Cédric Lecamp (Pictet Nutrition) : « Nous analysons la gouvernance nutritionnelle des sociétés dans lesquelles nous investissons
Décideurs. Quelle est la stratégie du fonds ?
Cédric Lecamp. Elle est d’investir dans des sociétés qui améliorent la qualité, l’accès et la durabilité de la production alimentaire, avec en toile de fond l’amélioration de la santé humaine. Nous avons vu évoluer la relation du consommateur avec sa nourriture, qu’il considère de plus en plus comme un moyen de prévention pour améliorer sa santé. Les pays développés et en voie de développement sont aujourd’hui en décalage avec les recommandations nutritionnelles journalières : nous consommons trop de sucre, de sel et de matières grasses et trop peu de fruits et légumes. Cela mène à des problèmes de santé qui ont un impact économique. Le coût des maladies liées directement ou indirectement à une mauvaise alimentation est de l’ordre de centaines de milliards de dollars rien que pour les États-Unis.
Sur quelles tendances capitalisez-vous ?
Il y a un vrai changement de paradigme. Par le passé, nous étudions comment l’alimentation pouvait avoir un impact négatif sur la santé. Aujourd’hui, nous nous intéressons aux effets bénéfiques qu’elle peut avoir. Nous pensons que le consommateur est prêt à payer plus pour avoir accès à des aliments de qualité dans l’optique d’améliorer sa santé. Deuxièmement, nous observons également que, dans les pays développés, les consommateurs dépensent davantage d’argent en dehors du foyer. L’accès à une bonne nutrition devient donc encore plus difficile. Cela crée des opportunités pour des entreprises de services comme Sodexo, mais aussi pour des sociétés qui travaillent à l’amélioration du conditionnement de la nourriture, par exemple. La durabilité de l’empreinte agricole est aussi un axe d’investissement. Il y a trop de gaspillage en amont comme en aval : aux États-Unis, plus de 90 % de la production des terres arables sont utilisées pour la production de biofuel ou l’alimentation du bétail, et moins de 2 % pour produire des fruits et légumes. Côté consommateur, nous parlons de presque 30 % de produits gaspillés dans les pays développés. Nous nous intéressons donc aux entreprises capables d’améliorer les rendements sans impacter l’environnement et en utilisant moins de terres arables. Ces trois grandes tendances forment les grandes lignes d’investissement du fonds Pictet Nutrition.
Le coût des maladies liées directement ou indirectement à une mauvaise alimentation est de l’ordre de centaines de milliards de dollars
Le fonds a été réorienté l’an dernier. Pourquoi ce changement ?
Les neuf fonds thématiques Pictet sont gouvernés par une équipe de gestion et un conseil d’administration qui nous permet de gérer la stratégie à long terme de chaque fonds. Au cours des discussions avec notre conseil d’administration, nous sommes arrivés à la conclusion que le fonds d’origine, Pictet Agriculture, n’était pas assez orienté vers la notion de santé, et trop exposé de façon indirecte aux matières premières agricoles. Pour répondre à des critères de durabilité et intégrer les enjeux actuels de santé publique, nous avons repositionné le fonds. Sont maintenant exclus, par exemple, les engrais à base d’azote, les engrais phosphatés, les pesticides, les herbicides, l’huile de palme, les sodas ou encore la viande rouge.
Comment faites-vous pour juger qu’une entreprise est en adéquation avec ce positionnement ?
L’objectif est d’avoir au minimum 50 % de l’activité de l’entreprise en adéquation avec la stratégie du fonds. C’est le premier critère. Nous faisons notre propre analyse sur la pureté d’une entreprise qui représente le pourcentage de la valeur de l’entreprise liés à la thématique. Nous faisons aussi appel à un fournisseur externe, la société à but non lucratif Access to Nutrition, pour juger des sociétés dans lesquelles nous envisageons d’investir dans les segments dédiés à l’alimentation. La gouvernance est également un point crucial. Nestlé par exemple a mis au cœur de ses ambitions l’amélioration de la valeur nutritionnelle des produits, au point de rémunérer ses managers en fonction de ces objectifs. Cette attention portée à la gouvernance nutritionnelle des sociétés est un trait unique de notre portefeuille.
Quels sont vos perspectives d’avenir ?
L’agriculture de précision fait partie de nos futurs axes d’investissement, de même que les technologies de conditionnement. Nous croyons également à l’évolution des infrastructures de restauration hors-foyer, notamment via l’émergence des supermarchés bio et des solutions de courses en ligne.
Propos recueillis par Camille Prigent