 90 % en Espagne, 74 % en Allemagne). » Enfin, l’argument d’une amélioration du taux de recouvrement est obsolète puisque celui-ci excède systématiquement 99 % depuis plusieurs années en France. L’avantage incontestable de cette réforme demeure la meilleure prise en compte des variations de revenu du contribuable. Ainsi, une baisse brutale de salaire se traduira presque immédiatement par une chute du montant d’impôt à acquitter, sans devoir attendre un délai d’un an pour en bénéficier.
Avantages fiscaux : rien ne se perd, tout se transforme
L’annonce de l’adoption du prélèvement à la source a suscité de nombreuses questions, notamment à propos du maintien des abattements et autres avantages fiscaux. Finalement, ils ont été conservés dans leur principe. Seule la manière dont ils seront pris en compte évolue puisqu’ils seront automatiquement intégrés dans le calcul du taux de prélèvement de l’impôt sur le revenu auquel le contribuable est assujetti. L’abattement de 10 % pour frais professionnels, celui associé au versement d’une pension alimentaire ou celui acquis à certaines professions (journalistes, assistants maternels…) ont donc vocation à perdurer. Côté réductions et crédits d’impôt, la règle est la même : le bénéfice de ces avantages acquis au titre de l’année 2018 demeure. Le remboursement des sommes dues s’effectuera lors du solde de l’impôt, à la fin de l’été 2019. En ce qui concerne les services à domicile et la garde d’enfants, le gouvernement a prévu le versement d’un acompte de crédit d’impôt d’un montant égal à 30 % au premier trimestre 2019. Le reliquat sera versé en août en fonction du contenu de la déclaration de revenus.
Des victimes collatérales ?
Les grands perdants de la réforme pourraient bien être les entreprises. C’est en tout cas ce que certaines font valoir. En leur nouvelle qualité de collecteurs d’impôts, ces dernières se plaignent d’une charge de travail supplémentaire, de l’obligation de se doter d’un logiciel dédié au prélèvement à la source et du risque d’erreur susceptible d’entraîner une sanction pénale. Plus généralement, ce sont les coûts supplémentaires (humains, financiers, administratifs) engendrés qui cristallisent le mécontentement, surtout au sein des petites entreprises. Pour les particuliers qui recourent aux services de salariés à domicile ou de garde d’enfants, la situation est différente. Si, en tant qu’employeurs, ils sont chargés de collecter l’impôt sur le revenu de leur(s) salarié(s), ils devraient avoir le choix de s’acquitter personnellement de cette tâche ou de la déléguer. Dans ce dernier cas et sur option, il reviendrait alors aux centres Pajemploi et Cesu de gérer le prélèvement à la source sur le revenu du salarié pour le compte de l’employeur et de reverser les sommes prélevées à l’administration fiscale. À ce titre, les particuliers semblent mieux lotis que les entreprises. Reste à savoir si l’important dispositif pédagogique autour du prélèvement à la source mis en place par le gouvernement atteindra son cœur de cible. Sans quoi cette révolution de l’adoption du prélèvement à la source pourrait tourner à la grogne nationale.
Sybille Vié