Après avoir levé cent millions d’euros auprès d’acteurs asiatiques, Korelya vient de réaliser son premier investissement en soutenant Devialet. Fleur Pellerin, fondatrice et présidente du fonds, détaille ses projets et sa vision du marché du capital-investissement.

Décideurs. L’idée de la création d’un fonds technologique financé par des acteurs asiatiques dont l’objectif est de soutenir les start-up françaises et européennes répondait-elle à une demande du marché ?

 

Fleur Pellerin. C’est tout à fait le cas. Notre premier investissement dans la pépite du son Devialet est d’ailleurs un excellent cas d’école. Ses fondateurs levaient des fonds pour faire passer l’entreprise à une échelle supérieure et surtout l’internationaliser. Ils nous ont ouvert leur tour de table parce que nous leur apportions, au-delà d’un financement, un accès privilégié aux décideurs des grands acteurs économiques coréens et, plus généralement asiatiques, comme nos LPs, Naver, le géant de l’Internet coréen, et sa filiale Line qui dispose d’un réseau commercial important en Asie du Sud-Est. C’est un atout considérable.

Mais le pari de lever de l’argent auprès d’acteurs asiatiques n’était pas gagné d’avance. C’est grâce au travail que j’ai réalisé avec l’initiative French Tech que la France a été repérée sur la carte mondiale de l’innovation comme me l’ont ensuite dit mes investisseurs. Aujourd’hui, une voie a été ouverte et je suis convaincue que d’autres flux financiers en provenance d’Asie viendront en Europe et en France pour soutenir la croissance de nos start-up.

 

Comment vous différenciez-vous sur un segment particulièrement concurrentiel et comment identifiez-vous les pépites dans lesquelles vous souhaitez investir ?

 

Notre proposition de valeur tient au fait d’offrir aux entrepreneurs à la fois les moyens financiers de leurs ambitions mais aussi l’expérience d’une licorne coréenne, et aussi une porte d’entrée sur le marché asiatique dont je connais bien les acteurs.

En outre, nous avons une approche très entrepreneuriale consistant à être au plus près des créateurs de start-up, dans tous les moments de leur développement.

Pour le reste, c’est tout l’art du métier de capital-risque que je découvre. Mais je m’appuie sur une équipe chevronnée composée notamment de mon associé Antoine Dresch, banquier d’affaires pendant vingt ans, et de Delphine Villuendas et Paul Degueuse qui viennent tous deux d’autres fonds d’investissement.

 

« C’est tout l’art du métier de capital-risque que je découvre »

Votre fonds a déjà levé cent millions d'euros auprès du groupe coréen Naver et de sa filiale japonaise Line. Comment les avez-vous approchés ? Êtes-vous en contact avec d’autres souscripteurs potentiels ?

 

Les choses se sont faites naturellement à ma sortie du gouvernement en février 2016. Avec Hae-jin Lee, fondateur et président de Naver, nous avions beaucoup échangé sur les enjeux du digital au niveau mondial et notamment la fiscalité internationale, la souveraineté numérique et l'équilibre du secteur qui penche aujourd’hui du côté de la Silicon Valley.

Ils sont les seuls investisseurs du fonds K-Fund 1 que Korelya Capital gère. Il est probable que nous levions un deuxième fonds avec Naver mais aussi d’autres investisseurs.

 

Vous venez d’investir dans Devialet, une pépite reconnue dans la fabrication d’enceintes haut de gamme. Vous focalisez-vous sur des start-up late stage ou envisagez-vous d’intervenir en phase d’amorçage ?

 

Notre doctrine d’investissement est relativement souple car nous ne voulons pas passer à côté d’une entreprise à fort potentiel, quel que soit son stade de maturité. Pour prétendre conquérir d’autres marchés comme l’Asie, il faut avoir déjà quelques années d’existence, ce qui est le cas de Devialet. Nous pouvons nous positionner sur de gros tours de table en série C car nous sommes capables de créer très rapidement un syndicat avec Naver si une opération qui requiert un ticket d’investissement important, par exemple de plus de dix millions d'euros, nous paraît intéressante. Mais nous avons aussi vocation à investir en série A ou B sur des tickets entre 1 et 5 millions d'euros, voire en seed, pour de plus petits montants.

 

« Nous pouvons nous positionner sur de gros tours de table si une opération requiert un ticket d’investissement important, par exemple de plus de 10 M€ »

Vous ambitionnez de faire émerger une licorne. Le contexte extrêmement concurrentiel du capital-investissement et les valorisations grimpantes n’incitent-ils pas à la prudence ?

 

La question ne se pose pas en ces termes selon moi. Quand j’étais ministre déléguée chargée des PME, de l'Innovation et de l'Économie numérique, j’étais très préoccupée par ce qu’on appelle la « Vallée de la mort du financement », c’est-à-dire le manque de financement pour les levées de fond late stage. Qu’il y ait aujourd’hui plus d’argent dans l’écosystème est une bonne chose pour nos entreprises, même si cela accroît évidemment la concurrence entre les fonds. Mais des équipes nouvelles apparaissent, avec des propositions de valeur différentes. La nôtre, c’est l’ouverture sur le marché asiatique et la possibilité de bénéficier du soutien d’un acteur régional majeur de l’Internet. Quand je parle de la nécessité de faire émerger des licornes au niveau européen, c’est un objectif quasiment géopolitique pour créer un contrepoids aux Gafa et autres BATX. C’est un enjeu de souveraineté.

 

Vous vous déclarez extrêmement attachée à la défense de l’intérêt général. Comment se manifeste cette volonté dans le privé, à la tête d’un fonds d’investissement ?

 

Aujourd’hui, je pense que le politique n’a plus le monopole de l’intérêt général. C’est très nouveau et la technologie le rend possible. Je pense notamment aux secteurs que l’on appelle les « civic tech » ou les « gov tech ».

Pour ma part, j’ai l’impression de faire œuvre utile en créant des emplois, en attirant de l’investissement étranger sur notre territoire, en faisant rayonner l’écosystème français en Asie. Et puis, à travers Korelya Capital, je souhaite contribuer à la réflexion et à la création de valeur dans des secteurs clés pour l’économie de demain, l’intelligence artificielle, par exemple. C’est une voie pour reconquérir notre souveraineté numérique.

 

Propos recueillis par Sybille Vié

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