En orchestrant la montée du yuan et en finançant ses propres institutions internationales, l’empire du Milieu envoie un message clair aux États-Unis : il ne se contentera pas de la deuxième place.
Pour amortir l’exode rural et l’arrivée des nouvelles générations sur le marché du travail, la Chine doit créer chaque année pas moins de quinze millions d’emplois. Impossible de réaliser une telle performance avec moins de 7 % de croissance. Le gouvernement a bien compris que le seul développement de sa consommation interne ne suffirait pas à maintenir ce rythme. Pour augmenter son emprise sur le commerce mondial et booster ses exportations, la Chine a mis en place un plan ambitieux.

Une monnaie référence

Le premier axe a pour objectif de faire du yuan une monnaie de référence. Environ 25 % des exportations chinoises sont désormais libellées en yuan. Alors que la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT) révélait l’an dernier que la monnaie chinoise avait ravi à l'euro la deuxième place du podium des devises les plus utilisées dans les contrats commerciaux, la Chine voit plus loin et compte désormais s’attaquer au numéro un, le dollar.

Une cinquantaine de banques ont déjà officialisé avoir réalisé des investissements en yuans, la majorité en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Officieusement, elles seraient plutôt soixante. Selon une étude réalisée par HSBC auprès de banques centrales, 53 % d’entre elles indiquent investir en yuans ou réfléchir à le faire. Pour autant, le chemin à parcourir est encore long pour imposer le yuan comme une monnaie de référence. Car si les banques centrales estiment qu’elles investiront 10,4 % de leurs réserves en yuans d’ici à 2015, ce pourcentage descend à 5,5 % quand il s’agit d’indiquer sa propre stratégie d’investissement. Un écart qui traduit une certaine méfiance à l’égard de cette monnaie.

Pour les rassurer, la Chine compte bien faire son entrée en octobre dans le panier de devises composant les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. Seuls les États-Unis s’y opposent ouvertement. L’enjeu est de taille puisque si le yuan ne fait pas son entrée cette année, il faudra que le gouvernement chinois attende encore cinq ans, période de renouvellement des monnaies de référence. Selon Christian Déséglise, managing director chez HSBC et responsable des banques centrales, « on devrait assister à un statu quo cette année. Le FMI va reporter sa décision d’un an au motif que les critères de sélection sont trop flous. Ils seront précisés et la Chine devra se représenter l’année prochaine ». Une décision qui permettrait au FMI de ne froisser ni la Chine ni les États-Unis.

240 MD$ dans des institutions

La Chine est également agacée par sa sous-représentation dans les institutions internationales de Bretton Woods. Ainsi, alors qu’elle représente 14 % du PIB des pays membres du FMI, elle ne dispose que de 4 % des droits de vote. Quant à la Banque asiatique de développement, elle est dominée par le Japon et les États-Unis. Ce « dénigrement », fruit de son précédent isolationnisme historique, explique en grande partie la création d’institutions par la Chine aujourd’hui. Deux ont déjà vu le jour : le Silk Road Fund, doté de quarante milliards de dollars, et la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures qui dispose d’un budget de cent milliards de dollars. Un troisième projet, la New Development Bank, ambitionne tout simplement de concurrencer la Banque mondiale avec une dotation initiale d’au moins cent milliards de dollars.

Si les sommes en jeu sont encore limitées - pour comparaison, la seule Banque asiatique de développement est dotée de 165 milliards de dollars - la capacité de la Chine à trouver des alliés impressionne. Ainsi, malgré la pression des États-Unis sur les membres du G7 pour ne pas rejoindre la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, le Royaume–Uni a été le premier pays occidental à suivre l’initiative chinoise, créant au passage une crise diplomatique entre les deux pays. Une brèche qui a permis à la France et à l’Allemagne de s’associer à leur tour à ce projet.

Surtout, la Chine va améliorer ses relations avec les pays asiatiques. Leurs besoins en infrastructures sont énormes : l’Asie aurait besoin de 800 milliards de dollars d’investissement en infrastructures par an d’ici à 2020. Les réserves de la Chine s’élevaient à 3 440 milliards de dollars fin 2014. À force de vouloir faire jeu à part, c'est maintenant les États-Unis qui pourraient bien se retrouver affaiblis.

V. P.

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