Kako Nubupko (OIF) : « Retrouver les outils de la souveraineté économique »
Décideurs. Quel est votre rôle au sein de l’OIF ?
Kako Nubupko. L’objectif premier de l’OIF est de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, et partant, promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme. Si cela se fait au travers de l’éducation, des initiatives de coopération au service du développement durable prennent aussi le relais.
Une attention particulière est accordée aux jeunes et aux femmes, ainsi qu’à l’accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC) sur l’ensemble des réalisations de l’OIF.
En tant que directeur de la francophonie économique et numérique, je pilote quatre pôles.
En premier lieu, le pôle numérique, axé sur trois thématiques : la gestion des écosystèmes d’Internet – regroupant la question des noms de domaines ainsi que la cybersécurité –, puis les biens communs numériques, avec les problématiques liées à la numérisation des bibliothèques, et enfin l’entreprenariat numérique, incluant le suivi des innovations et la mise en relation des entrepreneurs avec le secteur financier.
Le second pôle est celui dédié aux « entreprises et territoires ». Il inclut notamment le projet « Profadel », un plan francophone d’appui au développement local. De nombreux autres partenariats sont mis en œuvre dans ce cadre, tels que celui avec l’IFDB, le Cipmen (Centre incubateur des PME au Niger), le programme « Incubons » à Madagascar ou le « Global Entrepreneurship Network » à Johannesburg.
La diplomatie économique constitue le troisième pôle. Elle est portée à plusieurs niveaux. D’abord avec les « hub and spokes », ce programme avec les soixante-sept pays de l’ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l’Uuion européenne et le Commonwealth.
Et par le biais de réunions périodiques des ministres francophones du Commerce avec un ordre du jour précis, tant au niveau de la veille que de la prospective sur l’évolution du commerce international.
Il existe également un réseau des ministres des Finances, qui passent commande sur certains sujets cruciaux tels que les PPP et la fiscalité.
Le quatrième et dernier pôle est celui lié à la transformation structurelle des économies de l’espace francophone. Les soixante-sept pays qui composent l’OIF représentent aujourd’hui entre 8 % et 12 % du PIB mondial, et regroupent 274 millions de francophones. La projection est de 700 millions de francophones en 2050.
En quoi le numérique peut-il servir d’accélérateur aux économies francophones, et particulièrement celles du continent ?
Le numérique est un accélérateur de mobilité des deux facteurs de production : le capital et le travail. Grâce à lui, plus de choses peuvent être faites, en moins de temps.
Mais le numérique pose aussi la question de la destruction de certains emplois. C’est un jeu d’équilibres. Car s’il détruit certains postes, il permet aussi d’en créer de nouveaux. Aussi, l’émergence du tout numérique sur le continent implique d’y étendre le champ de la formation, en particulier vis-à-vis de ces nouveaux métiers.
Le numérique pourrait-il, dès lors, faciliter la diversification économique sur le continent ?
La première chose qu’il devrait permettre, c’est d’y améliorer la gouvernance, dont manque cruellement l'Afrique.
Finalement la clé du succès, plus que le numérique, c’est en premier lieu l’accès au crédit…
Évidemment, la réussite c’est bien sûr le financement des entreprises, notamment des entreprises innovantes et des start-up sur le continent.
Donner la possibilité aux personnes de s’endetter, afin qu’ils puissent ensuite créer de la richesse permet d’aller dans le sens d’un cercle vertueux.
Pour le moment, l’arme monétaire est bloquée dans la région CFA. Aujourd’hui, les ratios « crédits/PIB » tournent autour de 20 %, ce sont de véritables économies de troc ! Avec ces ratios, il n’est pas possible de financer le développement. En outre, les taux d’intérêt sont supérieurs à 10 %. Et en conséquence, impossible de créer de la richesse.
Le rationnement du crédit est d’abord conditionné à la question de l’asymétrie d’informations de l’environnement africain, un environnement incertain, et ensuite à celle de la surliquidité bancaire, ce qui est notamment le cas pour la zone franc.
Cette asymétrie d’informations rend les banques très prudentes.
L’ouverture du crédit facilite la hausse des importations : c’est un cercle vicieux qui se met en place, comme le crédit alimente ces importations en payant avec les devises.
Or si les importations augmentent, il existe une sortie des devises, et ces dernières ne sont plus en quantité suffisante pour garantir la parité fixe entre le franc CFA et l’euro. In fine, cela pénalise le secteur réel des économies.
Aujourd’hui, il existe un risque réel de dévaluation, car les réserves ont terriblement fondu. Et en parallèle, il n’y a pas assez de diversification des économies. Ce manque de polyvalence perpétue l’économie rentière en place de longue date.
Les conditions de la transformation économique des pays de la zone francophone doivent se mettre en place. Cela peut passer par l’écologie, le numérique, l’éducation bien sûr, mais aussi la finance. Par le biais d’une finance plus inclusive.
Il est nécessaire de retrouver les outils de la souveraineté économique, afin d’avoir toutes les conditions du développement économique partagé des nations.
Tout cela est déjà à l’œuvre aujourd’hui en Afrique. Je suis afro-réaliste : pour que cette transformation soit effective, trois conditions devront être remplies. Une vision partagée, ce qui suppose un bon leadership, l’effectivité des dispositifs techniques, et enfin la mise en place d’un dispositif d’évaluation d’impact des politiques publiques. Avec tout cela, il sera possible de construire un schéma de développement.
E.S.