Courtage & grandes fortunes : l’art d’optimiser ses assurances
Décideurs. Quelles relations entretiennent courtier en assurances et assureur au service d’une clientèle aisée ?
Rémi Béguin. La complémentarité de nos deux métiers est totale. Le rôle du courtier est d’accompagner le client pour transférer son risque sur le marché de l’assurance. Selon sa situation, il peut s’agir de protéger sa personne, son patrimoine matériel (biens, œuvres d’art…) ou l’ensemble. Le courtier n’est donc pas un porteur de risque mais un conseil notamment dans l’identification et le choix de la compagnie adéquate. Il lui faut aussi veiller à trouver l’assureur qui, si le dommage survenait, serait en mesure d’honorer sa promesse. Les assureurs ont plus ou moins d’appétence pour le risque. La couverture peut s’en trouver amoindrie. Notre réelle plus-value consiste donc à cerner le risque et le niveau de garantie qu’il appelle pour ensuite pouvoir le transférer vers le bon assureur et obtenir la meilleure rédaction de contrat au regard des spécificités de la situation du client.
Gwenaël Hervé. Assureur et courtier interviennent très souvent en binôme pour accompagner ensemble le client. C’est d’autant plus important que, chez une clientèle fortunée, les risques encourus sont très singuliers. Pour obtenir une solution assurantielle sur mesure, l’intermédiaire d’un courtier est central : c’est lui qui formulera une demande à l’assureur et ensemble ils négocieront, modifieront, amélioreront le contrat. Il ne faut pas oublier que le courtier engage sa responsabilité professionnelle. S’il s’avérait qu’une sous-assurance était imputable à un défaut de conseil de sa part, le client serait légitime à lui demander réparation.
Vos métiers, vos pratiques évoluent-ils ?
G. H. Une chose est sûre, l’identification des risques par le client n’évolue pas assez vite ! Même si les choses s’améliorent peu à peu, aujourd’hui le client n’a toujours pas une pleine conscience de la totalité des risques que lui ou son patrimoine encourent. Pas plus qu’il ne connaît la valeur de ses biens ; valeur qui peut être amenée à évoluer avec le temps. En la matière, l’exemple des meubles meublants ou des œuvres d’art est édifiant. C’est pourquoi nous recommandons une expertise régulière pour être certains d’identifier des risques sur une valeur effective. Il y a deux ans, on estimait que 50 % des particuliers étaient sous-assurés. Un taux qui évolue lentement alors même que le montant moyen des primes d’assurance est très bas (0.15 %). Ce chiffre est à mettre en perspective avec celui prélevé par d’autres professionnels : il est deux fois moins élevé que celui pratiqué par les gestionnaires de patrimoine par exemple. Or, nous encourons des pertes phénoménales, pouvant atteindre des millions d’euros. Rappelons qu’en 2017, les causes de sinistres ont été particulièrement nombreuses : incendie, inondation, vol, sécheresse… et, dans la majorité des cas, l’assuré n’était pas responsable.
« Aujourd’hui, le client n’a toujours pas une pleine conscience de la totalité des risques que lui ou son patrimoine encourent »
R. B. Nous avons observé un phénomène nouveau, c’est l’intensité avec laquelle certaines zones sont maintenant touchées par des événements inédits jusqu’alors. Ces régions sont non seulement concernées par des risques improbables mais, lorsqu’ils surviennent, elles le sont de manière particulièrement forte. Cette aggravation de la sinistralité pose de vraies questions en matière de prévention, de protection de ces nouveaux risques. Pour avoir une couverture adaptée, encore faut-il que le risque soit identifié et qu’il soit assurable. Le travail d’anticipation est primordial.
La clientèle fortunée que vous accompagnez présente-t-elle des spécificités ?
Alfred Dittrick. Nos clients demandent le meilleur contrat au meilleur prix. Si le niveau d’exigence diffère de celui de clients moins haut de gamme, ils sont très attachés à négocier le taux de la prime alors qu’ils vérifieront moins que le contrat répond réellement à leurs besoins. À l’instar de l’ensemble de la population, l’ordre de priorité des risques que les clients souhaitent couvrir commence par les soins dentaires et les lunettes, puis les arrêts de travail, l’invalidité et enfin le décès. Une situation paradoxale - puisque généralement, pour les dirigeants, les deux risques véritables sont bien entendu les deux derniers évoqués. C’est typiquement français. Cette tendance est particulièrement visible chez les chefs d’entreprise qui ont la fâcheuse tendance à se penser invincibles et donc à ne pas préparer leur succession. Or, 30 % des entreprises disparaissent dans l’année du décès de leur dirigeant.
