Dans un contexte de croissance atone, l’État tente de reprendre en main l'économie. Le président fondateur du think tank Génération libre, Gaspard Koenig, livre son regard critique sur cet interventionnisme.
Gaspard Koenig (Génération libre) : « L’idée d’État stratège est un mythe »
Décideurs. Quels sont pour vous les échecs récents les plus marquants de l'interventionnisme public? Pourquoi ?
Gaspard Koenig. Je pense à deux choses principalement. Le rapport Thévenoud sur les taxis tout d’abord, qui prend le problème à l’envers. Au lieu de mettre tous les acteurs sur un pied d’égalité, de créer un level-playing field, l’État distribue des privilèges : ceux qui doivent prendre les cartes de crédits, les autres qui doivent attendre un quart d’heure avant de prendre un passager, ceux qui peuvent utiliser les voies dédiées…
Le décret Montebourg sur la protection des secteurs dits « stratégiques » ensuite. Il permet à l’État de s’opposer à des opérations de fusions-acquisitions dans un très grand nombre de secteurs. C’est prendre le problème à l’envers : dans le secteur des communications électroniques par exemple, l’État doit être moins présent dans le marché, mais bien davantage dans la régulation des acteurs, en particulier sur la question cruciale du droit des données.
Décideurs. L’État joue-t-il encore son rôle de stratège ?
G. K. L’idée d’État stratège est un mythe. Colbert disait lui-même qu’une entreprise publique non-performante doit être liquidée au bout de cinq ans. L’économie française ne s’est jamais mieux portée qu’à la Belle Epoque, où le quasi consensus politique autour de l’État minimal a permis à des myriades de petits entrepreneurs de prendre des risques fous. La plupart des « fleurons du CAC 40 » que nous protégeons tant aujourd’hui trouvent leur origine dans la pure initiative individuelle.
Le phénomène de relocalisation spontanée (reshoring) confirme également que l’État, qui continue à s’époumoner en vain contre les délocalisations, est toujours à la traîne des grandes évolutions économiques. Le défi de demain, ce seront les nouvelles technologies NBIC.
Décideurs. Et si le ministère de l’Industrie n’existait pas, comme chez nos voisins européens…
G. K. Les fonctions du ministère existent aussi dans ces pays, mais sous d’autres noms. Ce n’est pas tant l’institution qu’il faut regarder que la politique industrielle, d’inspiration planiste. Cette idéologie est apparue sous Vichy (avec des ministres comme Bichelonne) et continue aujourd’hui de légitimer le pouvoir des technocrates.
Décideurs. Croyez-vous au principe de non-ingérence de l’État dans la gestion de nos entreprises ?
G. K. Il est nécessaire de faire une distinction entre intérêt économique et intérêt souverain. Le premier consiste à développer l’activité des entreprises et à les rendre plus performantes ; le second, à investir pour défendre des secteurs stratégiques et de sécurité. Aujourd’hui la puissance publique confond ces deux aspects. Prenez Eramet. BPIFrance détient une participation dormante à 20 % du capital, mais on ne sait pas si cet investissement a été réalisé parce que l’entreprise se trouve en Nouvelle Calédonie et que l’État veut y être présent – intérêt souverain –, ou bien parce qu’il faut stimuler la production d’aluminium – intérêt économique. L’État doit clarifier ses investissements.
Décideurs. Vous avez récemment publié une étude sévère sur BPIFrance. En quoi la jugez-vous inefficace ?
G. K. Elle est en réalité trop efficace. Elle se prend pour un fonds de private equity et fait concurrence au privé avec les armes de la puissance publique, créant ainsi des effets de distorsion et d’éviction. Aujourd’hui si elle n’est pas présente lors d’un tour de table, les autres investisseurs potentiels se posent des questions sur la qualité de la cible. L’État n’est pas dans son rôle ici. Il doit prudemment pallier les défaillances du marché, non se substituer à lui.
Décideurs. Les entreprises françaises ont-elles besoin de l'État pour devenir des champions internationaux ?
