Politique fiction. L’Europe est en proie au doute. L’euro vacille. En France, l’impasse a poussé François Hollande à quitter l’Élysée. De nouvelles élections ont eu lieu et les gouvernements doivent négocier un sauvetage historique.
21 janvier 2016
3h30 du matin, Bruxelles – Résidence Palace, siège du Conseil européen

Les vingt-huit chefs d’État le regardent, encore dubitatifs et incertains sur ce qu’ils s’apprêtent à faire. Après tout, n’est-ce pas le meilleur moyen de revenir aux affaires dans un an, exempté de toute responsabilité à l’égard des décisions que ce Suisse va devoir prendre dans les prochains mois ?
« Douze mois, commence Angela Merkel. Vous avez douze mois pendant lesquels vous disposerez de pouvoirs étendus pour mettre en place les réformes qui remettront à flot l’Europe et l’euro. Nous, chefs d’Etat et de gouvernement, nous sommes entendus pour ne pas revenir sur ces mesures pendant une période de sept ans à l’issue de votre magistrature. »

La veille, 20 janvier 2016
15h, Bruxelles – Résidence Palace, siège du Conseil européen

Après déjà trois jours de discussions, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, réélu en France la semaine précédente suite à la démission de François Hollande, et Matteo Renzi tiennent une réunion informelle.
« Ces Chinois sont de fins négociateurs, mais leurs demandes sont trop élevées, lance l’Italien. Investir en Europe à la condition unique que l’économie européenne s’écroule complétement d’abord, c’est presque un vol !
- La solution d’un plan Marshall asiatique est difficile à avaler, répond Angela Merkel. Et que pensez-vous d’une intégration supplémentaire comme évoquée ce matin par le premier ministre belge ?
- Je doute que la solution d’une intégration européenne renforcée passe auprès des peuples, déclare le locataire de l’Élysée. C’est déjà une chance que nous ayons pu fédérer pour la conférence de cette semaine l’ensemble des États européens. Les Anglais sont prêts à claquer la porte. Vous, Renzi, avez déjà cru bon de sortir officiellement. Et même pour vous Angela, le statut de la Bundesbank et de l’Allemagne dans la zone euro de manière générale n’est toujours pas réglé.
- Je sais bien, reprend la chancelière. C’est aussi pour que l’Allemagne reste dans la zone euro que nous sommes là. Et pour l’Italie, même si la décision a été prise, elle n’est pas encore actée. Matteo est ici comme moi pour sauver l’euro.
- À mon sens, la seule manière de préserver l’Union et de réparer les dysfonctionnements de l’euro est de renforcer la convergence, analyse Matteo Renzi. Un budget et une fiscalité uniques, c’est la condition indispensable pour empêcher de nouveaux déséquilibres entre nos pays. La crise est l’opportunité rêvée pour créer un véritable État fédéral européen.
- Voyons, les peuples n’accepteront jamais, ce serait donner du pain béni à l’UKIP, au FN et à votre Beppe Grillo.
- Nicolas a raison, Matteo. Cette solution quoique séduisante, renforcerait la fracture entre les élites et les populations à l’heure précise où le consensus est indispensable pour faire face à la crise.
- Vous ne croyez donc ni à la solution du fédéralisme européen ni à celle d’un bail-out étranger ?, interroge Matteo Renzi.
- J’aimerais, avoue Angela Merkel.
- Résumons la situation, essaye Nicolas Sarkozy. Le premier objectif est de retrouver des marges de manœuvres financières aussi bien pour les entreprises que pour les Etats, pour relancer nos économies. Le second est de préserver l’Union européenne.
- Il existe peut-être dans l’histoire italienne, ou plutôt romaine devrais-je dire, une solution qui pourrait satisfaire ces exigences, commence Matteo Renzi. Nous ne pouvons pas faire un bail-out, nous l’avons vu. L’hypothèse d’un bail-in, avec une BCE signant un blanc-seing à tous les Etats pour faire tourner la planche à billets, est également inenvisageable. N’est-ce pas Angela ?
- Bien entendu.
- Ce qu’il faut donc, reprend l’Italien, ce sont des réformes structurelles profondes, qu’aucun de nous, hommes et femmes politiques de carrière, ne sommes prêts à mener vraiment. Couper drastiquement les dépenses, recentrer les États sur leurs missions régaliennes, mettre fin à l’État providence, des mesures indispensables mais politiquement difficile.
- Où veux-tu en venir ?, s’impatiente Nicolas Sarkozy.
- Il y existait sous la République romaine, une magistrature extraordinaire. En période de crise grave, le Sénat et les consuls faisaient appel à un homme auquel étaient confiés les pleins-pouvoirs, il avait six mois à un an pour prendre toutes mesures nécessaires pour sauver Rome, après quoi il devait rendre aux institutions leur pouvoir.
- Ce serait un coup d’Etat ! intervient Angela Merkel.
- Pas vraiment puisque si nous le faisions, au bout d’un an toute les institutions et tous les gouvernements nationaux reprendraient leurs prérogatives habituelles.
- Et cet homme mènerait toutes ces réformes impopulaires à la place de notre classe politique avant de se retirer ? interroge le Français pensif. Mais comment s’assurer qu’il mènera à bien sa mission ?
- Success fees sur la décennie qui suivra, non ? répond Matteo Renzi. On peut même imaginer à la manière des podestats de la République de Gêne, que cet homme soit étranger à l’UE et ostracisé à l’issue de sa magistrature.
- Anesthésier l’Europe, pour laisser le chirurgien opérer …, commente Angela Merkel pensive elle aussi.
- Cela permettra de prendre des vraies décisions à l’échelle de l’Europe, sans altérer l’équilibre de souveraineté entre les États et l’Union à long terme, ajoute Matteo Renzi, puisque nous retrouvons l’organisation politique à l’issue de l’année de magistrature extraordinaire.
- Cela signifie sortir du champ de l’État de droit moderne, non ?, intervient la chancelière.
- Nous en sortons pour mieux y revenir, précise l’Italien.
- Comment faire accepter une transgression aussi patente du légalisme démo-libéral ? reprend-elle.
- La ragion di Stato. »

Les trois politiques se toisent. Ils réfléchissent.
« David Cameron sera le plus dur à convaincre, déclare Nicolas Sarkozy en rompant le silence. Mais je peux m’en occuper. Angela ?
- J’ai l’homme qu’il nous faut pour ma part.
- Très bien, retournons voir les autres dans ce cas, reprend Matteo Renzi. Je me charge de répudier les Chinois. »

En se levant pour sortir de la pièce, Angela Merkel se tourne vers ses deux homologues. « L’année qui s’ouvre sera longue mais salutaire, dit-elle. Matteo, nous vous faisons confiance.
- Peut-être est-ce là le seul acte véritablement politique : l’acte de foi. »

JHF

Épisode 1 - L'Allemagne exclue de la zone euro ?
Épisode 2 - " Whatever it takes "
Épisode 3 - "Sans doute n'étions-nous pas la génération qu'il fallait"
Épisode 4 - Père, pourquoi nous as-tu abandonné ?
Épisode 5 - La fin des illusions

Crédit photo : Shutterstock Botond Horvath

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