Avec la crise, les règles du jeu changent. Avantage LPs. Balle au centre
La chute spectaculaire de la levée des fonds en 2009 le confirme : le private equity n’est pas une tour de refuge imperméable à la crise. Les baromètres réalisés en 2009 sont pessimistes. Au terme de ce premier semestre, la foi des managers de fonds est plus qu’ébranlée par la sécheresse des tours de table. Face à un tel environnement, LPs et GPs s’adaptent.
Dès le dernier trimestre 2008, l’optimisme affiché par les fonds s’est heurté à un retournement qui a eu l’effet d’une bombe sur les anticipations des agents : une chute de 50 % des fonds levés par rapport au 4e semestre 2007.
Le premier semestre 2009 a confirmé cette tendance plus qu’alarmante. Tous les indicateurs relatifs aux levées de fonds sont au plus bas et l’espoir de voir une reprise pour la fin de l’année est mince.
À l’ombre des jeunes fonds en pleurs
Lors du premier semestre 2009, 136 Md$, c’est-à-dire 62 % de moins en valeur qu’au premier semestre 2008. C’est le plus bas niveau depuis le second semestre 2004. En 2008, 936 fonds avaient levé 618 Md$.
Il y a de quoi être défaitiste, surtout avec l’allongement de la durée du processus de levée. Selon Preqin, une société d’études spécialisée dans le private equity, la période moyenne pour lever un fonds s’établit désormais à 18,3 mois, c’est-à-dire 53 % de plus qu’en 2007 et deux fois plus qu’en 2004.
Quant aux conditions de la levée, les faits ne sont guère plus réjouissants. En 2008, 56 % des fonds peinent à atteindre un premier closing. Les managers de fonds n’ont d’autre solution que de revoir leurs ambitions à la baisse : la valeur cible moyenne des fonds a par conséquent décru de 10 % entre le 2nd et le 3e trimestre 2009.
Certains managers se refusent à baisser les bras et reculent la date du closing à des temps plus propices qui pourraient arriver plus vite que prévu. En 2009, la levée de fonds a ainsi progressé de 26 % au second trimestre par rapport au premier.
Un nombre croissant de managers prend la décision de mettre fin à la levée pour les fonds en cours, à cause de la sécheresse du pipeline d’investissement. Ainsi, 30 fonds ont été abandonnés durant le premier semestre 2009. Ce qui équivaut à l’ensemble des abandons en 2008 et représente le double des abandons en 2007.
Des LPs exigeants
Parmi les fonds et les types d’opération privilégiés par les investisseurs, la crise a permis de faire le grand nettoyage. Les exigences des LPs sont devenues plus sévères.
Les évolutions observées aux États-Unis sont un bon miroir de ce qu’est en train de subir la levée de fonds partout dans le monde. Les LBO attirent toujours la plus large proportion des fonds malgré une baisse spectaculaire par rapport à 2008. Aux États-Unis, sur les 54,9 milliards de fonds levés au premier semestre 2009, 28,7 Md$ sont alloués à 73 fonds LBO. Cela représente une baisse de 72 % en valeur par rapport à la même période en 2008.
La taille des fonds, pour sa part, est devenue un critère essentiel pour les investisseurs. Ils ne cachent pas leur désaffection pour les fonds les plus larges. Les mégadeals, chouchous des investisseurs en 2007 et 2008, ont été les premières victimes de la contraction de la levée de fonds. Les LP’s ne sont plus attirés par les perspectives d’opérations mirobolantes, mais se tournent plutôt vers le mid
et le lower-cap.
Les marchés émergents : un faux espoir ?
Les marchés émergents, encore objets de convoitise des institutionnels en 2008, n’ont pas échappé à la vague de récession de 2009. En 2008, pourtant, la levée de fonds sur ces marchés, dans l’aire Asie-Pacifique en particulier, semblait se nourrir du déclin des marchés développés.
Avec une croissance de 30 % par rapport à 2007, l’Asie Pacifique est parvenue à lever 66,5 Md$ en 2008, ce qui représente 60 % des fonds levés sur l’ensemble des marchés émergents. Le Coller Capital Barometer et l’Almeida Barometer relevaient, début 2009, qu’une large part des investisseurs prévoyaient d’investir dans cette région.
En 2009, le retournement est radical : les marchés émergents font face à des apports en capital en chute libre. Ainsi, au premier trimestre 2009, seulement 2,8 Md$ ont été levés, contre 34,5 Md$ pour le 2nd trimestre 2008 et 4,5 Md$ au 1er semestre 2009.
