Clic, post, like : les primes se profilent
Les internautes fans de Formule 1 et adeptes de sensations fortes devront sans doute se faire discrets à l’avenir. Adieu les partages et les « likes » de pages en ligne dédiées au saut à l’élastique ou aux courses de rallye. Pourquoi ces profils casse-cou ne pourraient-ils plus s’adonner à la fière mise en avant de leurs passions ? La réponse est à chercher du côté des compagnies d’assurance, friandes de données et de plus en plus intéressées par les réseaux sociaux pour optimiser leurs modèles actuariels. Le calcul est simple pour ces acteurs : plus les assurés renvoient une image aventureuse à travers leurs comportements sur le Web, plus ils sont susceptibles de prendre des risques dans leur vie quotidienne. La survenue probable d’accidents justifierait alors l’augmentation des primes d’assurance à verser.
Deux sociétés se sont déjà positionnées pour favoriser la collecte et l’analyse des données les plus pertinentes dans ce cadre. Admiral au Royaume-Uni et Road-b-Score en France utilisent des algorithmes pour mieux adapter les contrats d’assurance automobile en fonction des traits de personnalité perceptibles sur la Toile. L’assureur britannique fonde ses travaux sur la syntaxe et la ponctuation des internautes pour identifier les signaux avant-coureurs d’une conduite téméraire au volant. Si la multiplication des points d’exclamation ou l’écriture en caractères majuscules n’entraînent pas encore de pénalités, les phrases obéissant aux strictes règles dactylographiques seront susceptibles de faire baisser les montants dus aux assureurs. Les remises obtenues selon L’Argus de l’assurance pourraient être comprises entre 5 % et 15 % grâce à ce programme. En novembre 2016, Facebook a bloqué cette initiative pour officiellement protéger la vie privée de ses deux milliards d’utilisateurs. Pour certains médias outre-Manche, la société de Mark Zuckerberg craint surtout de voir les membres de son réseau adopter les mêmes comportements et lisser les profils de consommateurs susceptibles d’intéresser les annonceurs.
Pour sa part, Road-b-Score analyse les photos, les posts et les pages suivies pour comparer les scores de différents profils Facebook à ceux de leur base de données, reliés à certains styles de conduite. À noter que seuls les utilisateurs de Facebook ayant donné leur accord préalable peuvent être concernés par cette étude algorithmique. Deux compagnies ont déjà signé un partenariat avec la start-up lyonnaise et il n’est pas difficile d’imaginer les assureurs santé surfer sur la même vague pour optimiser leurs offres. Même si ces recoupements peuvent sembler aléatoires, en ne prenant notamment pas en compte le sarcasme du Net, les assureurs surveillent de près ces nouveaux terrains de jeux pour promettre un contrat toujours plus personnalisé à leurs clients. Certains chercheurs comme le docteur David Stillwell de l’Université de Cambridge estiment que les posts sur les réseaux sociaux offrent une idée très précise de la personnalité de l’internaute et du risque à couvrir pour les assureurs. Si les clients de ces derniers préféraient jusqu’alors cacher leurs habitudes imprudentes, leurs profils sur les réseaux sociaux pourraient révéler malgré eux leur jardin secret.
Cette tendance liée au profilage digital n’en est-elle qu’à ses débuts ? Apeurées à l’idée de se faire doubler par Google, Amazon, Facebook et Apple, les compagnies d’assurance sont conscientes de leur retard vis-à-vis de ces géants dans la connaissance de leur clientèle. Pour combler cet écart, les réseaux sociaux donc, mais aussi l’économie collaborative sont perçus comme des mines d’or statistiques. Dans les plates-formes de services entre particuliers, la confiance revêt une importance stratégique et les utilisateurs sont souvent notés par leurs pairs pour offrir des gages moraux. Uber, Airbnb et BlaBlaCar ont déjà mis en place un tel système. Les assureurs, dans leur quête pour réduire l’aléa et adapter les contrats proposés aux caractéristiques des uns et des autres, pourraient s’appuyer sur ces riches bases de données de comportements individuels pour vendre des offres sur mesure.
Reste à savoir si les compagnies reculeront devant ces pratiques pour respecter l’intimité de leurs assurés. Malgré la passion venue des États-Unis pour les statistiques grands publics, il y a fort à parier que les liens de confiance conserveront plus de valeur que la précision et la personnalisation des contrats. La dystopie version Black Mirror cesserait alors de tendre les bras aux assureurs décomplexés… Entre deux sauts à parachute, les plus intrépides partageront certainement cet article sur leurs réseaux.
Thomas Bastin