« Deux mots résument la tension du monde actuel : accélération et turbulences »
Décideurs. Comment le monde du conseil en stratégie a-t-il affronté le choc de 2008-2009 ?

Jean-Marc Le Roux. Le monde du conseil a affronté ce violent choc comme le reste des entreprises : certains dirigeants savent qu’il faut se préparer à des turbulences cycliques avec de fortes amplitudes et des fréquences indéterminées. En tant que conseil en stratégie, nous avions notamment recommandé à nos clients de gérer de façon avisée leurs coûts, de se recentrer sur le cœur de métier... Il faut au passage souligner la réactivité et le savoir-faire d’un très grand nombre de directions générales qui ont su anticiper et bien traverser cette crise. Nous nous sommes appliqué ces conseils, et comme d’autres, nous avons considéré que c’était une période d’opportunités pour gagner des parts de marché. Par exemple, en recrutant et en développant de nouvelles compétences comme le secteur public et la pharmacie. Certaines structures ont en revanche beaucoup souffert et ont vu leurs meilleurs éléments fuir, amputant ainsi toute perspective de développement à court terme pour eux.

Décideurs. Dans quelle mesure la relation entre le client et le consultant a-t-elle évolué ?

J.-M. Le R. Aujourd’hui, les attentes du client n’ont plus rien à voir : l’exigence de résultat est maximale. Dès lors, les dialogues « Résultats » que nous menons avec nos clients en amont de toute mission sont beaucoup plus intenses et détaillés. Il est impératif d’identifier le résultat tangible à atteindre, qui va déterminer en partie la rémunération des associés en charge du dossier. William Bain, fondateur de notre cabinet, avait coutume de dire que nous vendions « des résultats en discount »… Ce qui veut dire que nos honoraires sont inférieurs aux résultats ou retours qu’ils génèrent. En outre, le client attend non seulement une création de valeur ajoutée à long terme, mais exige également des résultats palpables à court terme. Il faut agir simultanément sur les deux fronts.

Décideurs. Peut-on envisager de nouvelles orientations stratégiques sans management du changement ?

J.-M. Le R. Ce n’est plus une option. Le changement et sa mise en œuvre sont aujourd’hui des préoccupations centrales pour les directions générales, qui attendent une aide dans le déploiement concret du changement. Le rôle du conseil est d’identifier et de poser des relais au sein de l’organisation de l’entreprise pour libérer son potentiel de changement. Il faut pour cela être capable de penser au-delà des frontières organisationnelles existantes. Par exemple pour faciliter le travail, entre silos au sein d’une même entreprise.
Dès lors, les compétences des consultants ne se limitent plus aux seules problématiques stratégiques : beaucoup plus que par le passé, il convient d’accompagner le client dans la mise en œuvre des recommandations. Notre métier est devenu plus exigeant : les solutions proposées doivent être précisément adaptées au client, à son organisation et à sa culture. L’expertise sectorielle et fonctionnelle, l’identification des meilleures pratiques, ne suffisent plus.

Décideurs. Quels nouveaux paradigmes caractérisent les conseils que vous prodiguez à vos clients ?

J.-M. Le R. Deux mots résument la tension du monde actuel : accélération et turbulences. Accélération, car la mondialisation et la concurrence renforcée qu’elle induit sont un formidable accélérateur du changement. Rester compétitif implique d’anticiper les évolutions concurrentielles pour s’adapter à un environnement en mutation permanente.
Turbulences, car les ruptures technologiques sont aujourd’hui plus fréquentes, et leur impact sur les business models, immédiats. Au milieu de cette zone de turbulences, les entreprises ont besoin de redéfinir ce qui fait leur cœur de métier. La bonne question est la suivante : « où ai-je encore un avantage concurrentiel, et comment puis-je l’exploiter ? ». Le rôle du conseil est d’aider le dirigeant à prendre du recul, à choisir les meilleurs éléments de benchmark et à déployer le changement de façon optimale.
La question des modes de prise de décision est ainsi devenue centrale. En effet, les entreprises les plus performantes sont celles qui non seulement prennent les bonnes décisions, mais sont de plus capables de les prendre de façon efficace. L’efficacité d’un processus décisionnel s’évalue sur la base de quatre critères principaux : la qualité des décisions, la vitesse et le coût de prise de décision, ainsi que la capacité de l’organisation à appliquer les choix stratégiques. Efficacité décisionnelle et efficacité économique sont intrinsèquement liées.

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