Brexit : out is out
Le 23 juin 2016, toute l’Europe retenait son souffle. Pour finalement sombrer dans un état d’incrédulité : les Britanniques avaient décidé, avec 51,9 % des voix, de quitter l’Union européenne. Colère et incompréhension ont régné au cours des premières semaines post-référendum. Près de six mois plus tard, le gouvernement de Theresa May n’a pas beaucoup avancé. L’article 50 du traité de Lisbonne n’a pas encore été déclenché et les voix se font de plus en plus pressantes pour accélérer la sortie du Royaume-Uni et permettre au reste de l’Union de créer un nouvel équilibre. Le 14 novembre se sont réunis personnalités politiques et acteurs de l’industrie financière pour discuter de cet épineux sujet.
Pas de retour en arrière
Malgré les divergences d’opinions, plusieurs points ont fait consensus dans l’assemblée. Le premier d’entre eux est qu’il y aura effectivement un Brexit, et ce malgré la récente décision de justice de la Haute Cour affirmant qu’un vote du Parlement était nécessaire pour valider le résultat du référendum – Downing Street a d’ailleurs rapidement annoncé sa décision de faire appel. Après le choc, l’heure est donc désormais à l’anticipation. « Le regard de l’industrie financière a changé depuis septembre, affirme Christian Noyer, gouverneur honoraire de la Banque de France. Beaucoup étaient attentistes. Aujourd’hui, tous ont intégré le fait que le Brexit sera un bouleversement majeur. » Car si Londres est un acteur dominant de la finance, il est aussi le plus gros régulateur européen. « Londres truste entre un et deux tiers de l’activité financière européenne », estime Gérard Rameix, président de l’AMF.
Les Britanniques participent à des prises de décisions qu’ils n’auront peut-être jamais à appliquer
Un menu à la carte ? Pas question !
Mais quelle que soit la taille du marché britannique, les acteurs politiques comme économiques s’accordent sur un point : la nécessité de fermeté des pays de l’Union. « Out is out », résume le député européen Alain Lamassoure. « Si nous négocions sur un texte britannique, nous avons déjà perdu. » Un avis renforcé par les propos du ministre de l’Économie et des Finances Michel Sapin, également présent lors de ces rencontres. « L’accès au marché intérieur est lié de manière indissociable au respect des quatre libertés [libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes] et de l’application des règles européennes. » Parmi les points cruciaux qui devraient être abordés au cours de ces discussions, la question fiscale ou encore l’accès à la zone euro. Mais avant cela, le rôle du Royaume-Uni dans cet entre-deux doit être clarifié. « Londres continue à être autour de la table. Pour moi, c’est inacceptable », assène Alain Lamassoure. Les discussions en cours avec la Chine notamment cristallisent les inquiétudes. « Il faut très vite lever cette ambiguïté, confirme Gérard Rameix. Les Britanniques participent à des prises de décisions qu’ils n’auront peut-être jamais à appliquer. »
Paris dans la séduction
Opportunité ou catastrophe, le Brexit inquiète, mais les acteurs du secteur sont prêts à penser l’Europe de demain. « Nous dépendons encore beaucoup de nos voisins sur un plan économique, rappelle André Villeneuve, membre du conseil consultatif du lobby The City UK. Et cela ne changera pas après le Brexit. » La capacité d’unité des membres sera donc cruciale pour réussir la transition, malgré des ambitions nationales pour attirer les capitaux et talents qui risquent de quitter le Royaume-Uni. « Londres restera probablement la première place financière d’Europe, mais un nouvel équilibre va se créer », prédit Christian Noyer. Un rééquilibrage qui pourrait profiter à Paris, qui a toujours entretenu des rapports serrés avec ses voisins outre-Manche et dont l’écosystème financier est le plus développé en Europe, après Londres. « Le Royaume-Uni est tellement absorbé par le Brexit que la France a la possibilité de prendre le lead », affirme André Villeneuve.
L’industrie financière britannique a besoin de l’Europe continentale, et l’Europe a besoin de la City de Londres
L’industrie financière britannique a besoin de l’Europe continentale, et l’Europe a besoin de la City de Londres. Mais si la volonté d’aller de l’avant est bien là de chaque côté de la Manche, l’attentisme risque malheureusement d’être la règle au cours de prochains mois, qui vont voir se succéder les élections aux Pays-Bas en mars, en France en mai puis en Allemagne en septembre. À moyen terme toutefois, la création de l’Union des marchés de capitaux et la poursuite des mesures de convergence fiscale participeront à la stabilisation d’une Europe fragilisée. « Le Brexit aura des effets en termes de croissance, conclut Michel Sapin. À nous de préserver les intérêts de l’Union européenne et de faire face, collectivement. »