Renaud de Pressigny (QBE France) : « Le terrorisme cyber n’a pas encore montré l’étendue de ses terribles capacités »
Décideurs. Le rôle de l’assureur moderne ne se limite plus au versement d’indemnités post-sinistre. Quelle est aujourd’hui l’étendue de vos services envers vos clients ?
Renaud de Pressigny. QBE France est un assureur dédié aux PME et ETI. Sur ce segment, notre offre d’accompagnement personnalisé et de service autour de nos prestations d’assurance prend une place de plus en plus décisive. Cette évolution nous permet d’enrichir notre métier traditionnel. Nous avons lancé QBE Risk Profile, notre offre d’accompagnement des PME et ETI dans la gestion des risques, parce que ces sociétés n’ont généralement ni le temps ni les ressources en interne pour établir une cartographie précise et globale de leurs risques. Pourtant, ces sociétés sont exposées aux mêmes risques que les grandes entreprises, comme le cyber, la fraude, le terrorisme… Pour identifier, quantifier et réduire ces risques, les PME et ETI doivent s’appuyer davantage sur leur courtier et leur assureur. C’est pour cela que nous avons conçu QBE Risk Profile, en partenariat avec Arengi, afin d’identifier les menaces qui pèsent sur ces entreprises, et aider celles-ci à mettre en place des plans d’action adaptés à ces situations.
Comment ont réagi les courtiers qui peuvent percevoir cette offre comme une menace pour leurs intérêts directs ?
La totalité de notre activité est réalisée par l’intermédiaire de courtiers, et nous pensons qu’ils ont un rôle majeur dans l’accompagnement de leurs clients en matière de gestion des risques. Nous avons déjà présenté notre offre QBE Risk Profile à plus de trois cents courtiers qui ont dans leur majorité accueilli ce service de façon très positive, reconnaissant qu’il constituait également un avantage différenciant pour eux. Notre offre leur permet d’engager avec leurs clients et prospects un dialogue autour de la gestion des risques. Elle leur permet aussi d’accéder à la direction générale des entreprises concernées lors de la restitution de la cartographie des risques par Arengi. QBE Risk Profile donne en outre aux courtiers l’occasion de proposer d’autres solutions d’assurance aux entreprises concernées pour des risques que celles-ci n’auraient pas identifiés, ou dont l’importance n’était pas appréciée au niveau adéquat. Loin de menacer les intérêts des courtiers, nous accroissons leur rôle auprès des clients et leur permettons de développer leur courant d’affaires.
Les PME et ETI sont exposées aux mêmes risques que les grandes entreprises
Certains risques restent difficilement assurables pour les entreprises (réputation, cyber, météo-sensibilité, supply chain). Quels éléments manquent aujourd’hui aux grandes compagnies pour combler ces failles ?
Tous ces risques sont par essence immatériels, et de ce fait plus difficiles à cerner que des risques d’atteintes physiques à des biens ou des personnes. Les données historiques liées à ces risques sont souvent réduites et de qualité inégale selon les régions du monde, ce qui rend difficile les projections actuarielles. Les entreprises elles-mêmes ont du mal à quantifier certains de ces risques, du fait de leur complexité et de leur évolution rapide. C’est notamment le cas pour les risques de supply chain.
Comment sont aujourd’hui gérés ces risques de supply chain et quels sont les axes d’amélioration à ce sujet ?
Pendant longtemps, le risque « fournisseurs » s’est concentré sur la santé financière de ceux-ci. Certes, il est toujours utile de vérifier que les bilans de ses fournisseurs sont sains et que leur situation financière ne présente pas de signe préoccupant. Toutefois, cela est loin d’être suffisant. D’autres questions doivent être posées : est-ce que mon fournisseur dispose d’un site de production unique ? Est-ce que plusieurs de mes fournisseurs-clés sont regroupés dans la même zone géographique ? Quel est l’impact, sur mon chiffre d’affaires et sur ma marge, de la défaillance de tel fournisseur ? Les réponses à ces questions permettent de dimensionner de façon adéquate les garanties d’assurance, d’en optimiser le coût et de faciliter l’indemnisation en cas de sinistre. Du fait de la complexité croissante de la supply chain, il faut reconnaître que ces analyses de risques sont de plus en plus longues.
