Contrat de mariage : l'autre théorie de l'évolution
Par Julien Trokiner, associé, Dixsept68 Notaires
La classique incertitude du choix initial
Au même titre que la liste de mariage ou celle des invités, le choix du régime matrimonial fait partie des débats que les époux auront à trancher dans la dernière ligne droite de leurs préparatifs nuptiaux. Opter pour le régime légal français de la communauté réduite aux acquêts – ou, mieux, établir un contrat pour renforcer cette communauté, la rendre étanche aux déménagements internationaux ou y faire apport de biens acquis avant le mariage – peut répondre totalement à la philosophie du couple. Un état d’esprit fréquent qui consiste à « tout partager », en particulier les gains, salaires et revenus d’activité, sans distinction de l’époux qui en est à l’origine. Le régime de communauté fait alors office de système égalisateur, évitant ainsi une distorsion patrimoniale trop profonde, sous réserve, bien entendu, des richesses familiales respectives. Il n’en demeure pas moins que l’option en faveur de la séparation de biens emporte aussi de nombreux suffrages chez les futurs mariés, surtout pour des questions d’indépendance professionnelle. D’autant plus qu’un régime séparatiste n’interdit pas aux époux d’investir « ensemble » : du compte bancaire joint à l’indivision immobilière, en passant par la souscription commune au capital d’une société civile ou d’une SARL de famille, sans oublier le régime alternatif de la participation aux acquêts… En tout état de cause, l’objectif prépondérant de vouloir « protéger le survivant » résulte principalement de la loi successorale ou de dispositions à cause de mort (testament, donation entre époux, clause-bénéficiaire d’assurance-vie) et non forcément du choix, communautaire ou séparatiste, du régime matrimonial.
La séparation de biens n’interdit pas les investissements communs au sein du couple
QQQ : Questions aux Quadras et aux Quinquas
Au fur et à mesure de l’agrandissement de leur famille, de l’envol de leurs carrières ou de l’augmentation de leur patrimoine, une même question se pose : leur régime matrimonial est-il toujours adapté à leur situation ? Si l’un des époux a mis son activité professionnelle entre parenthèses afin de se consacrer aux enfants, sans doute la communauté aux acquêts reste-t-elle judicieuse. De même, l’entrepreneur séparé de biens, ayant hissé sa start-up parmi les plus innovantes, aura le loisir de procéder à une donation pré-cession au profit de son conjoint : en plus de rééquilibrer les patrimoines, une telle mutation opérera une purge des plus-values latentes, ce qui aurait été tout simplement impossible dans un régime communautaire. Mais d’autres cas mettront en lumière des situations moins ajustées : la communauté est-t-elle compatible avec le projet d’un époux salarié d’exercer sa profession en qualité de libéral ou de commerçant ? À l’inverse, la protection d’un époux contre les créanciers de l’autre, inhérente aux régimes séparatistes, est-elle toujours d’actualité au regard du remboursement progressif des dettes bancaires ? C’est à ce moment-là, en plus de tenir un rôle régulateur des relations juridiques au sein du couple, que le régime matrimonial pourra muter en outil d’anticipation successorale.
Régime matrimonial : le changement, c’est maintenant !
Sur le papier, la modification d’une convention matrimoniale peut apparaître lourde et compliquée, en raison du formalisme qui y règne : mise en place d’un nouveau contrat marital (avec nécessité de « liquidation » ou d’apports), information des enfants majeurs et des créanciers éventuels, voire obligation d’homologation judiciaire (en présence d’enfants mineurs ou d’opposition)… Mais, en pratique, les époux seront peu impactés par ces contraintes, lesquelles seront orchestrées par leur notaire. Dans la plupart des situations, l’objectif recherché sera de rendre commun tout ou partie du patrimoine existant, et de prendre date pour l’avenir. C’est ainsi que les époux en séparation de biens pourront, par exemple, adjoindre une « société d’acquêts » à leur régime, ou encore que des époux communs en biens élargiront l’assiette de leur communauté, celle-ci devenant alors « conventionnelle » ou « universelle ». Surtout, la métamorphose s’avérerait incomplète si des clauses protectrices n’étaient pas échafaudées en perspective du premier décès des deux. Ces clauses dites « de préciput », « de prélèvement » ou « d’attribution intégrale » poursuivent un objectif identique : soustraire telle ou telle catégorie de biens à la succession, afin de garantir l’époux survivant contre une situation juridique précaire (indivision) ou de dépendance (démembrement de propriété) à l’égard de ses enfants, voire même, à plus long terme, contre les aléas de l’évolution fiscale.
À propos de l’auteur :
Entré à Dixsept68 Notaires dès 1998, Julien Trokiner devient associé en 2007. Il conseille sur le long terme les familles, dans les moments clés de la vie du couple jusqu’à la transmission de patrimoine, ainsi que les jeunes entrepreneurs, avec lesquels il définit des stratégies d’optimisation patrimoniale.