Vincent Strauss, président de Comgest, estime que les nouvelles réglementatations sont dangereuses. 
Décideurs. D’après vous, les grands groupes financiers ont-ils appris de leurs erreurs ?
Vincent Strauss.
Non, il est permis d’en douter. Ils sont en train de commettre les mêmes erreurs. Mais ils s’en moquent car ils savent que, comme la dernière fois, ce seront les contribuables qui paieront l’addition. En septembre 2008, on aurait dû nationaliser nombre de banques américaines et européennes avec l’idée de les privatiser à nouveau quelques années plus tard.

Décideurs. Que faudrait-il faire maintenant ?
V. S.
En réalité, ce n’est pas « too big to fail » mais « too big to exist ». Les États devraient intervenir pour démanteler les plus grands groupes financiers classés « systémiques ». En 1984, l’opérateur de télécommunication américain ATT a bien été divisé en sept entités. C’est la preuve que cela est faisable. Malheureusement, les dirigeants politiques font preuve d’une grande lâcheté. Aux États-Unis, les groupes bancaires sont les plus gros contributeurs dans le financement des campagnes électorales. En France, les relations sont plus qu’étroites entre les hauts fonctionnaires du ministère des Finances et les dirigeants bancaires.

Il faudrait également intervenir par la loi pour que les dirigeants de ces grands groupes ne puissent pas avoir de stock-options, car cela encourage une prise de risque incontrôlée. D’autre part, il faut mettre en place une certaine responsabilité des dirigeants bancaires, allant jusqu’à une responsabilité pénale afin que ces derniers assument leurs décisions. Dernier point, les titrisations devraient être mieux encadrées : les établissements financiers doivent assumer leurs risques jusqu’à l’échéance.

Décideurs. Selon vous, quelle est la plus grande erreur des marchés financiers ?
V. S.
Croire que l’on peut quantifier le risque. C’est pour moi de la pure arrogance. L’efficience du marché est un mythe qui s’est effondré avec 2008. Mais les défenseurs de cette théorie de l’efficience ont trouvé des excuses : si le système n’a pas fonctionné, c’est qu’il manquait d’informations, et on a rajouté des couches de documents et de compliance. Le système de titrisation est en fait un grand château bâti sur des fondations en sable. La finance n’est rien d’autre que la liaison entre la monnaie et le temps. À partir du moment où l’on détruit la notion de temps en ramenant tout à une valeur actuelle douteuse, on détruit le concept même de finance. Résultat, on a tendance à sous-estimer les risques et à surévaluer les actifs. Ce mode de fonctionnement permet aux banques d’afficher des bénéfices qui bien souvent n’existent pas. Les bonus versés eux sont bien réels !

« L’efficience du marché est un mythe »

Décideurs. Que pensez-vous des nouvelles réglementations ?
V. S.
Solvency 2 et Bâle 3 sont dangereuses car, en imposant les mêmes choix à tous, d’une manière indiscriminée, elles favorisent la cyclicité des marchés. Les acteurs agissent tous de la même manière au même moment. Les conséquences peuvent être catastrophiques. En physique, on appelle cela le phénomène de résonnance. Au final, cela augmente le risque alors même qu’elles ont été créées dans le but inverse.

Décideurs. La politique de la Banque centrale européenne est-elle la bonne ?
V. S.
Non, maintenir les taux proches de zéro permet seulement de différer les ajustements nécessaires. Pire encore, cette stratégie conduit à une mauvaise allocation massive de l’argent. Les banques sont incitées à prêter à des États surendettés plutôt qu’aux entreprises, permettant aux dirigeants politiques de différer les réformes nécessaires : la France est un cas d’école en la matière. Les investisseurs sont aujourd’hui contraints d’aller chercher un rendement plus élevé sur des supports de plus en plus exotiques et de moins en moins liquides. Quand les taux longs remonteront les bilans bancaires risquent de beaucoup souffrir.

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