Julien Tokarz (ECF) : « Il ne pourra pas y avoir de déconcentration là où il n'y aura plus d'acteurs »
Décideurs. Quelles sont les raisons du désaccord d'ECF sur la réforme de l'audit en préparation ?
Julien Tokarz. ECF est aujourd'hui l'un des deux grands syndicats de la profession. Nous réunissons de nombreuses structures très sensibles à la réforme actuellement préparée par le ministère de la Justice. Contrairement aux objectifs européens initiaux, cette réforme va éliminer les petits et moyens cabinets et concentrer le marché de l’audit sur quelques entités. C’est une menace pour la profession de l'audit déjà malmenée, mais c’est surtout une menace pour la qualité de la sécurisation de l’économie française.
Décideurs. Quel était le but initial de cette réforme ?
J. T. Toute profession doit savoir évoluer avec son temps et nous ne sommes pas contre une réforme. À la suite des crises économiques et financières, il était tout à fait normal que les États encadrent davantage les processus de surveillance des sociétés. L'intention initiale est louable, à savoir favoriser une déconcentration du marché de l'audit, garantir une meilleure qualité et une plus grande indépendance des auditeurs. Cependant, la version française de la réforme s'éloigne dangereusement des grands principes. La Chancellerie souhaite aller bien au-delà du livre vert sur l’audit, de la directive et du règlement européen. Et c'est là où le bât blesse car la réforme de l'audit va menacer très sérieusement la survie de nombreux cabinets. Il ne pourra pas y avoir de déconcentration là où il n'y aura plus d'acteurs. Nous prévoyons que plusieurs milliers de cabinets pourraient être contraints de cesser leur activité. C'est dire l'urgence à revoir les modalités de ce texte.
Décideurs. Quels sont les risques de cette réforme ?
J. T. Paradoxalement, la réforme est moins défavorable aux grandes structures, les « Big » en tête. Le contrôle des cabinets, leur rotation, les appels d'offres, le cadre des services non-audit, ... toutes ces mesures vont concentrer exclusivement les mandats des entités d’intérêt public (EIP) sur les cabinets les plus importants. Nous constatons déjà une forme de dumping dans le cadre d'appels d'offres. Cela est possible du fait de l'évolution des DDL (diligences directement liées) en services non audit. Jusqu'alors, seule une dizaine de services était autorisée. Aujourd'hui, l'interdiction est l'exception et cela permet aux grandes structures de baisser leurs prix sur les mandats pour ensuite facturer des services complémentaires. Ce que les plus petits ne savent ou ne peuvent pas faire.
Décideurs. Que prônez-vous ?
J. T. Premièrement, de réécrire ce projet de loi et de ne pas surtransposer la réglementation européenne. Je demande au gouvernement de s’en tenir aux obligations et de ne pas faire de zèle. Ensuite, sur le long terme, je préconise de fusionner les institutions représentatives du commissariat aux comptes et de l'expertise comptable pour offrir des solutions d'organisation et d’influence dans les discussions. Face à une administration toujours plus contraignante, il faut une voix unifiée et forte qui sait se faire respecter. Comme je vous le disais, nous ne sommes pas contre une réforme mais nous ne souhaitons pas que le commissariat aux comptes soit uniquement l'apanage de quelques-uns.
AV