G. K. Les entreprises ont besoin qu’on les laisse tranquilles. Dailymotion est allée toute seule à l’international, jusqu’à ce que l’État s’en mêle... En soutenant à bout de bras les grandes entreprises à coups d’avantages fiscaux et de traitements de faveur administratifs, l’État empêche le Mittelstand français, les entreprises intermédiaires, de se développer. Il devrait se contenter de mettre en place de bonnes conditions de marché, égales pour tous les acteurs.
Décideurs. Où les entreprises pourraient-elles trouver les financements que fournit actuellement l’État ?
G. K. Nous voyons l’argent public qui arrive, pas l’argent privé qui est chassé ! On augmente la pression fiscale d’un côté, et de l’autre on élabore de plus en plus de moyens de la contourner, comme le CIR ou le CICE. Le plus intelligent serait de simplifier tout cela, plutôt que d’essayer d’orienter les entreprises dans une direction qu’elles n’auraient pas choisie, comme la recherche ou les emplois à bas salaires. Ce système entretient une dépendance psychologique et morale des entreprises à l’égard de l’État. Les entreprises négocient à tous les niveaux pour obtenir tel ou tel avantage, et l’État perpétue une forme de clientélisme. Il faut remettre de la conflictualité entre eux. Les entreprises doivent produire et l’État faire respecter la loi.
Décideurs. Cent dix milliards d'euros de participations dans les entreprises françaises, quarante-sept milliards d'euros d'investissements d'avenir, un ministère de l'Industrie dont le coût est évalué à 875 millions d'euros pour 2015, cet argent public ne serait-il pas mieux investi ailleurs au regard des performances relatives de l'État stratège ?
G. K. Il pourrait surtout être redonné aux contribuables ! Pourquoi ne pas baisser la pression fiscale et voir ce qui se passe quand les gens décident par eux-mêmes ce qu’ils veulent faire de leur argent ?
Décideurs. À quoi ressemblerait une France libérale en 2025 ?
G. K. La France libérale de 2025, c’est celle de 1789. La France de la loi Le Chapelier qui abolit les corporations - aujourd’hui les professions réglementées ; qui redonne le pouvoir au Parlement ; qui casse les privilèges - de l’aristocratie à l’époque, de la fonction publique aujourd’hui. C’est aussi la France de l’école publique obligatoire : les événements récents nous rappellent le rôle primordial de l’État dans ce domaine.
Propos recueillis par Jean-Hippolyte Feildel
Gaspard Koenig. Je pense à deux choses principalement. Le rapport Thévenoud sur les taxis tout d’abord, qui prend le problème à l’envers. Au lieu de mettre tous les acteurs sur un pied d’égalité, de créer un level-playing field, l’État distribue des privilèges : ceux qui doivent prendre les cartes de crédits, les autres qui doivent attendre un quart d’heure avant de prendre un passager, ceux qui peuvent utiliser les voies dédiées…
Le décret Montebourg sur la protection des secteurs dits « stratégiques » ensuite. Il permet à l’État de s’opposer à des opérations de fusions-acquisitions dans un très grand nombre de secteurs. C’est prendre le problème à l’envers : dans le secteur des communications électroniques par exemple, l’État doit être moins présent dans le marché, mais bien davantage dans la régulation des acteurs, en particulier sur la question cruciale du droit des données.
Décideurs. L’État joue-t-il encore son rôle de stratège ?
G. K. L’idée d’État stratège est un mythe. Colbert disait lui-même qu’une entreprise publique non-performante doit être liquidée au bout de cinq ans. L’économie française ne s’est jamais mieux portée qu’à la Belle Epoque, où le quasi consensus politique autour de l’État minimal a permis à des myriades de petits entrepreneurs de prendre des risques fous. La plupart des « fleurons du CAC 40 » que nous protégeons tant aujourd’hui trouvent leur origine dans la pure initiative individuelle.
Le phénomène de relocalisation spontanée (reshoring) confirme également que l’État, qui continue à s’époumoner en vain contre les délocalisations, est toujours à la traîne des grandes évolutions économiques. Le défi de demain, ce seront les nouvelles technologies NBIC.
