Cofondateur de PriceMinister, cet homme multi-casquette serait l’inventeur d’un nouvel entrepreneuriat de gauche. Son portrait en trois mots clés.
Brillant publicitaire, business angel actif, essayiste pragmatique, et même un court moment journaliste chez France Antilles, Olivier Mathiot aurait bien aimé aussi fonder une agence de pub spécialisée en lancement de marque. Depuis le 12?mai dernier, le statut de ce «?webmarketeur-influenceur?», pluggé sur une fréquence d’idées à haut débit, a changé dans le microcosme du numérique français. Cousin éloigné de Pierre Kosciusko-Morizet (PKM), il a joué un rôle clé dans la création de PriceMinister, la plate-forme française de e-commerce, rachetée 200?millions d’euros en 2010 par le japonais Rakuten. Quatre ans plus tard, PKM tire sa révérence pour revenir à ses fondamentaux. «?Je suis davantage un entrepreneur qu’un manager. Monter une boîte, c’est ce qui m’excite vraiment?», confie celui qui prédit à Olivier Mathiot un avenir de «?super P-DG?».

SUCCESSEUR
Après cinq ans à écumer les postes en agence de pub, Mathiot en a marre du salariat. Il songe à créer sa boîte : une agence de publicité spécialisée en lancement de marque. «?Dans les années 1990, les grands groupes ont cannibalisé les marchés. Mon idée était de favoriser la conception de nouveaux produits à 360° grâce aux nouvelles technologies.?» Next. Il passe quatorze ans dans le rôle de directeur marketing chez PriceMinister. Aujourd’hui, le publicitaire reconverti est à la manœuvre. Pour Jean-David Chamboredon, à l’initiative de l’investissement du fonds britannique 3i monté au capital de PriceMinister en 2005, «?Olivier était le successeur désigné?».
À 42 ans, celui qui vient de prendre les rênes d’un des leaders français du commerce électronique nous reçoit dans son bureau en plein centre de la capitale. Il s’excuse, ses cartes de visite ne sont pas encore à jour. Mais quel est l’intitulé exact de sa nouvelle fonction ? Président ? P-DG ? Chairman ? «?CEO parce que je suis dans l’exécutif?», rétorque en souriant le nouveau patron qui s’apprête à écrire un nouveau tome de l’aventure du pilier du e-commerce français. C’est ce lundi 12 mai à 9h30 que le chapitre a été ouvert par le traditionnel asakaï, une réunion qui rassemble les 250 salariés du groupe pour un point hebdomadaire sur l’entreprise. Une tradition venue de l’empire du Soleil levant tout comme l’omotenashi, le sens de l’accueil, déjà largement appliqué par le patron adepte des hiérarchies courtes et des afterworks entre collègues. Thomas Beylot, un ancien de PriceMinister désormais à la tête de sa petite entreprise, confirme que celui-ci possède «?le rare talent de savoir fédérer en donnant le sentiment au stagiaire fraîchement débarqué qu’il est un maillon essentiel de la chaîne?». Un atout maître quand il s’agit de motiver les équipes pour négocier le virage du BtoBtoC. Alors que le secteur du e-commerce est entré dans une phase de croissance molle depuis deux ans, PriceMinister a vu son chiffre d’affaires augmenter significativement de 40?% sur ce segment qui en représente 70?% contre 30?% pour le CtoC. Mathiot n’y est pas étranger. «?C’est un créateur d’enthousiasme?», confie un proche collaborateur soutenu par Justin Ziegler, l’un des cofondateurs du site, qui loue «?l’énergie à revendre?» et «?le talent de négociateur de ce compétiteur qui aime gagner?». Succès mérité pour Olivier Mathiot qui ne cache pas sa nostalgie suite au départ de «?deux Pierre?» [Pierre Kosciusko-Morizet et Pierre Krings]. «?L’entreprise, c’est avant tout une aventure humaine. L’un de mes challenges sera de conserver le même niveau de coolitude.?»