R. B. Ce problème est très culturel : au contraire des Anglo-Saxons, nous sommes fatalistes et très peu dans l’anticipation du risque. C’est une erreur fondamentale. Un aléa mal traité et affectant la vie personnelle aura forcément des répercussions sur la vie professionnelle. D’où l’importance de se prendre en main en faisant appel à un professionnel.
« Au contraire des Anglo-Saxons, nous sommes fatalistes et très peu dans l’anticipation du risque. C’est un problème culturel »
Comment identifier le meilleur professionnel ?
R. B. Il faut tout simplement s’adresser à un intermédiaire qualifié, à un spécialiste qui connaisse parfaitement les intérêts de ses clients. Le service apporté n’en sera que meilleur. Le courtier sait quelle couverture est nécessaire, quel est le bon porteur de risque et comment négocier, rédiger, le contrat le plus adapté aux besoins de son client. Sans un tel intermédiaire, il est très difficile d’identifier les points clés d’une couverture.
Le marché du conseil et de l’assurance est-il saturé ?
R. B. Le marché s’avère aujourd’hui particulièrement concurrentiel : les acteurs y sont très nombreux et l’offre peu lisible. À l’inverse, la population fortunée susceptible d’avoir besoin de nos services est par nature peu nombreuse. Cependant, son potentiel n’en reste pas moins important, à la hauteur du travail de pédagogie à mener auprès d’elle. Les clients se satisfont du mauvais jusqu’à ce que le pire survienne. À nous d’intervenir en amont de tout drame.
A. D. Le marché doit éduquer le client sur les termes qui ne sont pas appropriés à son vrai risque et il est nécessaire de se concentrer davantage sur le conseil que sur la simple vente d’un produit assurantiel. Tout l’enjeu, pour un courtier, est d’apporter les bons arguments face aux compagnies d’assurance pour aiguiller son client vers la meilleure couverture au regard de ses besoins. C’est dans l’intérêt du client d’être accompagné afin de ne pas se retrouver non plus sur-assuré.
G. H. Le besoin de conseil varie selon la typologie de la clientèle considérée. Les dirigeants de grands groupes ont l’habitude de travailler avec un courtier dans le cadre professionnel. Le médecin sera, quant à lui, souvent assuré par l’agent général mandaté par sa compagnie qui ne propose qu’une offre peu flexible. Recourir aux services d’un courtier permet un service sur mesure. S’en priver pourrait parfois s’apparenter à une faute professionnelle.
De gauche à droite : Gwenaël Hervé, Rémi Béguin et Alfred Dittrick.
L’irruption puis le développement du digital mettent-ils en danger la plus-value que représentent vos métiers auprès de clients fortunés ?
G. H. Le Web est une source d’informations précieuses pour les clients. Il est utile, mais il ne remplacera jamais l’apport humain, le conseil d’un intermédiaire. D’ailleurs, il est impossible de trouver un comparateur d’assurance en ligne qui puisse effectuer des simulations de couverture pour le contenu d’un bien immobilier (meubles, œuvres d’art…) d’une valeur supérieure à 200 000 euros. Ce type de clientèle ne peut donc pas se contenter d’une recherche en ligne. Quoi qu’il en soit, le digital est incrémental dans nos métiers et nous n’avons logiquement pas attendu l’ère du numérique pour nous y mettre. Pour une clientèle fortunée, il nous sert d’outil puisque nous offrons à nos courtiers un accès à tout moment à leur dossier et à leurs comptes. Selon moi, il faut voir le digital comme une opportunité de renforcer la relation client et dynamiser le conseil. Mais la gestion du dossier est une action qui demeure tout à fait humaine pouvant faire intervenir un souscripteur qui ajustera les garanties du contrat en fonction du besoin du client, un ingénieur prévisionniste, un expert en art ou tout autre spécialiste pour identifier le risque à couvrir et mettre en place les mesures nécessaires.
R. B. La digitalisation a permis de créer de nouveaux outils à disposition de ceux qui intermédient un service leur permettant d’améliorer leur productivité, de faciliter le dialogue avec le client et d’accélérer les échanges d’information. Pour autant, elle ne remplacera jamais l’humain, le lien de confiance nécessaire d’une part entre un client et son intermédiaire, entre ce dernier et le preneur de risque d’autre part. L’identification du risque est un travail éminemment personnel : l’intermédiaire relève presque du confident car il entre dans une forme d’intimité. Cette compréhension de la situation globale d’un client, de son patrimoine, ne peut pas être automatisée. Or, elle est le prérequis d’une bonne analyse des risques.