Selon Preqin, cet effondrement est à mettre sur le compte d’une aversion au risque accrue de la part des institutionnels. Ils veulent à tout prix éviter des investissements hasardeux et préfèrent placer dans les contrées connues.
Les marchés secondaires séduisent toujours
Les vrais gagnants de la crise sont le marché secondaire et les actifs dépréciés. Le marché secondaire, par exemple, est le seul à atteindre un record historique. Aux États-Unis les fonds secondaires ont levé 13,9 Md$. Cela surpasse le plus haut montant annuel levé jusqu’ici.
Pourquoi une telle attirance pour le marché secondaire ? Parce que l’offre est attrayante et la demande suit résolument. En effet, pris de court par la rareté de liquidité et l’absence de retour des investissements antérieurs, les institutionnels ont souvent entrepris de vendre leurs parts couramment détenues dans les fonds à des prix discount.
De leur côté, les fonds secondaires et leurs investisseurs y voient de très bonnes opportunités d’acquisition à un moment où les multiples de valorisation sont à un niveau relativement bas. Jennifer Rossa, managing editor du Dow Jones Private Equity Analyst, juge que cette croissance n’est pas près de s’essouffler :
« une fois que le rythme des deals reprendra, les LPs préoccupés par le cash auront du mal à répondre à la demande de capitaux de la part de fonds et rechercheront probablement un moyen de vendre leurs parts à un
acquéreur secondaire ».
Le marché secondaire apparaît ainsi comme une des seules niches réellement valorisées par les investisseurs. Goldman Sachs Private Equity est ainsi parvenu à lever 5,5 milliards de dollars pour son fonds GS Vintage Fund V, fonds secondaire le plus large à cette date.
Risque de répercussions sur l’ensemble de l’économie
Si la raréfaction des fonds méga buy-out appelle des préoccupations d’ordre financier, la rareté des capitaux dans les plus petites compagnies venture et de croissance est inquiétante d’un point de vue économique. Idem pour les firmes sous buy-out qui peinent à lever des capitaux annexes pour remplir leurs échéances de dette et échapper à l’insolvabilité. Les gouvernements tentent de se substituer à un financement privé frigide.
Mais ils ne se concentrent que sur un nombre de compagnies restreint et limité à certains secteurs phares. En Inde, par exemple, ce sont les secteurs IT et biotechnologies. Le gouvernement australien a lancé pour sa part en mars dernier un Fonds pour l’investissement dans l’innovation, qui servira à financer 11 firmes venture à hauteur de 64 millions de dollars.
C’est aux GPs de s’adapter à leurs intentions d’investissement en levant des fonds de taille moindre, destinés aux opérations plus modestes, ainsi que des fonds annexes ayant pour objectif de redresser les investissements effectués quatre ou cinq années auparavant.
Certains GPs, comme Carlyle, ont bien compris la leçon. D’autres recherchent farouchement des fonds annexes en garantissant aux investisseurs consentants des délais et des taux préférentiels. Mais beaucoup n’ont pas pris conscience que le retournement du private equity doit entraîner une refonte des stratégies et des méthodes de management. Ils réduisent considérablement leur chance de survie d’ici à la reprise de l’économie.
La levée des fonds victime du succès du private equity ?
Le private equity reposait sur l’effet de levier, rendu difficile par le surendettement actuel des fonds et l’absence concomitante des opportunités pour s’endetter. Aux heures fastes du capital investissement, la dette représentait jusqu’à 90 % d’un deal. Aujourd’hui, les investisseurs exigent une rentabilité économique de l’investissement bien supérieure au passé. Ce n’est pas chose aisée dans les conditions que l’on connaît.
Face à cette situation, deux possibilités émergent. Soit la levée de fonds doit attendre le retour du crédit pour connaître de nouveau un essor, soit la stratégie tout entière des fonds de private equity se doit d’être revue et mise en adéquation avec les contraintes actuelles.
Les deals all equity sont souvent cités en première ligne. Mais ils doivent offrir des rendements économiques égaux au deals debt / equity. Mission difficile en raison de l’absence de l’effet de levier. Les investissements devront donc se concentrer sur des cibles à croissance future plus élevée, en y apportant une réelle stratégie de développement et de positionnement sur le marché. Autre faiblesse des deals all equity ? L’absence de l’effet de levier amplifie naturellement l’ampleur des pertes sur capitaux propres en cas de difficultés de la cible.
