La clef du succès : pénétrer tôt un marché fragmenté
Entretien avec Dick Wilkerson, président, Michelin Amérique du Nord
« Nous avons été les pionniers européens sur le marché du pneu américain »
Décideurs : Racontez-nous la genèse de Michelin Amérique du Nord.
Dick Wilkerson : L’histoire de Michelin en Amérique du Nord commence par l’ouverture d’un bureau à New-York en 1950 par cinq collaborateurs. La vente s’est faite dès 1966 à travers un partenariat avec le distributeur américain Sears. Le centre d’implantation s’est ensuite fixé à Long Island.
En 1971, Michelin ouvrait sa première usine en Amérique du Nord, à Granton au Canada – il est plus aisé de s’installer au Canada pour une entreprise française, grâce à la proximité culturelle.
En 1975, Michelin ouvrait une usine aux États-Unis à Greenville, en Caroline du Sud. La production était désormais possible sur le sol américain. En 1990, le groupe a fait l’acquisition de l’Américain Uniroyal-Goodrich Tire et s’est renforcé. En 1990, Michelin réalisait 2 milliards de vente aux États-Unis. Le groupe compte aujourd’hui 18 000 employés aux États-Unis, dont 100 européens.
Décideurs : Dans le cas de Michelin, la stratégie gagnante a donc été de pénétrer un marché non concurrencé ?
D. W. : En effet, le marché était peu concurrencé. Il est aujourd’hui encore très concentré. Nous avons été les pionniers européens sur le marché du pneu américain. Cette séniorité, cette expérience, nous confèrent un avantage non négligeable de crédibilité.
Plus que l’entrée, la phase de développement d’un groupe à l’étranger est décisive : Michelin a dû faire ses preuves. Nous nous sommes différenciés par l’innovation. La Michelin American Research Company (MARC) a perfectionné la surveillance de pression, a créé une meilleure tenue de route, des systèmes de mobilité étendus, de réduction des distances de freinage sur sol sec et mouillé, …
Nous avons également mis l’accent sur l’adaptation aux différents besoins ressentis par nos clients américains. La fabrication de pneus de pickup se trouve dans le Nord, là où la demande est forte.
Décideurs : Comment les présidents de région de Michelin veillent-ils au maintien d’une culture globale ?
D. W. : Les valeurs de Michelin sont partagées dans le monde entier : respect de l’actionnaire, respect des employés, respect du client, respect de l’environnement, honnêteté. Nos équipes sont internationales et voyagent beaucoup. Je vais en France toutes les six semaines en tant que membre du CEGe (comité de direction).
Décideurs : Avez-vous une stratégie marketing globale ?
D. W. : Nous n’avons pas de stratégie marketing globale. Le credo « Think global, act local » s’applique à Michelin. Il n’y a pas d’identité nationale liée à l’industrie du pneu. D’ailleurs, les Américains ne savent pas que Michelin est une entreprise française.
Décideurs : Les approches américaine et française de business intelligency sont-elles conciliables ?
D. W. : Oui. Plus intéressant : elles sont complémentaires. Les forces de Michelin ont été décuplées par le mariage efficace de la rapidité française d’identification et de résolution des problèmes techniques et le souci américain de satisfaire pleinement la clientèle. Combinés, ces deux atouts propres aux cultures entrepreneuriales des deux pays ont garanti une qualité de prestation inégalée.
Décideurs : Quels sont les défis que le groupe doit relever aujourd’hui ?
D. W. : Michelin est très bien installé en Amérique du Nord. Nous mettons l’accent sur la croissance du groupe dans les pays émergeants.
Nos défis sont d’accroître encore la productivité en spécialisant les usines et en perfectionnant la logistique, et de réduire plus encore les besoins en fonds de roulement en maîtrisant mieux les stocks.