Décideurs. Et si le ministère de l’Industrie n’existait pas, comme chez nos voisins européens…
G. K. Les fonctions du ministère existent aussi dans ces pays, mais sous d’autres noms. Ce n’est pas tant l’institution qu’il faut regarder que la politique industrielle, d’inspiration planiste. Cette idéologie est apparue sous Vichy (avec des ministres comme Bichelonne) et continue aujourd’hui de légitimer le pouvoir des technocrates.
Décideurs. Croyez-vous au principe de non-ingérence de l’État dans la gestion de nos entreprises ?
G. K. Il est nécessaire de faire une distinction entre intérêt économique et intérêt souverain. Le premier consiste à développer l’activité des entreprises et à les rendre plus performantes ; le second, à investir pour défendre des secteurs stratégiques et de sécurité. Aujourd’hui la puissance publique confond ces deux aspects. Prenez Eramet. BPIFrance détient une participation dormante à 20 % du capital, mais on ne sait pas si cet investissement a été réalisé parce que l’entreprise se trouve en Nouvelle Calédonie et que l’État veut y être présent – intérêt souverain –, ou bien parce qu’il faut stimuler la production d’aluminium – intérêt économique. L’État doit clarifier ses investissements.
Décideurs. Vous avez récemment publié une étude sévère sur BPIFrance. En quoi la jugez-vous inefficace ?
G. K. Elle est en réalité trop efficace. Elle se prend pour un fonds de private equity et fait concurrence au privé avec les armes de la puissance publique, créant ainsi des effets de distorsion et d’éviction. Aujourd’hui si elle n’est pas présente lors d’un tour de table, les autres investisseurs potentiels se posent des questions sur la qualité de la cible. L’État n’est pas dans son rôle ici. Il doit prudemment pallier les défaillances du marché, non se substituer à lui.
Décideurs. Les entreprises françaises ont-elles besoin de l'État pour devenir des champions internationaux ?
G. K. Les entreprises ont besoin qu’on les laisse tranquilles. Dailymotion est allée toute seule à l’international, jusqu’à ce que l’État s’en mêle... En soutenant à bout de bras les grandes entreprises à coups d’avantages fiscaux et de traitements de faveur administratifs, l’État empêche le Mittelstand français, les entreprises intermédiaires, de se développer. Il devrait se contenter de mettre en place de bonnes conditions de marché, égales pour tous les acteurs.
Décideurs. Où les entreprises pourraient-elles trouver les financements que fournit actuellement l’État ?
G. K. Nous voyons l’argent public qui arrive, pas l’argent privé qui est chassé ! On augmente la pression fiscale d’un côté, et de l’autre on élabore de plus en plus de moyens de la contourner, comme le CIR ou le CICE. Le plus intelligent serait de simplifier tout cela, plutôt que d’essayer d’orienter les entreprises dans une direction qu’elles n’auraient pas choisie, comme la recherche ou les emplois à bas salaires. Ce système entretient une dépendance psychologique et morale des entreprises à l’égard de l’État. Les entreprises négocient à tous les niveaux pour obtenir tel ou tel avantage, et l’État perpétue une forme de clientélisme. Il faut remettre de la conflictualité entre eux. Les entreprises doivent produire et l’État faire respecter la loi.
Décideurs. Cent dix milliards d'euros de participations dans les entreprises françaises, quarante-sept milliards d'euros d'investissements d'avenir, un ministère de l'Industrie dont le coût est évalué à 875 millions d'euros pour 2015, cet argent public ne serait-il pas mieux investi ailleurs au regard des performances relatives de l'État stratège ?
G. K. Il pourrait surtout être redonné aux contribuables ! Pourquoi ne pas baisser la pression fiscale et voir ce qui se passe quand les gens décident par eux-mêmes ce qu’ils veulent faire de leur argent ?
Décideurs. À quoi ressemblerait une France libérale en 2025 ?
G. K. La France libérale de 2025, c’est celle de 1789. La France de la loi Le Chapelier qui abolit les corporations - aujourd’hui les professions réglementées ; qui redonne le pouvoir au Parlement ; qui casse les privilèges - de l’aristocratie à l’époque, de la fonction publique aujourd’hui. C’est aussi la France de l’école publique obligatoire : les événements récents nous rappellent le rôle primordial de l’État dans ce domaine.
Propos recueillis par Jean-Hippolyte Feildel