Politique-fiction. Après le rejet du budget à Bruxelles, la sortie de l’Allemagne de l’euro et des marchés financiers dans la tourmente, François Hollande réunit un cercle restreint de conseillers et de ministres. Deux scénarios sont à l’étude.
« Sans doute n’étions-nous pas la génération qu’il fallait » (3/6)
Samedi 26 octobre 2015
11h30, Rome – Palazzo Chigi
Debout, dans l’ombre, le visage tiré, tout juste éclairé par un soleil automnal, Mario Monti suit des yeux les badauds de la piazza Colonna. Matteo Renzi est là, assis à son bureau, nerveux et pâle, conscient du basculement historique qu’il va enclencher. « Vous allez probablement provoquer l’écroulement d’une œuvre unique dans notre histoire depuis Rome, reprend Mario Monti après un long silence. Vous savez, mon amertume ne vient pas tant de l’échec de la construction elle-même – sans doute n’étions-nous pas la génération qu’il fallait... les hommes qu’il faut – mais bien plus de ce que l’histoire à laquelle j’ai voulu contribuer n’avance pas irrévocablement vers un mieux. »
10h30, Paris – Palais de l’Élysée, salon vert
L’atmosphère est tendue. François Hollande a réuni un cercle restreint de conseillers et de ministres. Il faut agir. Prendre une décision. La France est dans l’œil du cyclone. Elle doit se donner un budget, rassurer les marchés et prendre position dans la bataille de l’euro.
« Avec Jean-Jacques Barberis, nous avons travaillé sur deux options, commence Laurence Boone, conseillère spéciale du Président, chef du pôle économie et finance. La première, dont je me suis chargée, consiste à faire défaut et à organiser notre propre troïka. La seconde, celle de Jean-Jacques, est d'organiser une sortie négociée de la zone euro.
- Nous devons au moins trouver quelque chose à dire demain soir pour ton allocution, François, interrompt Nicolas Revel, secrétaire général adjoint de l’Élysée et chef du pôle politique publique.
- Allez-y Laurence, prononce du bout des lèvres le Président.
- Notre endettement est devenu insoutenable, reprend la jeune femme, et avec la nouvelle envolée des taux hier, il nous sera bientôt impossible de payer nos dettes. Inutile de vous faire un dessin. Cela signifie que Christine Lagarde peut débarquer d’un moment à l’autre et avec elle, Pierre Moscovici.
- Quelle déconfiture ! lance Laurent Fabius en levant les yeux au plafond.
- Quelle ironie surtout ! réplique aussitôt Michel Sapin. Deux anciens locataires de Bercy pour redresser la France !
- L’idée serait qu’en prenant les devants face au défaut nous gardions la main sur la politique, intervient Manuel Valls. Qu’en penses-tu Emmanuel ?
- Si la France fait défaut, nous ne pourrons en aucune manière rester aux commandes à mon avis, répond l’ex-banquier. Quel est votre proposition Jean-Jacques ?
- J’ai travaillé sur une sortie organisée de l’euro, attaque Jean-Jacques Barberis. Nous créerions pourquoi pas une union resserrée avec l’Italie et l’Espagne, et financerions aisément notre déficit en empruntant auprès de la Banque de France. J’ai contacté Rome mais sans réponse pour le moment… »
La discussion s’allonge, détaillant les deux plans élaborés par les conseillers. Un peu avant quatorze heures, François Hollande sort se promener dans le parc en compagnie de Michel Sapin, pendant que les autres essayent de s’entendre sur un prévisionnel.
« As-tu eu Martine depuis hier ?, tente le ministre qui perçoit l’inquiétude du Président alors que les deux hommes marchent à l’ombre des grands arbres que l’automne embrase.
- Tu sais bien qu’on ne s’entend pas, je me suis contenté des formules officielles. Triste coïncidence de voir mourir Delors alors que l’euro et l’Europe sont au plus mal… Passons. Michel, n’as-tu pas trouvé Fabius ailleurs depuis ce matin ?
- Une forme de frustration peut-être. Je ne sais pas. Après tout, c’est déjà la deuxième fois qu’on lui sert ce scénario-là. La première fois c’était en 1983 sous Mitterrand quand il était ministre du Budget.
- C’est vrai. Seuls les mots ont changé. L’euro a remplacé le Système monétaire européen et le thème de l’austérité s’est substitué au virage de la rigueur.
- Et encore une fois, il essuie les plâtres aux pieds de la fonction suprême sans pouvoir y accéder… »
Les deux amis remontent au salon vert et découvrent leurs collègues les yeux rivés sur un téléviseur. « Matteo Renzi fait une conférence de presse, François ! », lance Nicolas Revel. En direct du Palazzo Chigi, le président du conseil italien annonce sa riposte à la crise de l’euro. « Le gouvernement italien que je dirige a décidé, en collaboration directe avec les représentants du peuple, de remplacer l’euro sur notre territoire par une nouvelle lire. J’ai d’ores et déjà établi avec le gouverneur de la Banque d’Italie un programme qui d’ici un mois nous permettra de donner au pays la monnaie stable dont il a besoin pour relancer son économie… »
Hollande et son assistance sont médusés. Des regards perdus se croisent. Les Italiens l’ont joué solo et la France est isolée sur un coup qui amorce l’enterrement définitif de l’euro.
JHF
Épisode 1 - L'Allemagne exclue de la zone euro ?
