Ancien responsable du planning stratégique chez Renault-Nissan puis chez Dassault Systèmes, Bertrand Chokrane est désormais P-DG de BC Consulting, une société d’analyse financière spécialisée dans le domaine de l’audit, du conseil et de la prévision de marché. Son analyse de la situation économique internationale et française.

Décideurs. La Fed semble sur le point de revoir à la hausse ses taux d’intérêts. Qu’en pensez-vous ?

Bertrand Chokrane. L’économie américaine ralentit. Les chiffres de la croissance relevés depuis le deuxième semestre de 2014 sont inférieurs à ceux de la même période un an plus tôt. Même constat pour la production industrielle, en baisse depuis septembre 2015, et le commerce intérieur depuis plus d’un an. Face à ce bilan, la Fed a bien compris que le fait d’injecter des liquidités dans l’économie avec une politique de taux bas n’a pas permis à l’économie de repartir. Les banques ne prêtant pas, l’argent ne profite pas à l’économie réelle. Cette situation montre l’impuissance actuelle de la banque centrale américaine qui souhaite donc remonter les taux tant qu’il en est encore temps. En effet, le contexte ne semble pas vouloir s’améliorer. Malgré une remontée des prix du pétrole, les créances des industries des gaz de schiste vont être difficilement remboursables. L’euro se fragilise et certains pays comme la France ne parviennent pas à se désendetter. Confrontées à de telles menaces, les banques ont besoin de revaloriser leurs fonds propres pour éviter de couler. C’est pourquoi la hausse des taux d’intérêt est indispensable.

 

Décideurs. Quelles seraient les conséquences de cette remontée des taux en Europe ?

B. C. Augmenter les taux ferait grimper la valeur du dollar. Une situation favorable aux entreprises qui exportent aux États-Unis. Mais pour les pays surendettés comme la France, cela peut avoir des conséquences dramatiques. C’est pourquoi la Banque centrale européenne devra inévitablement remonter ses taux directeurs pour s’aligner avec ceux en vigueur de l’autre côté de l’Atlantique. Le système est toujours le même : lorsque l’économie américaine est en difficulté, cela touche toutes les autres.

 

Décideurs. Dans un contexte global que vous décrivez sous tension, quelle est la situation de la Chine?

B. C. C’est une véritable bombe à retardement. Dans la mesure où la dette du pays correspond à 250 % du PIB, je ne vois pas comment son économie peut surmonter cela. D’autant que la vente de ses produits à l’étranger diminue et que l’inflation salariale continue ce qui réduit radicalement leur compétitivité. Pour ne rien arranger, la Chine a de fortes lacunes en matière de gouvernance bancaire. Les banques prêtent de moins en moins d’argent et les entreprises locales s’expatrient à l’étranger. Peu à peu, l’économie devient paralysée et devrait connaître une déroute totale d’ici 2020.

 

Décideurs. Face à ce contexte général, que doit faire le gouvernement français pour contrôler sa dette ?

B. C. Compte tenu de son poids qui pèse 2 096 milliards de dollars, la situation a de quoi en effrayer plus d’un. D’autant que les CDS (Crédit Defaut Swap, soit les paris pris sur cette dette sur les marchés des produits dérivés) représentent 20 000 milliards de dollars. Pour moi, les erreurs de la crise financière de 2008 ont été répétées. Avec la difficulté des pays surendettés à rembourser leur dette, l’idéal serait de faire table rase pour repartir de zéro et sauver le système actuel. Malheureusement, les États ne sont pas encore prêts à engager le bras de fer. Dans le cas de la France, alors que le risque de banqueroute est devenu systémique, celle-ci devrait tourner la situation à son avantage en mettant la pression sur les banques et renégocier sa dette (détenue à 70 % à l’étranger).

 

Décideurs. C’est une solution qui fait porter toute la responsabilité sur les investisseurs. Le gouvernement ne devrait-il pas lui aussi agir pour améliorer la situation ?

B. C. Bien sûr. Il y a beaucoup à faire au niveau structurel. La France doit recentraliser les fonctions d’État. Avec la loi El Khomri par exemple, ce sont les régions qui devraient peser dans les négociations et non les syndicats dont la gouvernance connaît parfois certains dysfonctionnements. D’une part, elles sont plus à même de gérer la situation, d’autre part, cela permettrait de trouver un consensus social et de financier en toute stabilité, sans porter préjudice à l’économie française. La deuxième règle d’or, c’est le contrôle des finances publiques. Plus de libertés doivent être accordées à la Cour des comptes, notamment pour lui permettre de mieux surveiller la gestion financière de l’État et de saisir le Parquet lorsque cela est nécessaire. Par ailleurs, à l’image de ce qui existe dans le privé sous la forme d’abus de bien social, une loi contre ceux qui ne respectent pas les biens de l’État doit être mise en place. En partie pour sanctionner les patrons des grandes entreprises publiques, qui n’utilisent pas toujours les ressources financières du groupe dans son intérêt premier.

 

Décideurs. Quel regard portez-vous sur l’industrie française ?

B. C. À part Criteo, aucune entreprise française n’est cotée au Nasdaq. Par ailleurs, nous sommes le pays le plus en retard en termes d’investissements pour le secteur du numérique. Un bilan illustré par le retard de la FrenchTech sur des pays tels que les États-Unis, la Chine ou encore l’Angleterre. Outre les lacunes technologiques, les perspectives industrielles ne sont pas bonnes. Les entreprises du secteur préfèrent partir du principe que la croissance sera négative pour déterminer leur budget et ne pas perdre d’argent. Une philosophie qui pénalise l’économie, en manque de projet d’investissement. Notons que la France souffre d’un sérieux problème de gouvernance. Ce n’est généralement pas les grands capitaines d’industrie qui pilotent les entreprises françaises puisque c’est encore la noblesse d’État qui prime. Par conséquent, les perspectives d’évolution des groupes sont réduites. En matière d’internationalisation par exemple, ils sont beaucoup trop nombreux à se contenter de la commande publique, ce qui inhibe les perspectives de croissance à l’étranger.

 

Décideurs. Quelles mesures préconisez-vous pour relancer l’économie du pays ?

B. C. La meilleure solution serait d’adopter un système de revenu universel. Nous devons l’admettre, les chiffres de la croissance n’atteindront plus des niveaux mirobolants capables de résoudre le mal de l’économie. Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle et des algorithmes, la menace du chômage n’a jamais été aussi importante. Le défi majeur consiste donc à lutter contre la pauvreté. Dans ce cadre, le versement d’un revenu adapté au coût de la vie dans chaque région permettrait à ceux en situation précaire de consommer à nouveau. Ce qui pourrait faire repartir l’économie.

 

Décideurs. Comment financer une telle mesure ?

B. C. Il s’agit d’abord de regrouper sous un seul dispositif les 6 000 prestations sociales existantes, si bien que le coût induit ne serait pas si élevé. Cette simplification permettrait aussi de faire des économies substantielles. Il faudrait sans doute compléter avec une hausse des prélèvements fiscaux, de préférence sur la consommation  avec la TVA. Il est également possible de diminuer le train de vie de l’État ainsi que la bureaucratie de contrôle de toutes les prestations sociales existantes en les regroupant dans un seul et même dispositif centralisé. Par ailleurs, il serait judicieux de rendre imposable chaque individu dès le premier euro gagné, même symboliquement. Parallèlement, la relance de l’économie devrait passer par la baisse des charges sociales, finançable par la suppression des subventions de toutes sortes, soit au moins 110 milliards de gabegie.

 

Propos recueillis par Richard Trainini

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