Christian Saint-Étienne (économiste) : « Montrer au monde que l’on est enfin décidé à se donner les moyens de réussir »
Décideurs. Selon vous, des « blocages internes » agissent comme des freins sur notre croissance. Quels sont-ils ?
Christian Saint-Étienne. Notre politique fiscale en est un : elle ne récompense pas la prise de risque mais favorise la rente. Chercher à taxer le capital en pleine révolution industrielle est une aberration qui nous condamne à subir cette révolution plutôt que d’en tirer profit. Prenez la robotisation. Notre politique fiscale n’étant pas de nature à attirer les entreprises qui fabriquent les robots, nous perdons des emplois en raison de la robotisation sans pour autant profiter de ceux créés par cette industrie. Nous devons donc réformer notre fiscalité et le faire savoir pour envoyer un signal fort aux investisseurs étrangers et montrer au monde que l’on est enfin décidé à se donner les moyens de réussir.
Vous parlez d’une tendance mondiale à la « métropolisation de la croissance ». La France est-elle en position de tirer profit de cette tendance ?
L’OCDE a révélé que, pour connaître un développement rapide, les métropoles doivent être dotées d’une très forte gouvernance fondée sur une autorité unique usant simultanément de trois outils?: les transports, le développement économique et l’urbanisme. Or contrairement aux Britanniques – qui ont bâti le Grand Londres sur ce schéma –, Paris compte trois autorités?: la Région pour le développement économique, le Stif pour les transports et un millier de communes pour le logement. Résultat : depuis quinze ans, la métropole du Grand Paris – qui représente 30?% du PIB français – croît seulement au rythme de la moyenne nationale. De même, la France compte dix-huit métropoles à redynamiser.
L’Europe, dans son fonctionnement actuel, nous tire vers le bas.
Quel doit être le rôle de l’État dans cette stratégie de croissance ?
La France a besoin d’un État stratège doté d’une capacité de conseil auprès de l’ensemble de ses collectivités. Il devrait prendre la forme d’une structure composée de 200 à 300 personnes – ingénieurs, architectes, urbanistes, économistes… – mise à la disposition des acteurs publics et travaillant avec eux autour d’un plan national de développement. Pour l’heure, rien n’existe. L’État français est géré à trois mois, sans réflexion ni vision. Et lorsqu’un maire désireux de planifier l’avenir de sa ville sollicite son aide, il ne trouve pas d’interlocuteur. Preuve que cet État, qui dépense 57 points de PIB, ne les utilise pas pour accumuler les compétences…
Qu’en est-il de l’impact de l’Europe??
L’Europe, dans son fonctionnement actuel, nous tire vers le bas. Je plaide pour l’émergence d’une Europe composée de sept à dix pays partageant les mêmes valeurs, les mêmes visions et la même volonté de doter la zone euro d’un gouvernement économique et d’une coordination fiscale et sociale. Il faudrait agréger autour de nous les pays qui partagent cette vision et, si l’on ne parvient pas à provoquer une évolution de l’Europe, en sortir pour disposer enfin d’une capacité d’action. Cela ne sera possible que si la France se réforme : qui voudrait s’associer à un pays incapable de prendre des décisions ? De la capacité de la France à se réformer dépend la réforme de l’Europe.
Vous en appelez également à une rupture culturelle au sein du modèle français. Pourquoi ?
Parce que la source essentielle de nos blocages trouve ses origines dans notre XVIIe siècle. D’abord dans la décision de Louis XIV d’acheter la servilité politique de la noblesse en lui versant des pensions sur le budget de l’État, ce qui créa les bases d’une culture de la rente qui perdure aujourd’hui de même qu’un retard français permanent en termes d’adaptation. Ensuite dans la contre-révolution terroriste de 1793-94, qui fait, qu’aujourd’hui encore, des gens se sentent légitimes à bloquer une raffinerie ou à prolonger une grève contre l’avis de la majorité en se disant porteurs des intérêts du peuple. C’est là une spécificité française qui se vérifie au quotidien.
Propos recueillis par Caroline Castets.