Déployé dans les vingt-huit États de l’Union européenne depuis la mi-2015, le plan d’investissement pour l’Europe, plus souvent dénommé plan Juncker, a dépassé la moitié de son objectif d’investissement sur trois ans. Parmi les principaux bénéficiaires, la France a particulièrement brillé dans le secteur de l’innovation.

Il n’est à la tête de la Commission européenne que depuis un an quand Jean-Claude Juncker pose la première pierre de l’ambitieux plan qui porte son nom. L’objectif est triple : mobiliser plus de 300 milliards d’euros de financements en trois ans, soutenir les acteurs de l’économie réelle et créer un cadre réglementaire favorable aux investissements. Pour cela, le plan Juncker a créé le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). « Il permet à la Banque européenne d’investissement (BEI) de prendre plus de risques dans les projets qu’elle finance et de faire venir sur ces projets d’autres partenaires financiers », explique Ambroise Fayolle, vice-président de la BEI. Son objectif est simple : générer, avec un capital de départ de 21 milliards d’euros, 315 milliards d’euros d’investissements grâce à un fort effet de levier (voir schéma). Un an et demi après le lancement du plan, 209 milliards d’euros d’investissements ont été mobilisés au titre du FEIS. « Le Conseil discute déjà de la prolongation du dispositif jusqu’en 2020, à hauteur de cent milliards d’euros par an », ajoute Ambroise Fayolle.

Au 15 juin 2017, 209 MD€ d’investissements ont été mobilisés au titre du FEIS, soit 66 % de l’objectif des 315 MD€

Priorités d’investissement

Aucun secteur ni aucun pays ne font l’objet de quotas à atteindre dans le cadre du plan d’investissement européen, financé conjointement par la Commission européenne et la BEI. Toutefois, l’Union européenne a défini des priorités – l’environnement, les infrastructures, l’innovation et les PME – naturellement reflétées dans les investissements au titre du FEIS : au 31 mai 2017, 29 % des opérations approuvées dans le cadre du plan Juncker concernaient les PME ; 24 % les projets du secteur de l’énergie ; 20 % les projets de recherche et développement ; 11 % les technologies numériques et 13 % pour les transports et infrastructures. De fortes disparités apparaissent également entre les différentes régions européennes : si le financement des PME est très important dans les pays du sud de l’Europe, l’Allemagne et la France se démarquent par le financement de la recherche et de l’innovation. Les pays du nord de l’Europe, quant à eux, portent des projets d’énergies renouvelables d’envergure, notamment de fermes hydro-éoliennes. « Nous répondons à une demande diverse, en mettant un point d’honneur à financer ce que le secteur privé finance moins, comme le déploiement de la fibre dans les zones à faible densité », précise le vice-président français. La BEI a déjà accordé un prêt de 200 millions d’euros à Iliad, la maison mère de Free, en mars 2017, et financé à hauteur de 75 millions d’euros le projet très haut débit en Alsace.  

Prêts intermédiés

Mais si ce type d’opérations assure une belle visibilité au plan Juncker, la majorité des prêts accordés est intermédiée. C’est notamment le cas des prêts aux PME, qui passent systématiquement par un accord de financement signé avec une institution financière nationale. Ce sont d’ailleurs ces dernières qui identifient et sélectionnent les projets éligibles au programme, à partir des critères fixés par la BEI qui se porte garant. « Cette garantie permet de faciliter l’engagement de la banque mais aussi de protéger l’entrepreneur, qui verra ses demandes de caution limitées », affirme Vincent van Steensel, responsable des garanties au sein du Fonds européen d’investissement (FEI). Cette formule est très intéressante pour les banques car elle leur permet de réduire le risque encouru et donc les contraintes de bilan, devenues assez lourdes depuis la crise financière.

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La BEI demande aux banques d’appliquer un taux d’intérêt inférieur d’au moins 0,25 % au taux du marché. « 99 % des entreprises européennes sont des PME. Elles représentent environ 68 % de l’emploi en Europe, estime Vincent van Steensel. Favoriser le développement de ces entreprises est un élément clé pour la croissance de l’économie et la création d’emploi dans cette partie du globe. » Les mécanismes de garantie prévus varient, la BEI pouvant se positionner de différentes manières, par exemple en prenant une tranche mezzanine et en laissant la first lost piece, la tranche d’equity et donc la plus risquée, à la banque. « Le principe est de prendre un risque défini sur le bilan d’une banque, risque qui mobilise une partie de son capital. En échange, nous demandons à cette banque de redéployer le capital ainsi libéré vers de nouvelles productions de crédits », analyse Gilles Badot, à la tête de la division banques de la BEI pour l’Europe de l’Ouest. D’autres instruments comme le SME Guarantee Facility du Fonds européen d’investissement (hors plan Juncker) couvrent au contraire le first loss, les premières pertes, ce qui permet à la banque d’investir dans des portefeuilles un peu plus volatils.

Entre 2015 et 2016, le nombre de projets « Juncker » signés a été multiplié par six

La France grande gagnante

Si elle ne fait pas partie des pays les plus fortement financés au regard de son PIB, la France arrive en revanche dans les trois premiers États européens bénéficiaires du plan Juncker en termes nominaux, avec cinquante-sept opérations. Cela correspond à un engagement financier approuvé du groupe BEI de 4,1 milliards d’euros entre avril 2015 et mars 2017. Parmi les projets ayant bénéficié des fonds européens, on retrouve notamment Les Maîtres laitiers du Cotentin, une coopérative laitière regroupant 1 280 producteurs. En 2015, la coopérative remporte un appel d’offres chinois l’engageant à produire 700 millions de briquettes de 20 cl de lait infantile par an, ce qui nécessite d’investir dans une nouvelle usine. Le projet, d’environ 130 millions d’euros, sera financé pour moitié par la BEI, ce qui permet à la coopérative laitière de garder son indépendance – les Chinois ayant eux aussi proposé de prendre en charge la construction de l’usine. Autre exemple, le fonds Ginkgo 2, dont l’objectif est de revaloriser les friches industrielles urbaines polluées. La BEI a investi trente millions d’euros dans ce fonds, ce qui devrait permettre de créer 350 000 mètres carrés de nouveaux droits à construire, représentant environ 5 000 logements dans la région Auvergne-Rhône- Alpes. Forte d’une augmentation de capital d’environ dix milliards d’euros décidée en juin 2012, la Banque européenne d’investissement a ainsi doublé le volume de ses activités en France entre 2012 et 2016. L’Hexagone, qui est aussi l’un des principaux actionnaires de la BEI avec 16,1 % du capital de la banque, bénéficie également du rayonnement d’institutions nationales fortes. Entre 2015 et 2016, le nombre de projets « Juncker » signés a été multiplié par six, notamment grâce aux partenariats entre la BEI et BPIFrance, l’Agence française de développement (AFD), le Commissariat général à l’investissement (CGI) ou encore les banques nationales telles que la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Au coeur de la stratégie française : l’innovation, qui a déjà bénéficié d’un investissement global de 1,4 milliard d’euros en soutien à des projets à fort impact social ou environnemental, et qui devrait rester sur la première marche du podium jusqu’à la fin du plan.  

Camille Prigent

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