L’univers de l’assurance étant dominé par des mastodontes, il n’est pas surprenant de voir tant d’alliances entre start-up et grands groupes dans ce secteur. Les premiers apportent innovation et flexibilité, les seconds capitaux et expériences. François Robinet, à la tête du fonds de capital venture d’Axa, nous livre son expérience à ce sujet.

[À l'occasion de l'ouverture des journées de l'Amrae, le magazine Décideurs s'est penché sur l'univers des risques en entreprise. Rencontre avec les principaux experts du secteur]. 


 

Décideurs. Pouvez-vous présenter les principales activités d’Axa Strategic Venture ?

François Robinet. Axa Strategic Venture est un fonds d’investissement consacré aux start-up. Notre objectif est simple : trouver et accompagner les meilleures initiatives naissantes, où qu’elles soient dans le monde. Bien évidemment, les projets portés par ces entrepreneurs doivent être pertinents pour les entités d’Axa. Au vu de la taille de notre groupe et de la variété de nos besoins, cette définition est extrêmement large. Cela peut ainsi concerner des start-up spécialisées dans les market places, les objets connectés ou même des technologies sans application immédiate mais au fort potentiel comme la blockchain ou le machine learning. Nous disposons d’un budget de 250 millions de dollars pour atteindre nos ambitions.

 

Comment vous différenciez-vous de structures d’investissement traditionnelles ?

Nos méthodes sont similaires aux fonds de venture capital qui ciblent les jeunes pousses à forte valeur ajoutée. Toutefois, nous nous démarquons grâce à trois éléments principaux, au croisement de l’investissement et de la stratégie. Tout d’abord, lorsque nous investissons dans une start-up, cette dernière bénéficie des forces de l’écosystème d’Axa, une multinationale leader dans son secteur et aux expertises multiples. Avec notre longue expérience du monde de l’assurance, les connaissances accumulées par nos collaborateurs peuvent s’avérer très précieuses aux jeunes innovateurs. Ensuite, Axa peut à la fois jouer un rôle de distributeur, de fournisseur de données ou de partenaire dans le cadre d’une joint-venture. Cette démarche gagnant-gagnant peut offrir de nouveaux clients ou de nouvelles perspectives de croissance à ces start-up. Dernier point différenciant : notre approche globale. Avec nos bureaux à Paris, Londres, New York et San Francisco, notre échelle d’intervention est mondiale. Cette liste devrait prochainement être complétée par une ville asiatique qui reste à déterminer.

 

Les montants investis dans les pépites de l’insuretech ne cessent de gonfler.

 

De nombreuses initiatives ont déjà été lancées par le groupe Axa pour stimuler sa transformation globale. En quoi un fonds d’investissement early stage vient compléter cette stratégie ?

Axa est très conscient des enjeux soulevés par la transformation digitale. De par leur taille, les grands groupes ont plus de difficultés à se rénover ou à changer rapidement d’orientations stratégiques. Face à ce constat, nos dirigeants ont lancé une série de projets complémentaires pour ne rien rater des prochaines innovations majeures. Un incubateur interne favorise la création de sociétés par des collaborateurs du groupe, des business units spéciales se concentrent sur des projets originaux… Personne ne sait encore ce que cela donnera mais ces différents projets multiplient nos chances de succès.

 

Le secteur de l’assurance repose sur des fondements confortables et les barrières à l’entrée protègent les acteurs déjà en place. Dans ce contexte, pourquoi miser autant sur l’innovation ?

La régulation et les besoins en fonds propres constituent effectivement des obstacles de taille pour les acteurs souhaitant révolutionner le secteur. Cependant, rien n’est immuable. Sur quoi repose l’activité d’un assureur aujourd’hui ? Les données, le capital et l’accès au client. Avec ces trois éléments, il est possible de faire de l’assurance. Chacun de ces domaines peut être affecté par les nouvelles technologies. Le monde de l’assurance est comparable à un mur aux fondations solides et aux briques en mutation permanente. Axa Strategic Venture capture les évolutions que connaissent ces briques avant que les fondations soient elles-mêmes remises en cause. L’assurance repose sur de l’immatériel. L’univers a plus vocation à être disrupté que celui des chauffeurs de taxi. Le secteur n’a pas attiré les entrepreneurs technophiles car il peut sembler austère à première vue. Toutefois, la donne est en train de changer depuis un an et demi. Les montants investis dans les pépites de l’insuretech ne cessent de gonfler. Malgré la technicité du marché, les start-up se multiplient et signent des partenariats stratégiques pour avancer.

