Investissement responsable : la finance au service de la planète
N’en déplaise au président américain, l’adoption d’un mode de vie plus sain et plus responsable se généralise partout dans le monde. Alors que les particuliers et les gouvernements investissent davantage dans le « vivre mieux », les entreprises qui répondent à cette demande semblent faire partie des gagnants à long terme sur les marchés financiers. Passer en revue quelques publications scientifiques de ces dernières années suffit pour se convaincre que privilégier le développement durable devient une nécessité mondiale. En ce qui concerne les gouvernements, les dépenses de santé dans les pays développés ont augmenté de plus de 2 % par an au cours de ces dix dernières années, selon l’OCDE. La Chine a mis en place un plan quinquennal d’environ 1 000 milliards de dollars pour lutter contre la pollution de l’air, des sols et de l’eau. Et l’effort n’est pas jugé suffisant. Lors du One Planet Summit, le 12 décembre dernier, Emmanuel Macron alertait à propos du réchauffement climatique : « On est en train de perdre la bataille. On ne va pas assez vite, et c'est ça le drame ! » La veille, Bruno Le Maire déclarait en clôture du Climate Finance Day : « La finance sera verte ou elle ne sera pas, elle doit être au service de la lutte contre le changement climatique et de l'intérêt général », et dévoilait une charte en faveur du climat signée par tous les investisseurs publics français rattachés à l’État (Caisse des dépôts, Agence française de développement, Bpifrance...). Ils pèsent à eux tous près de 600 milliards d'euros et devront désormais intégrer dans leur politique d'investissement des critères d'impact climatique.
Un label pour uniformiser les pratiques de gestion
Au niveau européen, la Commission a sollicité la création d’un groupe de travail dédié à la finance responsable, réuni en 2016 et qui a publié son rapport final début 2018. Pour cet ensemble de professionnels, l’investissement socialement responsable (ISR) est lié à deux impératifs : améliorer, d’une part, la contribution de la finance à la croissance responsable et à la limitation du réchauffement climatique ; renforcer, d’autre part, la stabilité financière des entreprises en prenant en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les décisions d’investissement.
Un chemin déjà emprunté par les gestionnaires d’actifs qui sont de plus en plus nombreux à intégrer ces critères dans leurs portefeuilles. C’est le cas de Mirova, filiale de Natixis Asset Management 100 % dédiée à l’investissement responsable. « L’ISR d’une manière générale est encore peu diffusé dans les produits d’épargne grand public, note Suzanne Senellart, gérante du fonds Actions Environnement au sein de la société de gestion. L’État a montré sa volonté de promouvoir ce type d’investissement, notamment via la création du label ISR qui a permis d’uniformiser les pratiques de gestion. » Entériné par un décret publié en janvier 2016, ce label soutenu par le ministère des Finances récompense différentes démarches, parmi lesquelles la politique d'engagement ESG du fonds avec les entreprises dans lesquelles il investit, la transparence de gestion du fonds ou encore la prise en compte des facteurs ESG dans la construction du portefeuille. « Le label est la garantie de la matérialité du process ISR qui a été mis en place, explique Thierry Bogaty, responsable de l’expertise ISR chez Amundi. Pour le client final, principalement l’investisseur particulier, c’est un gage de qualité. »
72 % des investisseurs particuliers souhaitent que les enjeux de développement durable soient inclus dans leur épargne
L’environnement, la star des facteurs ESG
Et si l’ensemble des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ont leur importance, les facteurs environnementaux, qui englobent les émissions de carbone, la gestion des déchets ou encore le sourcing des matières premières, semblent avoir pris le pas sur les autres. « Le critère environnemental est peut-être celui qui est le mieux appréhendé par l’opinion publique, en partie car il bénéficie d’une caisse de résonance médiatique », analyse Suzanne Senellart. L’importance du risque climatique et de ses conséquences ont également été mis en avant via des événements majeurs comme la Cop 21 ou l’Accord de Paris. « Le climat a été un révélateur de l’importance des critères extra-financiers dans la gestion des risques, abonde Thierry Bogaty. Cela a permis de mettre en avant les critères ESG à travers l’environnement. » Toutefois, les analystes sont clairs : quelle que soit la publicité faite à l’environnement, les facteurs sociaux et de gouvernances sont tout aussi cruciaux. De grandes entreprises d’habillement comme H&M ou Nike ont montré l’impact que pouvait avoir une politique sociale non responsable sur l’image d’une entreprise. « Certains critères spécifiques seront pris en compte en fonction des secteurs d’activité : le lobbying responsable et l’accès aux médicaments pour le secteur pharmaceutique, le financement vert pour les banques, la gestion de l’eau pour certaines activités énergétiques », poursuit le responsable ISR d’Amundi. Les critères de gouvernance, sans doute les plus complexes à appréhender pour l’investisseur non professionnel, ont aussi une importance capitale. La politique de vote des actionnaires, l’équilibre des pouvoirs au sein de l’entreprise et le respect des engagements pris sont autant d’indices de la réelle implication de l’entreprise dans une démarche responsable.
Faire rimer performance et rentabilité
Concrètement, les secteurs dans lesquels il est possible d’investir de manière responsable sont extrêmement variés. L’énergie, mais aussi le bâtiment, les infrastructures, l’industrie, l’agroalimentaire, les déchets… « Nous investissons dans des entreprises qui sont des apporteurs de solutions, qui améliorent l’impact environnemental pour la production et la consommation des biens et services », poursuit la gérante de Mirova. La société de gestion, qui a obtenu le label ISR pour la plupart de ses fonds, a ainsi développé une gamme thématique favorisant les impacts sociaux ou environnementaux. Et la performance est au rendez-vous. Créé il y a dix ans, le fonds environnement de Mirova surperforme l’indice sur cinq et dix ans. « Nous avons su identifier les acteurs qui, à long terme, sont en mesure d’apporter des innovations majeures et ainsi offrir un meilleur portefeuille de rentabilité aux actionnaires », affirme Suzanne Senellart. Pictet Asset Management, la branche gestion d’actifs de la banque privée suisse Pictet, a ouvert un portefeuille consacré aux actions vertes en octobre 2014, baptisé Global Environmental Opportunities. « Notre portefeuille dispose depuis ses débuts d’une surperformance intéressante, près de 5 % par rapport aux actions mondiales, pour une volatilité très légèrement supérieure de l’ordre de 0,1 %, explique Marc-Olivier Buffle, docteur en chimie environnementale et membre de l'équipe de gestion du fonds. Il dispose ainsi d’une profitabilité à la fois environnementale et financière, c’est du gagnant-gagnant. » Certains titres du portefeuille atteignent une croissance annuelle de 70 %. Chez Amundi, le son de cloche est le même. Le fonds Actions euro ISR créé en 1999 surperforme l’indice trois ans sur quatre. « Ce qui est intéressant est aussi d’avoir des fonds classiques qui vont être “ISRisés”, note le responsable de l’expertise ISR du gestionnaire d’actifs. Cela montre que la performance peut être au rendez-vous avec un angle responsable, sans pour autant se cantonner à certains secteurs du développement durable. » Car pour Thierry Bogaty, l’ISR est aussi une façon de saisir des opportunités : « Des entreprises performantes sur la gestion de l’eau ou des déchets auront plus de chance de remporter des appels d’offres, grâce à une approche responsable appréciée par les donneurs d’ordre. » À l’image de ces fonds qui ont su montrer l’intérêt éthique comme financier de miser sur l’ISR, les investisseurs ont fort à parier que ce n’est que le début d’une longue et durable croissance.
Camille Prigent et Tanguy Warsmann