L’un des facteurs les plus directs est lié à la volonté des institutionnels plus spécifiquement de réduire l’allocation au private equity dans leur portefeuille. Cela peut provenir d’une surexposition à cette classe d’actifs, héritée des périodes de frénésie du private equity.
Mais la cause dominante est certainement l’effet dénominateur. La perte fulgurante de la valeur des classes d’actifs cotées a conduit à une surallocation « automatique » en capital investissement. D’où un rééquilibrage par les institutionnels du poids de ce dernier dans leur portefeuille. Autrement dit, les fonds peinent à être levés parce que le private equity a
bravé la crise.
Le début d’un cercle vicieux
Néanmoins, cet argument doit être modéré au vu des difficultés des entreprises sous LBO. Le private equity ne se porte pas suffisamment bien en termes de rendements pour que les investisseurs répondent tous azimuts à l’appel aux capitaux.
Les contraintes en termes de liquidité des investisseurs n’ont pas été comblées par les distributions provenant des engagements préexistants. Elles ont été plombées par des rendements très en dessous des prévisions. Selon Preqin, le montant des distributions a chuté de 65 % entre 2007 et 2009, tandis que les appels à l’apport de cash des engagements n’ont baissé que de 25 %.
Pourquoi confier de l’argent à un fonds nouveau, alors que les investissements antérieurs n’ont pas encore été rentabilisés ? La stratégie qui consiste à réinvestir en private equity les revenus des investissements dans cette classe d’actifs est brisée. « Le cercle vertueux a été rompu et cette rupture a renforcé la sécheresse de la liquidité des investisseurs institutionnels », remarque tristement Javier Exharri, secrétaire général de l’EVCA.
Désormais, l’heure est à la sélectivité. Les institutionnels ne choisissent que les fonds les plus solides et les plus expérimentés. Or, les plus grands acteurs du marché, que ce soit KKR ou Blackstone, disposent déjà de très gros fonds levés auparavant et non investis en totalité, leur permettant de reculer la date d’une nouvelle levée de fonds à des temps plus favorables allant d’un an à 18 mois.
Ils acceptent même de faire un premier closing en deçà du montant cible. First Reserve Corp a fait un closing à 9 Md$ alors que le fonds visait initialement 12 Md$. En attendant, ils entendent investir le capital disponible selon une stratégie taillée à la mesure de la crise : des opérations de plus petite taille, avec un risque maîtrisable et une offre de
rendement élevé.
LPs vs GPs : inversion du rapport de forces
La réticence des LPs à maintenir une proportion élevée des actifs private equity dans leur portefeuille n’est pas étrangère à une divergence d’intérêts latente entre LPs et GPs. Sans être nouvelle, elle présente aujourd’hui un degré exacerbé par la crise. Les GPs partiellement privés de l’effet de levier doivent faire des choix stratégiques : quelles sont les cibles susceptibles de passer le cap de la crise ? Dans quels cas désinvestir ?
Or, ces choix ne sont pas toujours dans l’intérêt des LPs : appel à des apports supplémentaires afin de sauver une cible en danger de cessation de paiements, rachat des participations sur le
marché secondaire.
Résultat, les LPs sont perplexes. Manquant de trésorerie pour un nouvel apport, ils attendent que les GPs commencent par respecter leurs engagements de dette et de revenus sur le court terme avant de s’engager dans un nouvel investissement hasardeux et risqué. Leurs revendications sont claires : moratoire sur les appels aux capitaux, réduction de la rémunération annuelle des GPs et baisse des revenus d’intéressement de l’équipe de management. Ce n’est pas encore « we want our money back », mais presque.
Quant aux fonds, l’heure n’est plus à la dilapidation. Lorsqu’un investissement commence à générer des recettes, elles sont en majorité remises dans le fonds, même les recettes déjà distribuées sont appelées à contribution. Le but : retarder le plus possible la prochaine levée de fonds et maintenir du cash disponible le plus longtemps possible. Pour s’assurer du maintien de l’engagement des investisseurs, les fonds mettrent en œuvre les tours de passe les plus ingénieux.
Le private equity : une affaire de confiance
Que reste-t-il aux GPs ? Cultiver leur relation avec les LPs en anticipant la moindre de leurs exigences. Les fonds ont compris que leur expérience et leur expertise comptent plus que jamais. TA Associates est parvenu à clôturer un fonds à 4 Md$ en un temps record de 8 mois.
Son secret ? Réduction de l’intéressement de 25 % à 20 %, 41 années d’ancienneté, une relation de proximité avec les LPs et un recentrage sur le mid market / capital développement. C’est cette stratégie qui assure aux fonds une relation durable
avec les LPs.