 

De par leur taille, les grands groupes ont plus de difficultés à changer rapidement d’orientations stratégiques.

 

Quels seront les grands chantiers des assureurs de demain ?

Il y a de grandes chances que les assureurs de demain soient les assureurs d’aujourd’hui les plus à même de capter les prochaines innovations majeures. La vague Internet et les banques en ligne devaient emporter les acteurs traditionnels mais aujourd’hui, on constate que les meilleurs services digitaux sont offerts par les grands groupes. Pour les assureurs, le big data ou l’intelligence artificielle seront des virages capitaux. La prise en charge des nouveaux risques sera aussi cruciale. Les couvertures de cyber-risques vont remplacer les assurances auto. D’abord pour les entreprises et ensuite pour les particuliers. Ces risques ne disposent pas de données historiques et le marché reste instable car cela continue d’évoluer jour après jour. Toutefois, ces sujets ne manqueront pas d’être appréhendés par les plus déterminés. Grâce à la régulation et aux besoins en fonds propres, les assureurs disposent de capacités d’investissement importantes, sans pression à courte échéance. Il faut néanmoins rester vigilant à la fausse idée de confort qui peut être propagée par ce constat.

 

Quel bilan pouvez-vous tirer de vos premiers dix-huit mois d’action à la tête d’Axa Strategic Venture ?

Une chose est sûre, nous avons beaucoup plus d’opportunités d’investissements aujourd’hui qu’il y a un an. Le venture capital est un métier qui s’étend sur des cycles longs. Ces premiers mois d’activité nous ont permis de constater que notre discours était convaincant. À date, nous avons déjà réalisé vingt-deux investissements. Notre réputation est établie sur ce marché et l’ensemble des informations sur les innovateurs de l’assurance remontent naturellement jusqu’à nous.

 

Le marché français est trop petit pour espérer atteindre une croissance durable.

 

Parmi les sociétés que vous accompagnez, une start-up a-t-elle particulièrement retenu votre attention ?

Difficile de n’en retenir qu’une. Blockstream est un investissement audacieux de notre part. Si le marché de blockchain émerge et gagne une reconnaissance à grande échelle, les retombées de notre partenariat seront décisives pour nous. Le tour de table de Blockstream a réuni des acteurs prestigieux et nous tirons une certaine fierté d’avoir été sélectionnés dans un environnement compétitif. Neura, société israélienne qui utilise l’apprentissage automatique pour améliorer les données collectées par les objets connectés, ou Flyer et son algorithme pour améliorer le pricing de produits volatils méritent également d’être connus. Enfin, Wellth s’appuie sur des relevés précis de données biométriques pour orienter les utilisateurs vers les comportements les plus sains. Tout cela sans être invasif et en offrant des récompenses aux participants.

 

Vous êtes présents à l’échelle mondiale. De votre point de vue, les entrepreneurs français peuvent-ils tirer leur épingle du jeu dans l’insurance tech ?

50 % de notre portefeuille est composé de start-up européennes. En France, le nombre d’entrepreneurs est très important et les solutions techniques développées sont souvent d’excellente qualité. Toutefois, trois écueils se dressent sur le chemin des créateurs d’entreprises tricolores : d’une part le manque de financement. Passé les premières années d’existence, si le produit séduit et que la start-up doit croître, le marché offre peu de solutions satisfaisantes. D’autre part, les ingénieurs sont d’excellents niveaux techniques mais n’ont pas de compétences en business development. Enfin, la trop grande prudence de certains entrepreneurs les contraint à se limiter au marché français. Celui-ci est trop petit pour espérer atteindre une croissance durable. Répliquer l’idée dans de nombreux pays, viser une expansion internationale : les Américains y arrivent très bien et les Français devraient s’engager dans la même voie.

 

L’arrivée de Thomas Buberl à la tête d’Axa va-t-elle avoir une influence sur votre activité ?

Axa Strategic Venture est né sous la présidence d’Henri de Castries qui soutenait ce projet. Thomas Buberl était jusqu’à maintenant à notre comité stratégique. Malgré ces nouvelles fonctions, il devrait garder un œil attentif à nos différents projets. En conséquence, notre action devrait s’inscrire dans la continuité des premiers mois.

 

Propos recueillis par @Thomas Bastin

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