Feu la bibliothèque poussiéreuse que seuls les plus grands cabinets d’avocats pouvaient s’offrir au prix du recrutement d’un ou d’une documentaliste et d’étales d’archives de JCP. L’avènement des legaltechs fait entrer un univers de documents classés, hiérarchisés et protégés dans les plus petits cabinets d’avocats et les plus petites entreprises. Un mode nouveau d’aide à la décision au service d’experts capables d’en tirer le meilleur.

Les éditeurs juridiques en France – Dalloz, Francis Lefebvre, Lexis Nexis et Wolters Kluwer – ont toujours su qu’ils étaient détenteurs d’une véritable mine d’or constituée au fil du temps par l’accumulation de textes de loi, de décrets et de règlements, mis à jour, amendés et commentés, de décisions de justice ordonnancées et classées, d’articles de doctrine et de détails de jurisprudence. La technologie leur offre aujourd’hui les moyens de récolter cet or autrement que par la conclusion d’abonnements annuels à des ouvrages imprimés mis à jour par des feuillets à insérer dans un classeur… Payé au prix fort, ce service n’offrait pas un moteur de recherche efficace, laissant l’utilisateur en difficulté face à une recherche simple. Ce à quoi il fallait ajouter une actualisation défaillante, laissant le professionnel avec un temps de retard sur l’état du droit. L’enjeu : mettre à disposition des avocats et juristes d’entreprise le corpus documentaire nécessaire à leur exercice professionnel.

Une vraie révolution

L’intégration d’outils technologiques avancés dans l’utilisation de la documentation juridique est une vraie révolution. Elle a d’abord permis l’ouverture des données publiques à l’ensemble de la communauté juridique, notamment grâce à l’action d’Open Law, l’association pour le droit ouvert. Avec l’aide de la Dila, la Direction de l’information légale et administrative, ses adhérents ont offert un large accès à la documentation juridique. Une démarche nécessaire mais insuffisante pour assurer l’information des professionnels du droit. Veille intelligente et moteur de recherche efficient manquaient à l’équation. Dès lors, sous l’effet de la diffusion des algorithmes et grâce à l’appétence des jeunes juristes pour les nouvelles technologies, certaines start-up du droit se sont positionnées sur le segment en proposant des services à un prix très compétitif par rapport à celui des abonnements des éditeurs historiques.

Comme google

L’un des tout premiers acteurs à s’être saisis de cette opportunité est Luxia, fondé en 2009 par Georges-André Silber et Ismaël Ziani. Pour ce dernier, leur legaltech « possède l’entrepôt de données juridiques le plus important d’Europe : l’ensemble des lois et de réglementations françaises, débats parlementaires, rapport de ­l’Assemblée nationale, réglementation européenne (directives et règlements), jurisprudence française et européenne, judiciaire, administrative, constitutionnelle et financière ». Grâce aux algorithmes appliqués au monde juridique, leur solution Alinéa by Luxia aide les juristes et les avocats dans leur prise de décision. « Au total, cinq années de recherche et de développement ont été nécessaires pour parvenir à un outil de veille granulaire et personnalisée », confirme le cofondateur. Concrètement, le client qui effectue une recherche thématique sera dirigé vers les textes et la jurisprudence applicables à sa recherche et classés selon leur pertinence. Avec des clients comme Natixis, Crédit agricole ou Allen & Overy, l’outil devrait bientôt être dupliqué en matière de régulation bancaire et financière.
Doctrine.fr est exactement sur le même segment, mais avec un zoom sur la jurisprudence. Pour ses codirigeants, Nicolas Bustamante (CEO), Raphaël Champeimont (CTO) et Antoine Dusséaux (CDO), le moteur de recherche s’utilise de la même manière que Google, c’est-à-dire en langage naturel. Leur algorithme se charge ensuite d’afficher la décision de justice la plus pertinente en 0,1 seconde. « Doctrine.fr fait gagner en moyenne cinq heures par semaine aux professionnels du droit », peut-on lire sur le site. Se disant « le plus grand fonds de décisions de justice française », la legaltech se concentre à présent sur la prédictibilité de la justice.

Se passer d’un avocat

Face aux acteurs de veille et de recherche juridique se trouvent les start-up positionnées sur l’aide à la création de documents. Legalife, par exemple, est un spécialiste de la génération de documents juridiques dématérialisés grâce à la mise à disposition d’environ 1 200 formulaires. Ainsi couvre-t-il la rédaction de contrats de travail ou de tout type de document en droit des sociétés (statuts, pactes d’actionnaires, baux, etc.). Il s’agit en réalité d’une forme d’externalisation d’une direction juridique pour les petites entreprises. 
Wonder Legal (précédemment document-juridique.com) est son concurrent direct. Fondé en novembre 2014, il permet la création automatisée d’actes juridiques et administratifs sans recourir à un avocat : règlements, conventions, contrats, lettres... à choisir entre plus de 140 modèles. Pour générer leur document, les utilisateurs répondent aux questions puis le sauvegardent ou l’impriment. 
Dès lors, en pénétrant le marché de la documentation juridique, les start-up du droit sont entrées en concurrence à la fois avec les éditeurs juridiques et les cabinets d’avocats. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne peuvent craindre un grignotage important de leurs parts de marché. En effet, les premiers sont historiquement des marques connues et reconnues des professionnels du droit. Ils détiennent un fonds documentaire inégalable, même par l’utilisation d’un agrégateur performant. Ils bénéficient aussi de la force de frappe nécessaire au déploiement de solutions innovantes. C’est la raison pour laquelle le groupe Édition Lefebvres Sarrut par exemple a été le premier acteur à lancer L’Appel Expert, destiné à l’origine aux professionnels et dont se sont rapidement emparés les particuliers. Dès 2000, l’éditeur propose un service téléphonique d’information juridique. Une concurrence déloyale pour les avocats ? Pas vraiment, puisqu’il ne s’agit que d’informations et pas de conseil, qui reste le monopole de l’avocat. De la même manière, les legaltechs positionnées sur la rédaction de documents ne marchent que sur une petite plate-bande des professionnels du droit. Les actes « standardisables » n’étant pas ceux sur lesquels misent les avocats pour développer leur business.

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