A. D. Tout cela est parfaitement exact, pourtant, le marché présente un véritable paradoxe : plus qu’à son courtier, le client fait confiance à son banquier. Or, celui-ci n’a généralement qu’une vision parcellaire de son patrimoine, de ses enjeux et en plus, il change tous les deux ou trois ans, à l’exception des banquiers privés. Le courtier, lui, est immuable, il accompagne son client dans le temps et le connaît parfaitement, ce qui nous est particulièrement utile.
L’internationalisation des patrimoines, et donc des risques et des besoins assurantiels, implique-t-elle une organisation spécifique ?
R. B. La mobilité est une tendance forte que nous avons relevée depuis quelques années maintenant. Les patrimoines sont éclatés entre différents pays en même temps que les besoins de déplacement se multiplient, notamment pour les jeunes générations. Intermédiaires et assureurs doivent s’adapter à ce contexte soit en adoptant une organisation interne permettant d’accompagner les mouvements géographiques avec une présence transfrontalière soit en construisant un solide réseau de partenaires de confiance. L’Europe de l’assurance n’est pas encore construite : des particularités locales à la fois en matière de risques (événements naturels, terrorisme, enlèvement…) et de législations subsistent sur bon nombre de sujets, d’où la nécessité de recevoir un conseil spécialisé. Cette spécialisation croissante du métier constitue une barrière à l’entrée pour tout nouvel acteur désireux de se lancer sur ce marché …
A. D. Effectivement, la professionnalisation croissante de notre métier conduit à créer sur le marché une distinction nette entre les spécialistes, comme nous, et les grandes compagnies généralistes qui proposent des services plus normés au grand public et opèrent des économies d’échelle. Nous n’accompagnons pas les mêmes personnes, nous ne répondons pas aux mêmes besoins, nous ne faisons pas tout à fait le même métier.
R. B. Ce phénomène ne facilite pas l’émergence de nouveaux acteurs mais il permet aussi de pouvoir nous targuer d’apporter une réelle plus-value puisque nous sommes soumis à une réglementation stricte et que, par conséquent, nos engagements sont lourds en investissement, en process ou en transparence. Ce sont autant de garanties pour nos clients et cela évite de voir des « amateurs » proposer des services qui ne seraient pas au niveau.
Que pensez-vous du mouvement général poussant à une simplification des conditions pour bénéficier d’une couverture assurantielle ?
A. D. Dans le domaine de la prévoyance, l’heure est clairement à la simplification des processus, en réduisant la sélection sur examens médicaux notamment. Il nous est aujourd’hui possible d’assurer quelqu’un pour un million d’euros sans le soumettre à aucun examen médical.
« La simplification s’impose : il nous est aujourd’hui possible d’assurer quelqu’un pour un million d’euros sans le soumettre à aucun examen médical »
R. B. Je crois aux vertus de la simplification, à condition qu’elle ne se réalise pas au détriment de l’obtention de résultats techniques satisfaisants, ce qui présuppose une connaissance poussée d’une classe de population. Il s’agit là d’un véritable challenge : parvenir à simplifier les process tout en maintenant intacte cette connaissance pointue du risque. Prenons l’exemple d’un client adepte de course automobile. Un spécialiste de ce milieu sait reconnaître les bons des mauvais pilotes. En conséquence, là où un généraliste proposerait une police onéreuse, le courtier spécialisé négocie le juste prix mais surtout des garanties adaptées aux besoins du client.
Comment se manifeste ce mouvement de simplification en matière d’assurance des œuvres d’art et du patrimoine tangible ?
G. H. Pour assurer une collection, le client peut choisir entre deux façons de procéder : soit il déclare une valeur et, si un sinistre survient, à lui de prouver qu’il possédait effectivement les œuvres correspondantes disparues ou endommagées, soit il fait expertiser les pièces essentielles de sa collection. Pour une couverture optimum, une souplesse est automatiquement prévue dans nos contrats habitation haut de gamme pour couvrir les nouvelles acquisitions. Ici encore, la relation de confiance avec le client est primordiale et la simplification passe par la suppression de l’administratif.
R. B. La confiance entre le client, le courtier et l’assureur est bien le maître mot. C’est grâce à la qualité de cette relation qu’il est possible de faciliter la vie de l’assuré, en lui évitant toute lourdeur administrative. Quand il achète un bien (une œuvre, une résidence, un bateau ou autre), il sait qu’il sera automatiquement couvert.
G. H. S’entourer d’experts est primordial. Ils connaissent la valeur du marché et la cote d’un artiste. Il faut aussi procéder à des expertises régulièrement pour suivre les évolutions de valorisation et pouvoir ajuster les contrats d’assurance pour ne jamais se retrouver en position de sous-assurance.
Propos recueillis par Sybille Vié