VISIONNAIRE
«?Il ne se rêvait ni en trader ni en jeune loup de Wall Street. C’est un homme qui a besoin de donner du sens à ce qu’il entreprend?», confie Philippe Boulenguiez, son camarade de promo à HEC. De 1995 à 2000, Olivier Mathiot, littéraire passionné de philo, fait les belles heures des agences publicitaires DDB et CLM BBDO avec des concepts détonants. Armé de son credo, «?on existe que si l’on est différent?», il défend l’image des marques Danone, Badoit, Lactalis pour leur permettre de «?rester sur le plateau de fromages?». Et ça marche. «?Olivier était promis à une carrière très prometteuse dans la publicité?», se souvient Valérie Accary, la patronne de CLM BBDO qui l’avait repéré. L’homme aime à parler avec des images même s’il s’emploie à combattre «?celles d’Épinal quand il est question d’entrepreneuriat?», insiste Marie Ekeland avec qui il copréside France Digitale, l’association des créateurs de start-up et des investisseurs spécialistes des new-tech.
Excellent décrypteur, il a le talent de savoir démocratiser les tendances du monde numérique. «?Cette façon bien à lui de concevoir les messages grâce aux images permet de rendre intelligibles les problématiques les plus complexes?», confirme Marie Ekeland, avant d’ajouter «?et surtout, il est très drôle?». Un humour qui a posé les jalons de l’identité de PriceMinister dans le cercle restreint des start-up du e-commerce français. «?Les gens oublient aussi vite qu’ils plébiscitent. Devenir incontournable prend du temps et implique de marquer intelligemment les esprits?», insiste celui qui est à l’origine des campagnes décalées et incitatives du cybermarchand «?Devenez radin !?» ou encore «?Déçu par vos cadeaux, revendez-les !?». Une communication osée qui, au-delà d’avoir fonctionné auprès des internautes, a imposé un nouveau style de communication made in Mathiot. Adepte des sports extrêmes, incorrigible globe-trotteur, le webmarketeur puise son inspiration dans le monde qui l’entoure. À Paris, il fréquente le Silencio, le très sélect club de David Lynch dont le membership est réservé à la fine fleur des créatifs et autres businessmen soucieux de faire bouger les lignes. Valérie Accary le décrit comme «?un audacieux qui n’a pas froid aux yeux, doublé d’un visionnaire avec une capacité de conviction hors du commun?». Cette figure phare du milieu s’est elle-même laissée persuader par le pubard. «?Olivier est venu me voir en 2001 pour me proposer d’investir dans PriceMinister. Je n’ai pas hésité une seconde. Je croyais en leur potentiel et en leur capacité à prendre un risque, tout en l’éliminant.?» C’est ce que Pierre Kosciusko-Morizet appelle «?la force visionnaire du créatif?». Une qualité indispensable pour le nouveau CEO, ambassadeur du risque entrepreneurial, engagé dans la bataille du numérique pour «?changer l’image de marque de la France?».

INFLUENCEUR
Parce qu’il considère que le numérique n’est pas une filière, mais une transformation complète de l’économie, le nouveau CEO de PriceMinister pousse à la réflexion. Homme de terrain, porte-voix du mouvement des «?pigeons?», président de France Digitale, Mathiot fait partie de ceux qui restent toujours les mieux placés pour décrire les repères auxquels les entrepreneurs peuvent encore se fier. «?C’est un homme qui joue collectif. Il porte l’écosystème numérique au-delà de ses intérêts propres?», insiste Marie Ekeland. Ce profond attachement au bien public et à l’intérêt général, le patron de PriceMinister le tient de son éducation. Élevé dans une famille d’intellectuels de gauche, ce fils de polytechnicien ingénieur au CEA et d’une adjointe au maire socialiste de Grenoble, a forgé son caractère dans une culture protestante où la valeur travail est sacralisée et par essence l’argent gagné, mérité.
Dans son essai, La gauche a mal à son entreprise paru en 2013, Olivier Mathiot a repris la plume pour piquer au vif le politique qui ne sait pas traiter l’économique : «?Il agite les bras, puis les baisse, à droite comme à gauche. Comme un volatile?», ironise le porte-parole du mouvement des «?pigeons?» qui prône «?un capitalisme décomplexé?», défend l’impôt, la taxation des héritages et les bienfaits de l’actionnariat salarié. Mais en France, être de gauche et avoir réussi ne fait en général pas bon ménage. D’où l’éternelle question qui divise : peut-on être riche et voter à gauche ? Il répond sans détours «?J’ai bien gagné ma vie. Mon patrimoine se situe certainement parmi les 5?% les plus élevés en France.?» De quoi s’attirer les foudres des milieux aisés qui ne peuvent s’empêcher de vouer aux gémonies la gauche vivant bourgeoisement. On l’a parfois agressé digitalement raconte-t-il. «?N’essaie pas d’être de gauche et entrepreneur. Choisis ton camp?», lui a-t-on lancé anonymement sur le réseau social Twitter. Dans des soirées à majorité sarkozyste, il a parfois été pris à partie : «?Tu votes contre tes intérêts, tu votes contre la France !?» Mais son ami d’enfance l’assure : «?L’argent n’est pas un moteur pour lui.?»
Idéaliste, humaniste et libéral, Mathiot veut réconcilier la sensibilité de gauche avec l’enrichissement. Pour cela, il défend l’entreprise dans laquelle il voit «?le lieu d’un nouveau débat?» et pourquoi pas «?une nouvelle idéologie?». Mais «?attention, tempère-t-il, cela peut être perçu par certains comme un gros mot.?»
Est-il l’inventeur d’un nouvel entrepreneuriat de gauche ? Comme beaucoup de patrons de l’économie numérique, celui que le journal Libération labellisait «?Web entrepreneur de gauche?» transforme, à l’instar de Xavier Niel, Marc Simoncini et désormais PKM, l’argent qu’il gagne en gain pour autrui. En bon disciple de d’économie substantielle, Olivier Mathiot perpétue une philosophie finalement peu éloignée de l’idée qui sous-tend la création de PriceMinister : celle de consommer malin pour vivre différemment. Dans la bataille des idées, cet homme d’influence pourrait bien surprendre en s’imposant comme une version modernisée et numérisée du Bel-Ami de Maupassant.

Émilie Vidaud


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