Florence Aubenas : « Comment parler de prospérité quand les sociétés ne tiennent pas leur promesse d’égalité ? »
→ Rencontres économiques d’Aix 2017
La prospérité. C’est le thème qu’avaient choisi les trente-quatre membres du Cercle des économistes présidé par Jean-Hervé Lorenzi pour la 17ᵉ édition de leurs Rencontres économiques. Trois jours durant, organisateurs et intervenants de tous univers – grands patrons, économistes, politiques, présidents d’associations et personnalités de la société civile… – se sont succédé pour évoquer cette prospérité croissante liée à la mondialisation, les opportunités qui en découlent mais également le coût, social et humain, qu’elle représente et dont la manifestation la plus flagrante est la montée des inégalités. Non plus entre États, mais au sein même de certains États. Un paradoxe d’autant plus frappant qu’il est particulièrement visible dans des pays dits développées et, notamment, aux États-Unis et en Europe où les inégalités ne cessent de croître depuis des années.
Montée des inégalités
Membre du Cercle des économistes, Philippe Aghion confirme. « Les inégalités se complexifient. Elles sont plus éclatées, plus diverses, capables de se manifester au sein d’une même classe sociale, de populations de même niveaux d’éducation… »
En cause, entre autres, l’ouverture des échanges, la montée des technologies et l’explosion des hauts revenus qui, cumulés, entretiennent le sentiment de déclassement en hausse constante au sein d’une classe moyenne qui, aux États-Unis comme en Europe, voit les bénéfices de la mondialisation lui échapper. « C’est cette situation qui explique en partie la montée des populismes constatée lors des dernières élections françaises et américaines, mais aussi depuis plusieurs années dans nombre de démocraties d’Europe », souligne Philippe Aghion. Elle résume également les contradictions de cette mondialisation qui, alors qu’elle fait sortir une partie du monde de la pauvreté, contraint une autre à y entrer, au risque de fragiliser durablement certains équilibres mondiaux. Car « comment, interroge la journaliste et ex-otage Florence Aubenas, parler de prospérité dans un monde où les sociétés développées ne tiennent pas leur promesse d’égalité ? »
Prospérité et espérance
Plus inquiétant encore, comment espérer une société durablement pacifiée lorsque, comme le rappelle Laurence Boone, membre du Cercle des économistes, « la prospérité étant, étymologiquement, ce qui est favorable à l’espérance », l’absence de partage de cette prospérité se traduit inévitablement par une perte d’espérance chez près de 40 % de la population ? Pour Florence Aubenas, la question est fondamentale. « La perte de confiance en un possible ascenseur social constitue une fracture beaucoup plus transversale aux pays que l’on ne pense, et pose un problème majeur », estime-t-elle. « Le sentiment d’ambition, la volonté de s’élever au-dessus de sa condition ne peuvent être réservés à une certaine classe sociale. » Faute de quoi, les États en paieront le prix. « Les élections récentes l’ont montré, conclut Laurence Boone, lorsque les gens perdent l’espérance, leur positions politiques se radicalisent. »
Une réalité d’autant plus dangereuse qu’elle survient dans un contexte mondial troublé, avec d’un côté la montée des violences dans des zones telles que le Moyen-Orient, de l’autre le désengagement des États-Unis des « affaires » – environnementale et politiques – de la planète. D’où l’urgence pour les États de répartir plus équitablement les fruits de la prospérité, « en s’orientant vers un système garantissant la sécurité tout en favorisant la mobilité, préconise Philippe Aghion qui en appelle à l’émergence d’un « modèle de flexi-sécurité à la scandinave ». Seul moyen, selon lui, de parvenir à une forme de prospérité partagée.
Caroline Castets