Marie Cheval, P-DG, Boursorama : « Un leader qui n’écoute pas peut devenir dangereux »
Décideurs. L’altruisme est-il une composante du leadership qui ira jusqu’à révéler celui d’un autre ?
Marie Cheval. Il me semble qu’un leader ne peut l’être dans la durée que s’il arrive à faire émerger le leadership de ses collaborateurs. Cela nécessite donc une certaine dose d’altruisme. L’écoute et une certaine empathie sont très importantes. Montrer de l’empathie n’est pas une faiblesse. C’est une erreur de penser de la sorte aujourd’hui.
Décideurs. Considérez-vous que vous êtes parvenue à faire émerger des « talents » ?
M. C. Le repérage des talents et l’élaboration des plans de succession sont primordiaux pour un dirigeant. J’ai incité des personnes à se révéler, à se mettre en avant. J’ai pu constater que les hommes le font plus naturellement que les femmes. En général, quand on propose une promotion à une femme, son réflexe est d’abord de trouver toutes les raisons de refuser ! Je ne sais pas s’il s’agit d’une question de psychologie ou d’éducation. Je crois que le leadership dépend beaucoup de l’éducation reçue et aussi d’une certaine dose d’inné.
Décideurs. Comment parvenez-vous à porter la parole tout en restant à l’écoute de ceux qui vous entourent ?
M. C. Un leader qui n’écoute pas peut devenir dangereux. Mais si c’est juste pour faire semblant d’écouter, c’est de la démagogie… Le cadre dans lequel on écoute et la gouvernance sont deux éléments très importants. Il y a un temps pour l’écoute et un temps pour la prise de décision. Il faut ensuite énoncer les décisions et être fort dans la prise de parole pour que cela porte et que cela soit repris. Croiser dans un couloir un collaborateur qui reprend vos mots est un élément de fierté. J’apprécie le mot « chef » car il est pour moi révélateur de cette composante du leadership : le chef est celui qu’on écoute et que l’on suit. Le chef d’orchestre, c’est un beau modèle !
Décideurs. Un leader doit fonder sa relation aux autres sur la confiance et encourager leur adhésion. Comment éviter alors l’écueil de la soumission ?
M. C. Là aussi, c’est un présupposé de penser que la confiance implique la soumission. Je peux avoir confiance en quelque chose ou quelqu’un et garder mon libre arbitre ! Si la confiance entraîne une forme de soumission, c’est qu’elle ne repose pas sur des bases saines. Quand vous êtes nommé à un poste de direction, notamment dans des organisations hiérarchiques et nombreuses, la plus grande difficulté est que les gens n’osent plus venir vous dire quand vous avez été maladroit ou que vous avez fait une erreur – ce qui arrive ! Pourtant ce retour est indispensable : si je rate une prise de parole par exemple, je veux qu’on me le dise.
Décideurs. Doutez-vous ? Comment un leader peut-il gérer ses questionnements ?
M. C. Je crois que tout le monde doute. Les leaders aussi ! Les personnes qui ne traversent pas ces moments d’interrogation peuvent, là aussi, être dangereuse. Ce qui est important, c’est la durée de l’interrogation et le cadre dans lequel elle s’exprime. Il est possible, souvent constructif, d’extérioriser un questionnement, plutôt qu’un doute, avec une équipe restreinte. En revanche, un chef qui génère trop de doutes chez ses collaborateurs n’est pas à la hauteur car on attend de lui qu’il décide, pas qu’il hésite ou qu’il doute. C’est sûrement cela qu’on appelle « la solitude du chef » : à un moment la décision repose sur vous seul.
Décideurs. Pensez-vous qu’un leader doive nécessairement posséder un sens politique et social pour unir un groupe ?
M. C. L’entreprise est une réalité économique et sociologique, avec des usages et des rapports de force. Un leader doit donc posséder un sens politique et social aigu. Il ne faut pas être dupe, des jeux de pouvoir existent. En revanche un leader qui ne s’appuierait que sur ces qualités risquerait de se prendre les pieds dans le tapis. Dans un comité exécutif par exemple, le leader doit prendre en compte les affinités relatives des uns et des autres. Mais si cela prend trop de place, la gouvernance ne fonctionnera pas bien.