Après l’éclatement de la bulle Internet, lancer un fonds d’investissement dédié au numérique était chose périlleuse. Pourtant, Philippe Gire et ses associés ont lancé Elaia Partners à cette période charnière en misant sur les promesses du digital. Depuis, de nombreux succès sont venus payer leur audace. Elaia Delta, le quatrième fonds de cette équipe, devrait comme ses aînés dénicher les pépites françaises de demain.

Décideurs. Marc Rougier vous a rejoint. Quel sera son rôle et pourquoi son nom s’est détaché de celui des autres candidats ?

Philippe Gire. Le fonds est porté par une équipe. Toutes les décisions clés sont prises à l’unanimité des cinq investisseurs. Nous misons sur la diversité pour améliorer l’évaluation des projets et des équipes qui les portent. Par exemple, avec Samantha et Pauline, notre équipe est la plus féminisée du capital-risque. La variété des profils mais aussi la variété des expériences sont précieuses. Le recrutement de Marc s’inscrit dans cette logique. Nous le connaissons depuis dix ans. Ses compétences technologiques complètent les nôtres et en tant que serial entrepreneur, il apporte un angle de vue complémentaires aux projets que nous étudions et un accompagnement majeur aux entrepreneurs de notre portefeuille.

 

Décideurs. Le Galion Project a publié une lettre d’intention standard pour faciliter la première levée de fonds des entrepreneurs. Cette initiative va-t-elle déranger les fonds ?

P. G. Nous sommes très favorables à cette initiative. Ce term sheet reprend de nombreux points de notre propre lettre d’intention. Il constitue une bonne base de départ même si les négociations sur certaines clauses seront inévitables pour s’adapter aux sensibilités ou aux situations particulières.  Dans le détail, la clause de liquidation préférentielle nous est chère. C’est une voie intermédiaire entre les solutions classiques trop sévères, chacune à leur manière, soit pour les investisseurs, soit pour les entrepreneurs. Cette solution a pour avantage d’aligner les intérêts de toutes les parties prenantes lors de la sortie, quel que soit le prix de vente de la société.

 

Décideurs. Au-delà de l’apport financier, quelles compétences proposez-vous aux sociétés ?

P. G. Nous comprenons le métier et les problématiques des entrepreneurs du numérique. Cela nous permet de nous transformer en sparring-partner sur toutes les questions qui préoccupent les créateurs d’entreprise. En early stage, ils peuvent souffrir d’une relative solitude. Échanger avec un interlocuteur ayant déjà accompagné des sociétés à succès peut s’avérer décisif pour tester une idée ou obtenir un conseil. À ce stade, l’assistance de proximité des fonds est fondamentale. L’accès au quotidien à des coachs qui comprennent en profondeur les technologies numériques et leurs usages, des Board members engagés, un réseau dense sont autant d’atouts pour réussir.

 

Décideurs. L’écosystème français de l’innovation vous semble-t-il compétitif par rapport aux autres places fortes européennes comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne ?

P. G. L’écosystème français est en constante progression. Le tissu d’accélérateurs et d’incubateurs est bien plus dense que par le passé. La fiscalité est favorable avec le CIR et le support de la BPI un élément clé de l’écosystème. Par ailleurs, les serial entrepreneurs sont devenus des modèles à suivre pour la nouvelle génération alors qu’ils continuent de lancer des projets de plus en plus ambitieux. Certains se sont aussi mués en business angels actifs. Les entreprises à succès comme Criteo ou Sigfox forment de nombreux talents dans leurs équipes, susceptibles de lancer eux-mêmes leurs sociétés par la suite. Autre élément essentiel : la place considérable des mathématiques dans la vague actuelle du digital et l’excellence de l’école française en la matière. Il y a dix ans, les jeunes mathématiciens diplômés s’orientaient vers la finance. Aujourd’hui, ils créent des sociétés dans le big data et le machine learning.

 

Décideurs. Pour l’amorçage, la France est devenue une place d’excellence. Pourquoi trouvons-nous si peu d’ETI performantes ?

P. G. On revient sur ce constat. Les champions des nouvelles technologies se créent au fur et à mesure. L’écosystème fonctionne bien mais son émergence est récente. Nous allons en tirer les fruits dans les prochaines années. La situation ne peut pas évoluer d’un coup de baguette magique. Ce décalage entre les différentes initiatives et les résultats tangibles est normal.

 

Décideurs. Une étude Capgemini avance que les start-up françaises ont levé en 2015 la somme de 1 MD€. Un « petit » calcul vous donne alors 2,5 % de part de marché. Il vous reste encore du chemin à parcourir n’est-ce pas ?

P. G. Nous investissons entre 30 et 40 M€ par an. Par rapport à l’intégralité du marché, nous sommes sans doute un petit acteur. Sur ces métiers, la concurrence n’est pas négligeable, sans compter la part significative des fonds étrangers. Il faut nous comparer avec nos semblables, c’est-à-dire les acteurs français du numérique en early stage. Nous ne travaillons ni avec la biotech, ni avec les cleantechs : deux secteurs très dynamiques. Notre spécialité demeure l’acquisition à faible coût de pépites. Notre track record plaide en notre faveur avec la découverte de Criteo, Sigfox et Teads. Il nous manque Blablacar, mais nous ne sommes pas positionnés sur le B2C.

 

TB / FS

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