Épisode 2 - " Whatever it takes "
Épisode 4 - Père, pourquoi nous as-tu abandonné ?
Épisode 5 - La fin des illusions
11h30, Rome – Palazzo Chigi
Debout, dans l’ombre, le visage tiré, tout juste éclairé par un soleil automnal, Mario Monti suit des yeux les badauds de la piazza Colonna. Matteo Renzi est là, assis à son bureau, nerveux et pâle, conscient du basculement historique qu’il va enclencher. « Vous allez probablement provoquer l’écroulement d’une œuvre unique dans notre histoire depuis Rome, reprend Mario Monti après un long silence. Vous savez, mon amertume ne vient pas tant de l’échec de la construction elle-même – sans doute n’étions-nous pas la génération qu’il fallait... les hommes qu’il faut – mais bien plus de ce que l’histoire à laquelle j’ai voulu contribuer n’avance pas irrévocablement vers un mieux. »
10h30, Paris – Palais de l’Élysée, salon vert
L’atmosphère est tendue. François Hollande a réuni un cercle restreint de conseillers et de ministres. Il faut agir. Prendre une décision. La France est dans l’œil du cyclone. Elle doit se donner un budget, rassurer les marchés et prendre position dans la bataille de l’euro.
« Avec Jean-Jacques Barberis, nous avons travaillé sur deux options, commence Laurence Boone, conseillère spéciale du Président, chef du pôle économie et finance. La première, dont je me suis chargée, consiste à faire défaut et à organiser notre propre troïka. La seconde, celle de Jean-Jacques, est d'organiser une sortie négociée de la zone euro.
- Nous devons au moins trouver quelque chose à dire demain soir pour ton allocution, François, interrompt Nicolas Revel, secrétaire général adjoint de l’Élysée et chef du pôle politique publique.
- Allez-y Laurence, prononce du bout des lèvres le Président.
- Notre endettement est devenu insoutenable, reprend la jeune femme, et avec la nouvelle envolée des taux hier, il nous sera bientôt impossible de payer nos dettes. Inutile de vous faire un dessin. Cela signifie que Christine Lagarde peut débarquer d’un moment à l’autre et avec elle, Pierre Moscovici.
- Quelle déconfiture ! lance Laurent Fabius en levant les yeux au plafond.
- Quelle ironie surtout ! réplique aussitôt Michel Sapin. Deux anciens locataires de Bercy pour redresser la France !
- L’idée serait qu’en prenant les devants face au défaut nous gardions la main sur la politique, intervient Manuel Valls. Qu’en penses-tu Emmanuel ?
- Si la France fait défaut, nous ne pourrons en aucune manière rester aux commandes à mon avis, répond l’ex-banquier. Quel est votre proposition Jean-Jacques ?
- J’ai travaillé sur une sortie organisée de l’euro, attaque Jean-Jacques Barberis. Nous créerions pourquoi pas une union resserrée avec l’Italie et l’Espagne, et financerions aisément notre déficit en empruntant auprès de la Banque de France. J’ai contacté Rome mais sans réponse pour le moment… »
La discussion s’allonge, détaillant les deux plans élaborés par les conseillers. Un peu avant quatorze heures, François Hollande sort se promener dans le parc en compagnie de Michel Sapin, pendant que les autres essayent de s’entendre sur un prévisionnel.
« As-tu eu Martine depuis hier ?, tente le ministre qui perçoit l’inquiétude du Président alors que les deux hommes marchent à l’ombre des grands arbres que l’automne embrase.
- Tu sais bien qu’on ne s’entend pas, je me suis contenté des formules officielles. Triste coïncidence de voir mourir Delors alors que l’euro et l’Europe sont au plus mal… Passons. Michel, n’as-tu pas trouvé Fabius ailleurs depuis ce matin ?
- Une forme de frustration peut-être. Je ne sais pas. Après tout, c’est déjà la deuxième fois qu’on lui sert ce scénario-là. La première fois c’était en 1983 sous Mitterrand quand il était ministre du Budget.
- C’est vrai. Seuls les mots ont changé. L’euro a remplacé le Système monétaire européen et le thème de l’austérité s’est substitué au virage de la rigueur.
- Et encore une fois, il essuie les plâtres aux pieds de la fonction suprême sans pouvoir y accéder… »
Les deux amis remontent au salon vert et découvrent leurs collègues les yeux rivés sur un téléviseur. « Matteo Renzi fait une conférence de presse, François ! », lance Nicolas Revel. En direct du Palazzo Chigi, le président du conseil italien annonce sa riposte à la crise de l’euro. « Le gouvernement italien que je dirige a décidé, en collaboration directe avec les représentants du peuple, de remplacer l’euro sur notre territoire par une nouvelle lire. J’ai d’ores et déjà établi avec le gouverneur de la Banque d’Italie un programme qui d’ici un mois nous permettra de donner au pays la monnaie stable dont il a besoin pour relancer son économie… »
Hollande et son assistance sont médusés. Des regards perdus se croisent. Les Italiens l’ont joué solo et la France est isolée sur un coup qui amorce l’enterrement définitif de l’euro.
JHF
Épisode 1 - L'Allemagne exclue de la zone euro ?
Épisode 2 - " Whatever it takes "
Épisode 4 - Père, pourquoi nous as-tu abandonné ?
Épisode 5 - La fin des illusions