D’un excès à l’autre : le marché du financement reprend son souffle
La crise modifie profondément la structure de la dette LBO et les modes de financement. Pour faire face à la restriction du crédit, la syndication et la mezzanine sont désormais les outils les plus utilisés. Les banques de financement en profitent pour inverser le rapport de force. Quant aux fonds, ils devront s’adapter rapidement s’ils veulent continuer à lever de nouveaux véhicules. Heureusement, le marché du high yield se réouvre enfin.
En 2008, les acteurs du capital investissement pensaient que la situation serait temporaire. Pourtant, six mois plus tard, ils ont dû se faire une raison. La sécheresse n’est pas passagère. Pire encore, elle pourrait partiellement durer jusqu’en 2010.
Selon Standard & Poor’s, le ratio de dette senior sur Ebitda est passé, en Europe, de 4,7, en 2007, à 4,2 en 2008. Un niveau inférieur à celui enregistré il y a cinq ans. Il s’élevait alors à 4,3. Dans de telles conditions, le prix de vente moyen des entreprises est également en repli.
Résultat, les contrats de prêts des LBO se durcissent. Avec la crise de liquidités, les banques renouent avec des pratiques que l’on pensait oubliées. Les banquiers prêteurs serrent les vis. Le nouveau mot d’ordre est la sécurité. Plus de laxisme dans les financements de private equity. Les leviers d’endettement s’effondrent.
Avantage créanciers
Le temps où les fonds d’investissement envoyaient aux banques des term sheets détaillés, avec les clauses qu’ils souhaitaient y voir figurer, est révolu. Les covenant packages, qui avaient été largement allégés en 2006-2007, redeviennent contraignants.
Désormais, les banques de financement veulent limiter les risques. Le headroom, la tolérance d’écart au business plan, est repassé sous la barre des 15 % alors qu’il était monté à 25-30 % en 2007. Les établissements bancaires demandent même que les covenants semestriels soient maintenant calculés sur la base de comptes audités ou certifiés.
Face à ces changements, les règles du jeu sont bouleversées et les montages se complexifient. Les banques font la loi. Désormais, elles demandent aux fonds d’investissement un apport en capital minimum de 40 % à 50 % de la valeur de l’entreprise.
Sur certaines opérations, la barre symbolique des 50 % est même franchie. Certains petits deals se font en 100 % equity. Du jamais vu. Le terme "equity buy out" est apparu. Pour autant, les fonds d’investissement ne se laissent pas faire. Les négociations relèvent souvent du bras de fer. Le fonds doit trouver un accord avec plusieurs arrangeurs, réunis en club deals.
La structure de la dette évolue
Le même constat s’impose pour les marges. Elles renouent avec leurs plus hauts niveaux historiques (soit 275, 325, 375 points de base pour les tranches seniors A, B et C), voire au-delà (400 points de base sur une tranche A). Le remboursement de la dette senior s’échelonne sur une période allant de 7 à 10 ans avec des taux d’intérêts variables indexés sur l’Euribor.
Ils correspondent au coût du risque de financement à court terme sur le marché, auquel s’ajoute la commission d'arrangement à 50 points de base en 2007, contre 200 à 400 points de base aujourd'hui.
L’évolution du marché de la dette LBO en Europe permet de constater que les emprunts in fine disparaissent au profit de la tranche dite « amortissable ». Cette tendance confirme la diversification des financements, conséquence de multiples d’acquisitions plus élevés. Le remboursement in fine repousse la contrainte de cashflow à la dernière date. Par ailleurs, les tranches B, C et D offrent des rémunérations bien plus importantes, à la mesure du risque pris par le banquier.
Le closing, qui marque le déblocage des fonds par les prêteurs en vue de l’acquisition définitive de l’entreprise par le repreneur, n’est donc plus à l’avantage des fonds ou des dirigeants. L’écart dépend de la taille de l’opération, du secteur d’activité, mais aussi des précédentes transactions.
Pour autant, la dette et l'effet de levier ne sont pas encore mort. Le buyout de la société américaine HCA pour 26 milliards d'euros a été financé en equity à hauteur de seulement 15%. Le ratio de dette s'élève à 85%. Un fait assez rare pour être souligné.
Les CLO en voie de disparition
Le retrait des CLO (Collateralised loan obligations) explique en grande partie la sensation de credit crunch sur le marché de la dette. Néanmoins, la rotation de plus en plus élevée sur ces actifs peut constituer, à moyen terme, un soutien au marché primaire. Cela par deux voies.
La première, via les remboursements de dettes échues. Elles devraient compter au cours de la prochaine année pour environ 10 % de l’encours sous gestion des CLO. Deuxièmement, en dégageant des liquidités sur le marché secondaire, les opérations d’arbitrage de CLO existantes sont susceptibles de soutenir le marché primaire.