Qu’en est-il de l’offre des compagnies pour les risques cyber ?
Le niveau de difficulté est similaire. La gestion des risques informatiques ne se résume pas aux pratiques de hacking. Avec les chaînes de production automatisée, les dangers sont réels. La maintenance des robots à distance par exemple est un moyen d’infiltrer les systèmes d’information d’une usine et d’en prendre le contrôle. Le terrorisme cyber n’a pas encore montré l’étendue de ses terribles capacités, mais la menace est croissante. L’offre des compagnies est de plus en plus développée et associe généralement indemnité d’assurance et services de gestion de crise. QBE lancera prochainement une offre cyber en France, dédiée aux PME et ETI.
QBE, assureur australien, a développé un réseau national en France. Quels sont les avantages d’une telle organisation ?
La majorité de nos équipes est localisée à Paris mais nous disposons de quatre antennes en région : Nantes, Bordeaux, Lyon et Strasbourg. Chacune de ces délégations régionales est dotée de souscripteurs en mesure d’étudier et de gérer de façon autonome les contrats d’assurance. Elles travaillent avec des courtiers régionaux, sur des typologies d’affaires (PME et ETI) qui sont placées localement et auxquelles nos souscripteurs parisiens n’auraient pas accès. Nos clients basés en province sont sensibles à la proximité et souhaitent traiter avec des interlocuteurs régionaux disposant d’un fort degré d’autonomie. C’est ce qui fait notre succès en région.
L’irruption des Gafa dans le secteur de l’assurance semble inévitable
Sur votre marché des offres dédiées aux entreprises, les taux d’intérêt bas et la concurrence croissante entraînent une baisse mécanique des prix de vos produits. Quels sont vos axes stratégiques pour garder une dynamique positive ?
QBE est implanté en France depuis près de vingt ans. À l’inverse de nombreuses compagnies d’assurance internationales qui se sont installées dans l’Hexagone en ciblant le marché des grands comptes, nous avons toujours privilégié les entreprises de taille moyenne. Nous avons acquis sur ce segment un savoir-faire et une légitimité réels, fondés sur une technicité forte dans les branches que nous souscrivons (dommages, responsabilité civile, construction, caution et lignes financières) et sur notre proximité avec les courtiers et les clients. En outre, nous avons renforcé notre offre d’assurance avec des services à valeur ajoutée : QBE Risk Profile, dont nous avons déjà parlé, et QBE Multinational. Cette dernière offre s’adresse aux nombreuses PME et ETI qui se développent au-delà de nos frontières et que nous accompagnons dans plus de 140 pays avec le réseau international QBE.
Quelles vont être les prochaines évolutions majeures du secteur de l’assurance ?
La révolution digitale que nous connaissons aujourd’hui va affecter l’assurance dans différents domaines. Les investissements du secteur de l’assurance dans le big data se comptent déjà en centaines de millions d’euros. Les assureurs pourront faire bénéficier leurs clients de ces données, en adaptant davantage leurs produits à leur profil de risque, ou en leur fournissant des « benchmarks » de plus en plus précis. Les entreprises pourront se comparer aux sociétés présentant des profils similaires aux leurs afin de mieux gérer leurs risques et arbitrer leurs choix d’assurance. Par ailleurs, l’irruption des Gafa [ndlr : Google, Apple, Facebook, Amazon] dans le secteur de l’assurance semble inévitable, en commençant par le segment des particuliers. Les Gafa disposent déjà d’une quantité importante d’informations stratégiques sur les individus : leurs pratiques sportives, leur alimentation, leur résidence, leurs voyages… Ces données commencent à être utilisées dans certains pays dans le domaine de l’assurance santé. Enfin, l’impact de la voiture autonome peut s’avérer majeur pour le marché de l’assurance auto. À terme, si les taux d’accidents chutent drastiquement, les volumes de primes vont également s’effondrer…
Propos recueillis par Thomas Bastin