Bienvenue dans la finance 3.0
Après s’être stabilisé autour de 250?dollars, le bitcoin franchissait début novembre la barre des 500?dollars. En seulement trois mois, cette monnaie électronique libre de tout contrôle étatique a ainsi progressé de 150?%. Malgré cette très forte volatilité et un manque criant de transparence (blanchiment et suspicion de financement du terrorisme), elle restera comme l’une des innovations majeures de ces dernières années dans le secteur de la finance. Au point que son inventeur, Satoshi Nakamoto, vient d’être nominé pour recevoir le prix Nobel d’économie en 2016.
Simplification d’utilisation
Après la musique et la presse, la finance est donc à son tour confrontée à la révolution numérique. Si le mouvement a d’abord touché les moyens de paiement, il concerne aujourd’hui aussi bien l’épargne et le crédit que la gestion de patrimoine ou les services financiers. Leur point commun?? La désintermédiation et la simplification d’utilisation. Une révolution rendue possible par l’assouplissement de la réglementation qui a mis fin au monopole bancaire. Désormais, quand une direction financière souhaite emprunter, effectuer des achats de devises étrangères, mettre en place un service d’affacturage ou régler ses factures sur Internet, elle peut le faire sans passer par une banque ou une société de gestion. Les fintech couvrent tous les besoins. Parfois même mieux et moins cher que les acteurs traditionnels.
Depuis que la réglementation du financement participatif est entrée en vigueur en octobre?2014, une quinzaine de plates-formes ont ainsi vu le jour. En 2015, le crowdfunding aux PME devrait encore doubler. Selon Financement participatif France, ces sociétés ont permis de lever 85?millions d’euros au premier semestre 2015. Comment expliquer un tel succès?? «?Les banques sont trop grandes et ont perdu le lien de proximité dans le prêt. Elles sont proches du client via les agences physiques, mais les clients digital natives n’ont plus envie d’aller en agence, analyse Sébastien Burlet, fondateur et CEO de Lemon Way, service de paiement pour marketplaces. Le financement participatif existe car le marketing bancaire n’a pas su comprendre ces nouveaux comportements.?» Le poids du crowdfunding dans le financement de l’économie est néanmoins à nuancer puisque le marché global du crédit aux TPE et aux PME est estimé à quatre-vingts milliards d’euros par an en France.
Des tarifs en baisse
Les fintech séduisent aussi les entreprises pour leurs services financiers. En baissant les tarifs, elles ont permis de démocratiser certaines pratiques. Désormais, il est très abordable pour une entreprise de disposer d’un moyen de paiement sur son application. «?Le paiement mobile intéresse particulièrement les entreprises car il permet un enrichissement des services proposés. Grâce aux nouvelles technologies, ce service va être un moyen d’avoir des interactions avec le client pour le fidéliser?», explique Florent Labey, associé chez Althéa en charge de la partie finance. Les particuliers seront également concernés. «?Il est très probable qu’à terme, les smartphones remplaceront les cartes bleues. Néanmoins, les habitudes sont encore tenaces et ce changement ne se fera pas du jour au lendemain?», estime Stéphane Vromman de Bulb in Town.
Pour Cyril Chiche, président de Lydia, application mobile permettant de régler tous ses paiements par carte bancaire, le développement limité du paiement sans contact s’explique autrement?: «?Si la technologie n’apporte rien de nouveau, elle ne sera pas adoptée. Or, les terminaux NFC n’apportent aucune révolution. Ils ne sont disponibles que dans les endroits où vous pouvez déjà payer par carte.?» La force du paiement mobile est donc de proposer des solutions là où la carte bancaire n’a pas encore réussi à percer. «?Nous nous dirigeons vers une société où l’argent liquide représentera une part minoritaire des échanges. Actuellement,55?% des échanges, en volume, se font en cash. À moyen terme, ce taux passera sous les 30?%?», anticipe Cyril Chiche.
Payer sans passer en caisse
En attendant, de nouveaux usages continuent d’apparaître. «?Bientôt, dans les magasins, il sera possible de payer sans passer par la caisse. De nombreuses enseignes comme Apple Store et L’Occitane sont en train de le tester. On peut s’attendre à une généralisation assez rapide car c’est un vrai plus. Avec les files d’attente, le passage en caisse peut être très dissuasif?», commente Florent Labey. Une révolution qui ne profitera pas à tous les acteurs. À moyen terme, le marché du paiement mobile devrait connaître une concentration et une interopérabilité des solutions. Les coûts à supporter par les créanciers et les commerçants sont trop importants pour qu’autant de solutions de paiement continuent de coexister.