En ce qui concerne le montage de nouveaux véhicules, les conditions du marché sont encore trop défavorables. Côté passif, le coût de financement des fonds s’est envolé avec la réappréciation du risque sur le marché. L’assèchement de la liquidité, lié à la quasi-disparition des investisseurs
institutionnels, remet la syndication au cœur des préoccupations des professionnels.
La mezzanine, le maillon fort du financement
La crise a largement modifié la structure des financements leveragés. La mezzanine profite pleinement de ces changements. Et ce à l’heure où certains produits de financement, comme le « second lien », disparaissent de la place. En quelque sorte, un retour aux sources pour le LBO.
Les fonds middle market font désormais la queue pour accéder à de la dette mezzanine. Preuve de ce succès, de nombreux fonds centrés sur l’equity ajoutent cette classe d’actifs à leur panoplie. Au premier trimestre 2009, la mezzanine représente jusqu’à 35 % du financement, contre une moyenne de 10 à 15 % sur la même période en 2007.
L’injection de liquidités de plus en plus fréquente
En 2008, le nombre d’opérations où les fonds injectaient de nouveaux capitaux en réponse à des défauts de paiement a fortement augmenté. Selon Standard & Poor’s, 46 % des fonds ont eu recours à ce type de pratique, contre seulement 27 % en 2007 et 20 % en 2006.
Cette technique présente deux avantages : faire gagner du temps aux fonds avant de lever un nouveau véhicule et leur permettre de voir comment se porte le secteur sur lequel se positionne l’entreprise.
Les fonds d’investissement n’hésitent pas à faire appel à des LP’s. Mais attention, dans le futur, les investisseurs institutionnels ayant participé à l’injection de liquidités dans une entreprise à travers une recapitalisation devront se montrer plus prudents avant d’investir dans un nouveau fonds. En particulier, si l’injection de liquidité s’est mal passée.
Les fonds d’investissement doivent donc gérer avec précaution ce type de refinancement s’ils ne veulent pas se mettre à dos leurs futurs investisseurs.
Le marché secondaire s’anime
La mauvaise santé des grandes banques d’investissement internationales a profité au marché secondaire.
Les placements dans le capital-investissement, particulièrement les LBO, pèsent lourd dans les bilans en termes de ratios réglementaires. Certaines banques, comme Citigroup ou Goldman Sachs, n’ont pas hésité à se débarrasser de leurs actifs non cotés.
Subir une pression pour vendre ses participations n’est pas le meilleur moyen d’en tirer un prix satisfaisant. Si les valorisations des autres classes d’actifs devaient continuer à chuter, les investisseurs institutionnels se retrouveraient mécaniquement surexposés au private equity. Une surpondération qu’il conviendrait de rééquilibrer rapidement.
Pour le moment, le marché est d’ailleurs dominé par les distressed sellers, des investisseurs malheureux qui, sous la pression, vendent leurs participations à la casse. Avec la crise, les décotes peuvent aller jusqu’à 80 %. Le marché secondaire suit avec un certain décalage l’évolution du primaire. L’objectif des acheteurs est de trouver des pépites abandonnées à bas prix.
Résultat, de plus en plus de fonds s’aventurent sur le marché du secondaire. Le profil risque / rendement du secondaire est en théorie moins dangereux que celui du primaire, car l’investisseur secondaire connaît les sociétés dans lesquelles il investit. Il peut distinguer les sociétés les plus performantes de celles qui le sont moins, dès l’investissement.
Avant d’aller mieux, les choses pourraient empirer
Les données les plus récentes montrent que l’économie mondiale est encore loin de se relever. Selon Standard & Poor’s, les défauts de remboursement ont augmenté de 5,8 % au premier semestre 2009. Avec l’aggravation de la crise, les ruptures de covenants pourraient se multiplier d’ici à 2010.
Les professionnels du private equity devront trouver les ressources nécessaires afin d’éviter les défauts de remboursement à répétition. En injectant du capital nouveau, les fonds redonnent du souffle à leurs entreprises. Cela leur permet de se donner un peu de répit.
Mais, si la crise dure trop longtemps, le rendement des fonds atteindra un plus bas historique. Au niveau des fonds mondiaux, seules les performances sur 5 ou 10 ans restent positives, + 4,7 % pour le premier et + 6,29 % pour le second. En revanche les TRI sur 1 et 3 ans sont négatifs, respectivement - 28,4 % et - 2,8 %.
Cette situation rendrait la dette private equity de moins en moins attirante. Pour les fonds, il sera alors compliqué de lever de nouveaux véhicules. Selon Standard & Poor’s, un retour à la normale pourrait prendre entre deux et trois ans.