Jean-Pierre Floris (délégué interministériel) : « Mon but ? Coordonner la réponse de l’État dans les dossiers de restructuration
Décideurs. Après une riche carrière industrielle dans le privé, pourquoi avoir accepté cette mission ?
Jean-Pierre Floris. Tout au long de ma carrière, j’ai constaté et toujours déploré le manque d’attractivité de l’industrie française. Les raisons en sont nombreuses : coût du travail, manque de flexibilité sociale ou insuffisance du dialogue social, difficultés à restructurer… L’élection présidentielle a marqué un tournant : un véritable changement d’état d’esprit s’opère. Je ne suis pas resté insensible à la volonté du nouveau gouvernement et en particulier du ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire de relancer l’industrie. Accepter cette nouvelle mission relevait à la fois d’un choix politique et personnel. C’est un véritable défi puisque mes attributions me placent hors de ma zone de confort, c’est-à-dire en dehors du business.
Quelles sont vos attributions ?
Ma mission consiste à anticiper et accompagner les restructurations pour les mener de manière responsable. L’idée sous-jacente est de pousser les entreprises à reporter leurs investissements vers des secteurs plus porteurs et à se redéployer sur l’ensemble du territoire national. Pour ce faire, deux pistes sont primordiales. Tout d’abord, l’aide à la formation est essentielle : si les cadres sont globalement bien formés, c’est moins le cas des ouvriers. Nous manquons de main-d’œuvre qualifiée. La nécessité de favoriser la formation prend donc tout son sens. Ensuite, nous devons mettre l’accent sur le dialogue social : il est impossible de travailler sans cohésion d’équipe, sans concertation de toutes les parties prenantes, sans échange d’informations. C’est comme cela qu’on responsabilise tout le monde.
« L’efficacité, c’est la discrétion »
Comment votre mission se coordonne-t-elle avec celles du Ciri et des commissaires au redressement productif (CRP) ?
Mon objectif est de coordonner la réponse de l’État dans les dossiers de restructuration, qu’il s’agisse du traitement de dossiers chauds, du suivi de dossiers existants ou de l’accompagnement dans la prévention des difficultés, notamment dans les secteurs touchés par des mutations technologiques. Mon équipe, composée aujourd’hui de deux adjoints, s’appuie sur tous les réseaux existants au sein de la direction générale des entreprises (DGE), du conseil national de l’industrie (CNI) et du ministère du travail. Les CRP sont sous mon autorité et je travaille en étroite collaboration avec le Ciri avec qui je peux intervenir conjointement sur certains dossiers. Qu’il s’agisse du traitement ou de la prévention des difficultés, l’idée est d’apporter une réponse coordonnée et cohérente de la part de l’État aux entreprises tout en travaillant à rendre son attractivité industrielle au pays.
Votre intervention est-elle soumise à des critères spécifiques ?
Non, absolument aucun. Le Ciri intervient aux côtés de sociétés rencontrant des difficultés financières et comptant plus de 400 salariés. Ma mission est plus générale : seuls les besoins et l’impact politique et social d’un dossier commandent ma mise à contribution. Il s’agit de représenter les ministres et d’accompagner les élus qui sont les premiers préoccupés par le maintien et le développement de l’emploi. Mes interlocuteurs sont très variés : chefs d’entreprise, représentants syndicaux, politiques … et nous nous attachons à éviter qu’un dossier ne s’enlise, ne devienne trop politique et ne fasse des victimes parmi les salariés. Nous travaillons actuellement sur une quarantaine de dossiers, tous secteurs d’activité confondus, et nous en avons déjà réglés certains.
« La France a récemment démontré qu’elle pouvait mener à bien des réformes économiques et sociales dans le consensus »
Vous prônez une gestion rapide, pour ne pas que le dossier devienne politique. N’est-ce pas contradictoire avec votre obsession pour le dialogue social ?
L’un n’empêche pas l’autre ! Laisser s’enliser un dossier, c’est risquer de voir les positions de tous les intervenants se cristalliser et d’en faire un sujet politique. Les décisions prises dans ces conditions ne sont plus rationnelles et risquent de pénaliser l’emploi. Pour éviter cela, parvenir à rassembler rapidement tout le monde autour de la table est fondamental, l’échange doit être franc et constructif. Je crois aux vertus de la discrétion : la médiatisation nuit souvent à l’efficacité.
L’arsenal juridique français est-il efficace pour aider les entreprises dans la tourmente ?
Je ne suis pas un spécialiste du droit de la faillite mais je pense que le dispositif national est suffisant. Peut-être peut-il encore être affiné un peu en faisant remonter des idées et des remarques par exemple. Toute la difficulté réside dans le manque de lucidité d’un chef d’entreprise vis-à-vis de la situation de son entreprise. Il lui faut le courage de se dire que les choses ne vont pas, qu’en s’entêtant on ne peut qu’aller droit dans le mur. Mon expérience m’a montré qu’il faut parfois quelqu’un d’extérieur pour que cette prise de conscience se réalise. La personne aux affaires n’est pas forcément en cause : il est dans la bataille, sur tous les fronts pour maintenir à flot son entreprise et n’a plus le recul nécessaire sur la situation.
« L’attractivité de la France ne se décrète pas, elle se construit »
Comment maintenir et développer l’afflux des investissements étrangers dans l’Hexagone ?
La conjoncture actuelle est favorable. La France a récemment démontré qu’elle pouvait mener à bien des réformes économiques et sociales dans le consensus et sans démonstration d’hostilité trop fortes. De plus, le renforcement des obligations en matière de dialogue social rappelle aux chefs d’entreprise qu’ils se doivent d’être raisonnables. Au-delà de ces considérations, la France a toujours eu un vrai potentiel d’attractivité. Sa situation géographique, l’excellent niveau de formation supérieure, son poids politique en Europe et sa politique fiscale appliquée à la recherche sont autant d’atouts. Il faut montrer que nous pouvons mener des restructurations efficaces sans sacrifier l’aspect social. En tout cas, je ne crois pas à la nécessité de légiférer : nous sommes dans une économie ouverte où la loi ne fait pas le business. L’attractivité de la France ne se décrète pas, elle se construit par l’adoption de bonnes pratiques.
Quels critères utiliserez-vous pour mesurer votre action ? À quel moment estimerez-vous avoir rempli votre mission ?
Avant d’accepter ce poste, je me suis posé cette question et la réponse ne va pas de soi. Le critère de l’amélioration de l’emploi est bien trop vaste, celui de l’amélioration de la situation industrielle du pays est peut-être plus pertinent mais assez compliqué à quantifier et relève plus d’un objectif à terme. Je préfère me référer au nombre de dossiers que j’aurai traités et à leur taille. C’est un indicatif fiable et révélateur du travail que j’aurai accompli. Avoir favorisé le dialogue, multiplié les discussions avec les éventuels repreneurs, participé à l’amélioration des offres, veillé à utiliser l’argent public pour des causes utiles comme la formation pour minimiser un choc social, favoriser les solutions pérennes et durables … Voilà ce à quoi je me réfèrerai pour évaluer ma mission.
Propos recueillis par Sybille Vié