Autre usage amené à changer?: la gestion de trésorerie. Dans ce domaine, les sociétés jugent que les offres proposées par les start-up sont plus pertinentes du fait de leur agilité. Le directeur financier d’une PME spécialisé dans l’export qui cherchait à mettre en place un système d’achat de devises étrangères pour se couvrir contre les risques de fluctuation a ainsi été étonné par le manque de connaissances technologiques de son interlocuteur dans une grande banque française. En se tournant vers une start-up, il a pu bénéficier d’une offre personnalisée et, surtout, d’une facture en baisse de 15?%. Pour Philippe Gelis, président de Kantox, société de gestion de devises, l’écart est encore plus important?: «?Il ne faut pas oublier que les banques cachent des commissions dans les taux de change afin que le client n’ait pas conscience de ce qu’il paye réellement?». Des commissions cachées qui peuvent multiplier les prix par dix.
Un constat qui ne vaut pas que pour les prestations sur les taux de change. Le secteur du paiement est aussi fortement impacté. Alors que Lydia, société de solution de paiement mobile, propose aux professionnels un abonnement de 19,90?euros par mois puis un prélèvement de 0,3?% sur le montant des opérations réalisées, il faut compter environ quarante euros par mois et entre 0,6?% et 1,2?% de prélèvement pour une banque. Une citation de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, sur le secteur de la distribution résume très bien la guerre des prix que livrent les fintech face aux acteurs traditionnels?: «?Votre marge est mon opportunité?». «?Les fintech fournissent plus de transparence dans l’activité et des tarifs plus simples et maîtrisés?», ajoute Sébastien Burlet. Peut-on pour autant résumer l’avantage des fintech à une question de coût?? Non, met en garde Leonard de Tilly, cofondateur et CEO de Fundshop, société de robo-advisor spécialisée dans l’assurance-vie?: «?Les fintech qui se positionnent uniquement par rapport au prix se trompent de débat. Notre innovation est d’apporter de nouveaux produits ou services.?»
De véritables banques
Une révolution qui n’est pas sans risque pour les acteurs traditionnels. Alors que nous passons désormais trois heures par jour en moyenne sur nos smartphones, les applications bancaires sont les deuxièmes les plus utilisées derrière celles de la météo. Il est désormais possible d’ouvrir un compte en 48 heures sans passer par une agence. Et ce service ne concerne pas que les particuliers, les professionnels peuvent également y souscrire. À la clé, des opérations simplifiées sur mobiles et des outils avancés pour mieux maîtriser son budget mensuel. Une offre qui fait déjà un carton auprès des entrepreneurs de la génération digitale. «?Pour le moment, les fintech se sont surtout focalisées sur des verticales ou des produits?: prêt, change, affacturage. Mais cela devrait évoluer, prévient Philippe Gelis. Je vois l’émergence de véritables banques fintech dans les prochaines années?: très focalisées sur un segment particulier (immigrants, jeunes, moyennes fortunes…) pour éviter d'être confrontées à la concurrence frontale des groupes bancaires.?»
Face à ces nouveaux venus, les acteurs traditionnels sont donc affaiblis mais elles en ont conscience. «?Dans cinq ans, la façon de faire de la banque de proximité aura radicalement changé. Les banques qui ne se réinventeront pas disparaîtront?», prophétisait Ronan Le Moal, directeur général du Crédit Mutuel Arkéa, lors de la dernière réunion des actionnaires. Pour combler leur retard, elles investissent massivement dans ces fintech et rattrapent petit à petit du terrain, notamment sur la banque de détail et le paiement en ligne. Quoi qu’il en soit, les banques gardent un avantage certain par rapport aux fintech?: celui de la sécurité. Non pas sur le service en lui-même mais sur la viabilité de l’offre. En effet, les start-up n’ont pas encore fait leurs preuves et nombreuses sont celles à ne pas avoir atteint la rentabilité. Difficile dans ces conditions d’imaginer une relation sur le long terme.
V. P.
Pour aller plus loin, découvrez les entretiens de :
- Stéphane Vromman (Bulb in Town) : «?Une concentration est inévitable?»
- Sébastien Burlet (Lemon Way) : «?En toute sécurité?»
- Philippe Gelis (Kantox) : «?La guerre du Viêt Nam?»
- Leonard de Tilly (Fundshop) : «?Nous démocratisons le secteur?»